mardi 28 janvier 2020

Le cœur de l'homme / The Heart of Man de Jon Kalman Stefansson

 Live, as you are able, live!

Dernier volet d'une trilogie.
À la fin de La tristesse des anges / The Sorrow of Angels, nous avions laissé le gamin, Jens et Hjalti perdus dans la tempête...
Miracle et tristesse, les deux premiers ont survécu et se réveillent à Slettueyri, le troisième à disparu. Grâce à son capital jeunesse et aux bons soins des hôtes qui les ont secourus, le garçon se remet rapidement alors que Jens ressort diminué de leur odyssée. À peine le temps de former de nouveaux liens, le printemps s'installe enfin, un bateau passe et les ramène à leur point de départ où la vie reprend son cours : Jens part de son côté et le gamin, enrichi et nourri de sa nouvelle expérience retrouve le monde de l'auberge et ses personnages tellement indépendants qu'ils en gènent la communauté locale bien pensante et étriquée. Le gamin découvre qu'à la suite de la lettre qu'il lui a adressé avant de partir, Andréa a quitté son mari et le campement de pêcheurs où il l'avait laissée, accueillie, comme lui, par Helga et Ragnheidur.

Le gamin est plein d'énergie, les yeux et le cœur ouverts sur le monde. Il court, il apprend dans les livres sous l'égide de Gisli et il apprend de ses rapports et de ceux des autres avec la communauté des hommes. Il y a le souvenir des cheveux roux et des yeux verts de Alfheidur laissée à Slettueyri, la relation ambiguë avec la fille de Fridrik, le marchand puissant et avide de pouvoir, la liberté et l'indépendance de Ragnheidur, le poids des mot et une lettre écrite à Rakel pour le compte d'Oddur, une nuit de tempête et un naufrage, etc.
Un microcosme de société humaine avec ses zones lumineuses, l'amour, l'amitié, la solidarité, le réconfort, le partage, la connaissance, la poésie, la liberté, etc. et ses zones d'ombres, la recherche du pouvoir et de la domination, la lubricité, le viol, l'alcool, etc. Autant d'éléments qui offrent une réflexion intemporelle sur le sens de la vie et autres éléments philosophiques comme le bonheur, tout en dressant le panorama de la société islandaise de la fin du 19ème siècle en pleine transformation, entre tradition et modernité (premier bateau à vapeur, premiers téléphone, etc.)... sans oublier un cadre grandiose et sauvage, soumis aux éléments, offrant le meilleur comme le pire.

Le gamin est un personnage attachant autant pour le lecteur que ceux qui l'entourent, plein de sensibilité, d'interrogations et d'une certaine innocence. C'est avec un vrai grand regret, les larmes aux yeux et le cœur battant que je le quitte à la fin de cette histoire qui m'a transportée et surprise jusqu'à la dernière page, jusqu'à la dernière ligne, vers une fin absolument épique et aigre-douce.
Un texte porté par la grande qualité d'écriture de cet auteur qui évoque magnifiquement la rudesse et la beauté d'un pays et de la société qui le compose.

Tirés du texte :
We find that life is never a continuous thread except occasionally by coincidence, which is as savage as it is beautiful. Some of the incidents pass through us and are gone without leaving anything behind, but there are others that we constantly relive, because what is past dwells in us, colours our days, transforms our dreams. The past is so interwoven with our present that it's not always possible to distinguish between them, words you speak today will find you five years on, 
come to you like a bouquet of flowers, like a consolation, like a bloody knife.

Who am I, are we what we do, or what we dream?

There are very few things that man needs : to love, to be happy, to eat; and then he dies. Yet there are over six thousand languages spoken in the world--why do there need to be so many in order to make such simple desires understood? 
And why do we manage it so rarely?

Icelandic summers are so short and predictable that it seems at times as if they don't exist. (...)
 But nothing in the world is as bright and clear as the month of June, days and nights merge,
 all the shadows vanish and the sky is blue as eternity in the middle of the night.

What is a person (...) apart from a memory?

It hurts when everyone forgets you, really hurts; your shoulders sink, your eyes dull, 
solitude enters your body and starts killing you cells.

Little is as important for a person as laughter, and crying; it's far more important than sex,
 let alone power, let alone money, that spittle of the Devil in our blood, 
those who never laugh gradually turn to stone.

What right does he have to combine words that could change someone's life, what could his responsibility be then? 
Those who fire guns are responsible for the bullets, the pain that they may cause; doesn't the same apply to words?

Life expands when you read (...) there is more to it,(...) , 
it's as if you you acquire something that no-one can take from you, ever (...)
 it makes you happier.

Unfortunately, there's a huge gap between thinking and living. It's possible to know more than everyone else, to understand life, to be able to describe it in moving words, distinguish between cause and effect, yet have no idea how to live an ordinary, everyday life. 
A bit like knowing all the notes but being unable to whistle a simple melody.

What does it mean to betray one self, what is the greatest treachery, the most heinous crime,
so heinous that the king can't pardon you ? To dare not to live, the boy had answered.

Writing is a war and maybe authors experience more defeat than victory.

Translations, (...) it's hardly possible to describe their importance.
They enrich and broaden us, help us to understand the world better, understand ourselves. 
A nation that translates little, focusing only on its own thoughts, is constricted, 
and if it boasts a large population it becomes dangerous to others, as well, 
because most things are alien to it except for its own thoughts and customs.

June nights here in the North must be the most beautiful in the world, the luminance of night sky can be wilder you with happiness, it washes away anxiety, stress, hatred, envy, all of these things that are like a blight inside mankind. All is tranquil, transparent. 
A June night is a bit like the breath of God, and for a moment all existence is soft and still. 
For a moment. 

One probably doesn't know much about life ; one just has to step into it. And know how to welcome it when it comes. 

There are few things to equal receiving a letter. 
There's intimacy in letters, they bridge distances, are precious companions that last a long time, warm you, long after they're read. 

I don't know where the darkness comes from, yet I think that it comes from the same place as the light, and I think it grows dark because we let it happen. I think that it's difficult to attain the light, often very difficult, but I also think that no-one attains it for us. Not God, not Jesus, who maybe should have been a woman because then the world would be different and better, not the governor, not farming, not ships, not books. If we don't set out on our own, life is nothing. We ought to live to conquer death, that's the only thing that we know how to do. If we live as we're able, preferably a bit better, then death will never conquer us. Then we won't die, we'll just become something else. I don't have the words for it, to describe it, I mean. Maybe we simply change into music.

Death steps over our wishes, our prayers, our despair and strength, it does so whenever it pleases. 

Hardly anyone has eyes in order to look squarely in the face of understanding ; few eyes can tolarate it. (...) 
People like Kierkegaard were dangerous because they cause us to question, and even rethink, the world.

In the end we all change into silence.

Du même auteur, voir aussi :
La tristesse des anges / The Sorrow of Angels (tome 2)
Entre ciel et terre / Heaven and Earth (tome 1)
D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds / Fish have no feet

Titre anglais : The Heart of Man
Titre français : Le cœur de l'homme
Auteur : Jon Kalman Stefansson 
Première édition : 2009

vendredi 24 janvier 2020

La frontière / The Border de Don Winslow

 
Troisième et dernier volet de la trilogie de La griffe du chien, La frontière / The Border nous plonge une dernière fois dans le monde du commerce illicite de la drogue et de ses ramifications entre Mexique et États-Unis.
Alors que le mystère subsiste sur le sort d'Adan Barrera, une trève précaire est établie entre les trafiquants de drogues, un statu quo durant lequel chacun évalue ses chances de prendre le dessus au cas où le baron ne réapparaitrait pas. Pour la population, "Adan vive" : l'homme "vit" tellement qu'il en est sanctifié ; pour "los hijos"-la nouvelle génération des "fils de narcotrafiquants"- le vent de la relève commence à souffler et les affaires n'ont jamais été aussi bonnes. Et puis la drogue n'étant finalement qu'un business, il faut sans cesse innover pour garder ses parts de marché avec l'introduction du fentanyl, de l'héroïne pas chère, produite chimiquement, à l'origine d'une véritable "épidémie d'overdoses".
Dans ce contexte, Art Keller accepte de reprendre du service à la direction de la DEA (Drug Enforcement Agency) avec l'espoir de véritablement impacter la guerre contre la drogue même si ce n'est pas évident dans le contexte très politique de Washington : son objectif est de démonter toute la filière, jusqu'à l'argent sale et le blanchiment qui en est fait dans les plus hautes sphères des milieux financiers, des affaires et du pouvoir. Il va devoir avancer dans l'ombre en s'associant secrètement avec deux policiers de New York.

Ce roman s'inspire encore une fois librement d'une foultitude d'éléments piochés dans l'actualité avec des transpositions parfois un peu osées qui permettent de comprendre les avis très divisés portés sur ce livre par les lecteurs outre Atlantique, notamment au regard des deux personnages de Dennisson- candidat originaire de New York, puis nouveau président qui veut construire un mur et est un forcené de twitter- et de Jason Lerner, son gendre (Dans le livre, la question de l'enquête sur les intérêts Russes est remplacée par une association aux cartels de la drogue... évidemment, ça peut déranger une opinion publique très divisée même s'il ne faut pas perdre de vue que tout cela n'est qu'une fiction).

La trame de ce dernier volet est encore plus ambitieuse que les deux volumes précédents mais du coup, elle se disperse beaucoup plus, que ce soit géographiquement--le Mexique, les États-Unis, d'autres pays d'Amérique du Sud- ou qu'il s'agisse de la narration, des personnages et des sujets traités- la guerre des cartels au Mexique, la question des gangs et des Migrants, celle des consommateurs / junkies, les aspects politiques et financiers, le système carcéral américain, le traitement judiciaire du problème de la drogue, les clivages raciaux, etc.

Pour s'y retrouver, l'auteur fait pas mal de retours en arrière et de résumés des tomes précédents, pas inutiles si on a laissé passer un peu de temps entre deux livres ou si on ne les a pas lu mais un peu redondants si on les enchaine.
On suit les personnages récurrents, Marisol, Anna, Eddie Ruiz, Caro, etc ; certains ont grandi et deviennent acteurs (Los "hijos" mais aussi Hugo Hidalgo, le fils d'Ernie, l'adjoint d'Art Keller torturé et exécuté par les trafiquants dans le premier tome) ; on en retrouve d'autres avec plaisir, Nora et Sean Callan disparus à la fin du premier tome et on en découvre de nouveaux, Jaquie la junkie, Mullen et Cirello les policiers New-Yorkais, Nico et Flor les petits Migrants guatemaltèques qui s'embarquent sur "la Bestia", etc.

Un "pavé" édifiant sur ce problème complexe de drogue dont on ne voit finalement pas trop l'issue même si l'auteur offre ses pistes, très politiques, en soulèvant surtout de vraies questions de société. (Avec au passage un autre effet clivant auprès d'une partie du lectorat américains en désaccord avec les positions jugées politiquement trop "gauchisantes" du personnage d'Art Keller... On n'est pas obligé d'être d'accord ! ).

En bonus en postface, Don Winslow donne quelques éléments sur cette saga, ce qui l'a amené à vivre et à faire vivre son personnage de Art Keller pendant plus de vingt ans, l'addiction " qui l'a saisi pour ce qui ne devait être qu'un simple sujet de livre : à l'exception de sa femme et de son fils, il explique avoir" passé plus de temps avec Art Keller qu'avec n'importe quel véritable être humain" et précise que la trilogie est "l'œuvre de sa vie". Il indique encore "Je suis d'abord entré dans ce monde comme simple touriste, pour une simple visite, et il m'a fallu 6 ans pour écrire La Griffe du Chien. Plus j'en apprenais, plus j'étais en colère ; et plus je creusais, plus je voulais raconter cette histoire de la guerre américaine contre les drogues et l'impact réel qu'elle a sur la vie des gens."

Un objectif ambitieux et pour ma part réussi car cette trilogie m'a non seulement passionné, elle a aussi aiguisé ma curiosité que j'essaye d'assouvir par des recherches complémentaires, articles de presse, reportages et autres informations qui ne manquent pas. Le contexte européen n'est sans doute pas tout à fait le même mais la menace est bien réelle, nécessitant une vraie réflexion sur les politiques à adopter en termes de santé publique, sur le plan judiciaire, la légalisation ou pas de certaines drogues, les salles de shoot, etc.

Une trilogie en coup de massue, brillantissime.

Tirés du texte :
The long drug war has left trousand of orphans, shattered families and dislocated teenagers. And that doesn't include the thousand fleeing gang violence in Guatemala El Salvador, and Honduras, passing through Mexico to try to find sanctuary in the United States. 

From the year 2000 to 2006 (...) fatal heroin overdoses stayed fairly stable, about 2'000 a year. From 2007 to 2010, they rose to about 3'000. But in 2011, they rose to 4'000. Six thousand in 2012, 8'000 in 2013.
"To put it in perspective, (...) from 2004 to now we lost 7'222 military personnel in Iraq and Afghanistan combined." 
"To put it in perspective(...) in the same period of time, over a hundred thousand Mexicans were killed in drug violence, with another twenty-two thousand missing. And that's a conservative estimate." 

Opiates are a response to pain. 
Physical pain, emotional pain, economic pain. 
He's looking at all three. 
The Heroin Trifecta. 
(...) 
You're standing on the Rio Grande with a broom, he thinks, trying to sweep back the tide of heroin while billionaires are sending jobs overseas, closing factories and towns, killing hopes and dreams, inflicting pain. 
And then, they tell you, stop the heroin epidemic. The difference between a hedge fund manager and a cartel boss?  Wharton Business School. 

Tens of millions of drug dollars - in cash- go down to Mexico alone every year, so much cash they don't even count it, they weight it. It has to go somewhere, the narcos can't stick it under their pillows or dig holes in their backyards. A lot of it is invested in Mexico, the estimate being that drug money accounts for 7 to 12 percent of the Mexican economy. 
But a lot of it come back here- into real estate and other investments. 
Into banking and then out to legitimate businesses. 
It's the dirty secret of the war on drugs--everytime an addict sticks a needle into his arm, everyone makes money. 
We're all investors. 
We're all the cartel. 

Smack is killing kids here now (...) which is why we have an epidemic. 
When it was black and Porto Ricans, it wasn't an illness, it was a crime. 

The agency estimates that, at best, they seize about 15 percent of the illicit drugs coming across the border, even though,  in their business plan, the cartels plan for a 30 percent loss. 

He's seen the end of year statistics - 28'647 people died from heroin and opioid overdoses en 2014.

The irony is brutal-the same attorney general who is going to press for maximum sentences for marijuana possession will block prosecution of people laundering the biggest dope money in the world. 
Because they're rich, white and connected. 

Do you seriously believe anyone really wants to win this war? No one has an interest in winning this war ; they gave an interest in keeping it going. You can't be naive - tens of billions of dollars a year in law enforcement, equipment, prisons... It's business.
 The war on drugs is big business.

The war on drugs has become a self-sustaining economic machine. Towns that once competed for factories now vie to build prisons. In " prison privatisation" - one of the ugliest combination of words I can imagine - we have capitalised corrections; corporations now make profits keeping human beings behind bars. Courts, lawyers, police, prisons - we are now addicted to the war on drugs.

Du même auteur, la trilogie de la griffe du chien/ The Power of the dog, voir aussi :
La griffe du chien / Power of the dog (tome 1)
Cartel / The Cartel (tome 2)

Titre original : The border
Titre français : La frontière 
Série The Power of the dog (3) / La griffe du chien (3)
Auteur : Don Winslow
Première édition : 2019

mardi 21 janvier 2020

L'hibiscus pourpre / Purple Hibiscus de Chimamanda Ngozi Adichie

Nigéria.
Un jour, au moment de rendre les grâces au début d'un repas, Jaja saisi le missel de son père et le jette dans un geste de révolte sur la vitrine de sa mère :  Kimbili, sa sœur d'un an sa cadette, raconte l'incident et l'origine de cette insubordination soudaine dans cette famille aisée d'Enunga...

Dans ce roman, la plume sûre et captivante de Chimamanda Ngozi Adichie nous transporte avec sensibilité et subtilité dans une famille placée sous le joug d'un père au visage multi-facettes : fondamentaliste catholique porté par une foi intransigeante, il se révéle à la fois généreux, rigoureux, droit et exigeant mais aussi brutalement sectaire et intolérant. Chef d'entreprise à la tête de plusieurs usines et du seul journal indépendant du pays capable de dénoncer les turpitudes gouvernementales, il régit sa famille strictement, avec des objectifs clairs : les enfants doivent être premiers de classe en suivant un emploi du temps extrêmement précis préparé par ses soins. Une discipline de fer qui va toutefois se fissurer lorsque les enfants sortent pour la première fois de leur environnement, accueillis  chez leur Tatie Ifeoma et ses trois enfants, Obiora, Amaka et Chima. Ils débarquent comme deux extra-terrestres dans cette famille universitaire exubérante, ouverte, pleine de rires et d'amour, malgré les difficultés et l'exiguité de leur logement sur le campus de l'université de Nsuka. Petit à petit, les deux adolescents vont s'ouvrir et Kimbili sortir de sa timidité apparente qui touche au mutisme.

Des personnages très bien campés, dans toute leurs complexités et leurs ambiguïté ; des relations et des sentiments très bien rendus et analysés ; une histoire universelle dans le cadre du Nigéria qui apporte quelques informations sur le pays ; un très bon livre. Que ce soit Americana, l'autre moitié du soleil/ Half of a yellow sun ou nous sommes tous des féministes /We should all be feminists, je n'ai encore jamais été déçue par Chimamanda Ngozi Adichie : son écriture est toujours juste et prenante et elle sait raconter des histoires, une romancière de talent, une vraie valeur sûre.

Tirés du texte :
Le défi de Jaja me semblait à présent similaire aux hibiscus pourpres expérimentaux de Tante Ifeoma: rare, chargé des parfums de la liberté différente de celle que les foules agitant des feuilles vertes scandaient à Government Square après le coup d'état. 
Une liberté d'être, de faire. 

Elle parlait à la façon dont mange un oiseau, par petites quantités. 

"Voici ce que les nôtres disent au Dieu Haut, le chukwu, dit Papa-Nnukwu. Donne-moi et la richesse et un enfant, mais si je dois choisir entre les deux, donne-moi un enfant parce que quand mon enfant grandira ma richesse fera de même."

Il y a des gens écrivit-elle une fois, qui pensent que nous ne pouvons pas nous gouverner nous-même parce que les rares fois où nous avons essayé, nous avons échoué, comme si ceux qui se gouvernent par eux-mêmes aujourd'hui y étaient arrivés du premier coup. C'est comme si l'ont disait à un bébé à quatre pattes qui essaie de se lever pour marcher, puis retombe sur son derrière, de rester où il est. Comme si les adultes qui lui passent devant n'avaient pas tous commencé à quatre pattes !

Titre original : Purple Hibiscus
Titre français : L'hibiscus pourpre
Auteur : Chimamanda Ngozi Adichie
Première édition : 2003

dimanche 19 janvier 2020

La voix / Voices d'Arnaldur Indridason

A quelques jours de Noël, Gudlaugur Egilsson (Gulli) est découvert assassiné dans sa chambre au sous sol de l'hotel dans lequel il travaille comme portier depuis plus de 20 ans : il y est retrouvé habillé d'un costume de Père-Noël qu'il endossait depuis plusieurs années pour la fête des employés, un préservatif au bout du sexe, la chambre décorée d'une simple affiche de Shirley Temple - la "petite princesse"/enfant star-  et pour toute possession, 2 disques au fond d'un placard.

Alors que la saison touristique bat son plein dans la capitale islandaise, Erlandur s'installe à l'hôtel pour mener l'enquête assisté comme toujours de Sigurdur Oli et Elinborg auxquels s'ajoute un coup de pouce de Marion Briem, son ancien mentor à la retraite. Ses collègues travaillent l'esprit à la préparation des fêtes et/ou la tête à d'autres cas, notamment celui d'un enfant maltraité suivi de près par Elinborg.

La mort du Père-Noël et l'enquête s'avèrent plutôt pathétiques : ses collègues ne le connaissaient pas, tous les ponts étaient coupés avec sa famille  pas même troublée par son décès... derrière tout ça se cache toutefois une voix d'or, celle d'un enfant prodige oublié, un choeur d'enfants, une enfance volée, du bullying, la prostitution, la drogue, un collectionneur obsessionel, un vol et de l'argent, beaucoup d'argent.

Une nouvelle enquête du commissaire Erlandur qu'on ne lâche pas, qui égratigne au passage une société islandaise dont est dénoncée la petitesse d'esprit, pleine de jalousie et de cruauté pour ceux qui sortent du lot et sont différents. On continue bien sûr à suivre la vie privée des personnages, les démons de l'enfance qui hantent Erlandur, ses rapports avec sa fille Eva Lind et, miracle de Noël (?), sa rencontre inespérée avec Valgerdur chargée d'effectuer des prélèvements dans le cadre de l'enquête.

Organisé sur plusieurs jours un peu comme un compte à rebours ou un calendrier de l'avent enrobé de chants de saison, Indridason nos offre avec La Voix / Voices, un drole de "conte de Noël" !

Du même auteur, voir aussi :
La femme en vert / Silence of the Grave (2)
La cité des Jarres / Jar City (1)
Les nuits de Reykjavik / Reykjavik Nights

Titre anglais : Voices
Titre français : La voie 
Série Enquête du commissaire Erlandur Sveinsson / A Reykjavik Murder Mystery (3)
Auteur : Arnuldur Indridason
Première édition : 2003

jeudi 16 janvier 2020

Tout dort paisiblement sauf l'amour de Claude Pujade-Renaud

"Dans cette vie, elle vous appartient ; dans l'histoire, elle sera à mes côtés." 
"Vous la rendrez heureuse en cette vie - Je veillerai à son immortalité."

En 1855, à Sainte-Croix, aux Antilles Danoises, Régine Olsen-Schlegel apprend le décès de son ancien fiancé, Soren Kierkergaard. Des fiançailles engagées l'année de ses 18 ans, qui n'avaient duré qu'un an, entre septembre 1840 et août 1841, avant d'être rompues brutalement et sans explications par celui qui deviendra l'un des plus célèbres philosophes/écrivains/poètes danois. Deux ans après cette rupture, la jeune femme accepta la demande en mariage de Frederick Schlegel, son ancien précepteur, érudit qui mena une riche carrière dans la fonction publique, gouverneur aux Antilles Danoise chargé d'y éradiquer l'esclavage aboli en 1848, puis membre du conseil municipal de Copenhague, l'"Athènes du Nord", dont il deviendra aussi le maire.

Dans ce roman, nous partageons la vie et les pensées de Régine, parfois celle de son mari ou d'autres personnages proches d'elle et de Kierkergaard, avec des dialogues, des correspondances et des interrogations qui nous font finalement découvrir, à travers eux, le penseur, son œuvre, son influence sur l'époque. Un peu comme dans l'ombre de la lumière qui relatait l'histoire d'Élissa, égérie cachée de Saint-Augustin, Claude Pujade-Renaud rend vie et hommage à la "femme de l'ombre" qui se cache derrière l'œuvre d'un grand homme, cette fois, Soren Kierkengaard.

Une relation brève mais suffisamment marquante pour que les vies de Régine et Soren soient indissociables, base d'un étrange triangle complété par Frederick. Considéré comme le précurseur de l'existentialisme, Soren était le petit fils d'un "petit gardien de moutons" ayant fait fortune dans le commerce de la laine. Victime de la "mélancholie familiale", il était l'un des deux fils survivants d'une famille de sept enfants semblant marquée par une malédiction qui emportait ses membres avant l'âge de 33 ans. Au regard de son parcours, de la marge fine entre folie et génie et de sa relation privilégiée avec Régine, ses différents écrits son relus, cités et analysés par les personnages pour leur redonner du sens : discours édifiants, Journal du séducteur, l'instant, Le Lis des champs et l'oiseau du ciel, La reprise, Ou bien... Ou bien, Coupable non coupable, Crainte et tremblement, Point de vue explicatif de mon œuvre, etc

Un très beau roman qu'on lit presque d'une traite, emportés vers une autre époque, dans le sillage de ces personnages avec lesquels on vit, le temps d'un livre, alors qu'ils nous apportent comme une évidence leur éclairage sur la personnalité et l'œuvre entière de Kierkengaard.

Tiré du texte :
Presque neuf mois entre ce signe d'adieu et son décès. 
Comme si, en partant aux antipodes, j'avais accouché de sa mort. La seule grossesse que je connaîtrais ?

Frederick affirme qu' on ne saurait le classer parmi les philosophes, en tout cas pas un philosophe traditionnel. 
Selon lui, ce serait plutôt un penseur religieux. Mais également un poète et un romancier.

"je souhaite ici exprimer que je fus et demeure aussi obligé par les fiançailles que par un mariage,
 et c'est pourquoi mon héritage lui revient exactement comme si nous avions été mariés."

Cette œuvre considérable, ces milliers de pages foisonnante, novatrices, ont été publiées en sept années, de 1843 à 1850, 
entre trente et trente-sept ans ! (...) l'essentiel avait été élaboré (...) dans le sillage de la souffrance et de la séparation.

Le premier grand amour de Soren Kierkengaard fut entre son père et lui. Ce qui n'altère en rien celui qu'il me voua.
 Comme je peux dire : j'aime Frederick, sans renier mon lien à Soren. 

Comment parvient-il à concilier ce thème essentiel chez lui- choisir son existence, devenir soi (...)-
avec le thème augustinien, luthérien (...) : l' homme ne peut rien sans la grâce divine ? (...)
 M'est simplement revenu une phrase de lui :"Tout dort paisiblement sauf l'amour." 

Me revient un passage de je ne sais plus quel ouvrage : tu compares le lecteur à un oiseau picorant ce qui fait sens pour lui, 
ou plutôt donnant sens à ce qui est écrit et n'est jamais figé puisque, selon toi, 
ne saurait exister une signification unique par l'auteur, le lecteur est créateur.

Titre : Tout dort paisiblement sauf l'amour 
Auteur : Claude Pujade-Renaud
Première édition : 2016

mardi 14 janvier 2020

The Topeka School de Ben Lerner


The Topeka School ouvre ses pages à la famille Gordon :
Adam, le fils, apparaît alternativement sous ses traits de lycéen, promo 97, et celui de père de deux fillettes / jeune prodige des concours oratoires à la conquête d'un titre national et jeune adulte qui revient à ses sources.
Jane, la mère, est psychologue et auteur feministe réputée.
Jonathan, le père, est psychologue également, spécialiste des garçons refermés.
Entre leurs voix qui interviennent en alternance--récits introspectifs, anecdotes, interviews-se fait aussi entendre celle de Darren Eberheart, jeune retardé mental qui fut brièvement "inclus" par ses pairs à la fin de leurs années lycée, un souvenir qui pèse sur la conscience d'Adam.
Et puis un lieu, le campus de Topeka, centre de "renommée mondiale" dans le domaine de la psychologie, attirant à ses heures de gloire chercheurs de tous poils et de toutes origines dans une bulle intellectuelle foisonnante.

Un roman psychologique dans lequel chacun fait son introspection pour arracher les mauvaises herbes, les peurs, le passé refoulé, une relation incestueuse, une infidélité, une amitié brisée, etc. Sur fond d'une Amérique qui change, le passé est décortiqué ; il y a le poids de ce qu'on ne veut pas reproduire, la volonté de bien et de mieux faire et les réalités qui  poussent à l'impulsion et prennent parfois le pas sur la raison. Des relations parfois ambiguës et une analyse globale à la charnière des époques, des croyances, des points de vues pour aborder des questions comme l'éducation, la place des garçons dans la société, celle des femmes, la place dans le groupe ou l'inclusion.

Un roman reprenant des éléments autobiographiques de l'auteur sur Topeka et sur sa propre pratique des concours* oratoires par exemple mais avec lequel je n'ai finalement pas réellement réussi à accrocher : le contexte culturel est très particulier, peut-être trop américain et trop intellectuel pour pouvoir m'y retrouver et adhérer.
J'en avais lu de bonnes revues mais personnellement, je ressors de cette lecture avec une impression "qu'on se gratte un peu trop le cerveau" qui ne me convainc pas, pas plus qu'elle ne me convient.

*Nota : on apprend au passages quelques éléments très intéressants sur ces concours oratoires / débats et leurs dérives qui semblent impacter les discours et la politique américaine actuels. (Notamment : notions de "spread" - parler très vite en incluant un maximum d'arguments- et de "extemporaneous"- discourir sur un sujet sans notes ni aucun filet).

Tirés du texte :
The spread was controversial (...). Old-timer coaches longed for the days when debate was debate. The most common criticism of the spread was that it detached policy debate from the real world, that nobody used language the way that these debaters did, save perhaps for auctioneers. (...) 
Even before the twenty-four hour news cycle, Twitter storms, algorithmic trading, spreadsheets, the DDos attack, Americans were getting "spread" in their daily lives; meanwhile, their politicians went on speaking slowly, slowly about values utterly disconnected from their policies.

Titre anglais : The Topeka School
Pas encore de traduction française
Auteur : Ben Lerner
Première édition : 2019

lundi 13 janvier 2020

Nous sommes tous des féministes / We should all be feminists de Chimamanda Ngozi Adiche

Plus opuscule que livre, cette publication reprend la conférence faite par Chimamanda Ngozi Adichie devant une audience TedEx réunie sur le thème de l'Afrique. Elle y développe le sujet du féminisme, mot à la connotation  parfois plutôt négative mais nécessitant toutefois qu'on y réfléchisse pour permettre une évolution de la société en passant par l'éducation des enfants. Une conférence percutante, nourrie d'exemples personnels même si on n'y apprend finalement pas tant de nouvelles choses.
Peut-être juste une mise en bouche pour nourrir une envie de recreuser un peu plus ce sujet du féminisme au travers de la littérature et aussi celle de continuer à suivre cette écrivaine brillantissime.
À suivre.

Conférence TedEx sur le Féminisme Vidéo YouTube / TedEx Chimamanda Ngozi Adichie
Voir aussi sa conférence sur les dangers de la pensée unique "The danger of a single story"

Du même auteur, voir aussi :
L'autre moitié du soleil / Half of a yellow sun

Titre original : we should all be feminists
Titre français : nous sommes tous féministes
Auteur : Chimamanda Ngozi Adichie
Première édition : 2012

dimanche 12 janvier 2020

Degels / Disappearing earth de Julia Phillips

A missing child is most likely to come home in the first hour after disappearance. Every hour after that, the chance of a happy reunion decreases; by the time twenty-four hour go by, a missing child is almost certainly dead.

Sur la péninsule du Kamchatka, par un beau jour d'été, deux petites filles disparaissent en semant l'émoi au sein de la population de cette terre isolée aux confins de la Russie. Au fil des mois, on découvre la façon dont ce mystère impacte, de près ou de loin, la vie d'une dizaine de femmes.

Si la disparition des deux fillettes est bien sûr au cœur du roman, l'enquête qui est déployée pour trouver une explication ne l'est pas: en fait, elle ne sert que de prétexte et de point commun à l'élaboration d'un certain nombre de portraits de femmes à l'ère post-soviétique avec leur ennui, leurs peurs, leurs désirs, leurs rêves, etc. À travers elles, l'auteur dresse finalement le tableau d'une géographie au fil des saisons- un lieu contraint et des paysages sauvages magnifiques, forêts, volcans et phénomènes associés- ainsi que le portrait d'une société et de son histoire- les "russes blancs", les minorités "natives" comme les évènes, éleveurs de Rennes qui rapellent la Mongolie, les rapports hommes femmes, l'alcool, l'éducation, les rapports générationels, la place dans la communauté, le travail, la maternité, etc.

Une approche inédite et originale, des portraits brutaux mais sensibles, pleins d'émotions, et sans concession dans un cadre  méconnu, sauvage et fascinant, dégels/Disappearing earth est un premier roman magnifiquement écrit qui offre à la fois évasion et découverte au bout du bout du monde : décidément, après l'Afrique de Kintu, le dépaysement se poursuit du côté de la péninsule du Kamchatka... une année de lecture qui commence bien ❤️.

Titre original : Disappearing Earth
Titre français : Dégels
Auteur : Julia Phillips
Première édition : 2019
Aux États-Unis, finaliste du prix "National Book Award 2019" et tête de la liste des 10 meilleurs romans 2019 du New York Times et de nombreux autres journaux.

jeudi 9 janvier 2020

Kintu / Kintu de Jennifer Nansubuga Makumbi

On ne s'aperçoit pas qu'on est maudit jusqu'à ce qu'on soit exposé à cette autre façon de vivre.

L'histoire commence dans la violence, par le lynchage du jeune Kamu sur un marché. Elle nous emmène ensuite au 18ème siècle, au royaume du Bunganda, sur les traces de Kintu Kidda, l'ancêtre qui, à la suite d'une gifle mortelle malheureuse et malgré les précautions prises, attira une redoutable malédiction sur toute sa descendance.
Au fil des "cinq livres" qui constituent ce roman et qui démarrent tous le 5 janvier 2004 avant de repartir dans le passé, nous découvrirons le destin tragique des héritiers infortunés de Kintu Kidda : Suubi Nnakintu, Kanani Kintu, Isaac Newton Kintu et Miisi Kintu. Enfant abandonné et livré à lui-même, inceste, folie, suicide, sida, guerre, les maux s'abattent comme la normalité dans les différentes branches plus ou moins éduquées, plus ou moins religieuses, de cette famille maudite caractérisée par la jumelité. Alors, pour essayer de surmonter toute cette fatalité, les "anciens" du clan dispersé vont tenter de le reconstituer et de le rassembler sur les terres ancestrales afin d'acomplir les cérémonies rituelles- superstitions pour certains- seules capables de vaincre le mal.

Pas toujours facile à suivre avec les changements temporels et patronimiques mais un roman dépaysant qui nous mène en Ouganda, au cœur du continent africain. Une sorte de saga familiale aux ramifications multiples et indépendantes au départ et une approche d'écriture originale pour brasser ces histoires personnelles à un passé historique post-colonial douloureux et trouble. La partie pré-coloniale évoquant un monde traditionnel disparu est quant à elle particulièrement intéressante et bien mise en scène.
Entre drames, résilience et espoirs, un premier roman original qui compte et qui vient enrichir cette jeune littérature africaine, ougandaise en l'occurence.

D'origine Ougandaise, l'auteur vit aujourd'hui en Angleterre ; une voix/plume pour le moins ensorcelante qui apporte un nouveau souffle à la littérature mondiale.
À suivre.


Tiré du texte :
Africanstein
Ekisode
Contrairement au reste de l'Afrique, le Bunganda se laissa attirer sur la table d'opération par des flatteries et des promesses. Le protectorat était la chirurgie plastique censée conduire plus rapidement le corps africain léthargique à la maturité. Mais une fois son patient sous chloroforme, le chirurgien fut libre de faire ce qui lui chantait. D'abord, il sectionna les bras et les jambes puis mis les membres noirs dans un sac-poubelle avant de les jeter. Il prit ensuite des membres européens et entreprit de les greffer sur le torse noir. Quand l'africain se réveilla, l'européen s'était installé chez lui.
Bien que l'africain ait été trop faible pour se lever, il dit tout de même à l'européen : "Je n'aime pas ce que tu es en train de faire, mon ami. Sors de chez moi, s'il te plaît." Mais l'européen répondit : "J'essaie seulement de t'aider, mon frère. Tu es encore trop faible et trop groggy pour t'occuper de ta maison. Je vais m'en occuper en attendant. Quand tu seras complètement rétabli, je te promets que tu travailleras et que tu courras deux fois plus vite."
Mais le corps africain rejeta les membres européens. L'Afrique dit qu'ils sont incompatibles. Les chirurgiens disent que l'Afrique est sortie de l'hôpital trop tôt et que c'est pour cela qu'il y a une hémorragie. Il lui faut une intraveineuse beaucoup plus régulière de sang et d'eau. L'Afrique dit que le sang et l'eau sont trop chers. Les chirurgiens disent : "mais non, nous avons fait la même chose avec l'Inde, et regarde comme elle court vite."
Quand l'Afrique se regarda dans le miroir, elle se trouva hideuse. Elle regarda dans les yeux des autres pour voir comment ils la voyaient : il y avait de la révulsion. Cela donna à l'Afrique la permission de s'automutiler et de se haïr. Parfois quand le monde a le dos tourné, les chirurgiens remuent le couteau dans les plaies de l'Afrique. Quand elle tombe, les chirurgiens disent :"vous voyez, on vous avait dit qu'ils n'étaient pas prêts."
Nous ne pouvons pas retourner sur la table d'opération pour réclamer les membres africains. L'Afrique doit apprendre à marcher sur des jambes européennes et à travailler avec des bras européens. Avec le temps, les enfants naîtront avec des corps évolués et avec le temps, l'Afrique évoluera en fonction de sa nature d'Ekisode et prendra sa forme la meilleure. Mais celle-ci ne sera ni africaine ni européenne. Alors la douleur s'estompera.

Titre français : Kintu
Titre anglais : Kintu
Auteur : Jennifer Nansubuga Makumbi
Première édition : 2014

lundi 6 janvier 2020

Petit bilan des livres et des books chroniqués en 2019


Plus de 90 livres chroniqués sur des livres et des books en 2019.
Dans ma sélection "bilan" de cette année, il faut retenir la dimension internationale qui est particulièrement représentée.
En 2019, je me suis détachée de l'actualité franco-française,
pour des lectures choisies afin d'accompagner des voyages et la découverte de pays,
 ou pour alimenter un intérêt purement personnel selon l'humeur du moment :

Suivez les liens !

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CHILI 🇨🇱 :

À l'exception de Caryl Férey (voir ci-après 🇨🇵), quelques lectures difficiles ou décevantes d'auteurs français mais d'excellents romans de la littérature chilienne, certains marquants, dont je retiens : 

❤️ Isabel Allende :
 La maison aux esprits / House of Spirits (Saga familiale et histoire d'un pays)
 Le cahier de Maya / Maya's Notebook (Etats-Unis et Chiloé Chili /redécouverte d'une identité pour une jeune femme à la dérive)
 L'amant japonais / The Japanese Lover (Saga familiale / Seconde guerre mondiale, l'exil, les amours interdites, les camps japonais)

Carla Guelfenbein,
❤️❤️❤️ Nager Nues (Quand l'intime et l'histoire ne font qu'un, d'un 11 septembre à l'autre, 1973/2001)

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CORÉE 🇰🇷 :

Une littérature coréenne de plus en plus accessible en français, offrant des textes très intéressants sur ce pays de coeur d'Asie du nord-est :
Ma très chère grande soeur de Gong Ji-young (L'auteur se souvient de sa grande "sœur" à la position familiale ambiguë)
❤️❤️❤️ Nos jours heureux de Gong Ji-young (Un roman qui fait réfléchir à la question de la peine de mort)
❤️ Parce que je déteste la Corée de Chang Kang-myoung (Le choix de l'exil pour se libérer des carcans d'une société trop rigide)
❤️ Ma mémoire assassine de Kim Young-ha (Un ancien tueur en série atteint d'Alzheimer)

... Et roman étranger sur la Corée d'une auteure américaine à laquelle je suis fidèle :
❤️ The Island of See Women de Lisa See (🇺🇸) (Plongeuses de Jeju et histoire douloureuse de cette île située au sud de la Corée)

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ÉTATS-UNIS 🇺🇸 et littérature anglophone :

Côté auteurs, je suis littéralement "tombée" sous la plume d'IrvinYalom, Essai ou romans, il sait rendre abordable psychanalyse et grands philosophes (Schopenhauer, Nietzsche et Spinoza) qu'il met à la portée de tous avec des histoires qu'on ne lâche pas :
Le jardin d'Épicure / Staring at Sun (Le sujet de la mort en psychanalyse, partage d'expérience),
La méthode Schopenhauer /The Schopenhauer Cure,
Et Nietzsche a pleuré / When Nietzsche wept,
Le problème Spinoza / The Spinoza problem

Dans un autre registre, j'ai aimé la saga de la sage-femme des Appalaches de Patricia Hartman qui a su y combiner son expérience de sage-femme à l'histoire d'une commune rurale, de la grande dépression à l'entrée du pays dans la deuxième guerre mondiale :
La sage-femme des Appalaches / The Midwife of Hope River,
The Reluctant Midwife,
Once a Midwife.

Autres livres notables à l'ouest de l'Atlantique:
❤️ My absolute darling / my absolute darling de Gabriel Tallent (Sorte de huis clôt familial père-fille en milieu survivaliste)
❤️ Le chant des revenants / Sing, Unburied, Sing de Teswyn Ward (Trois générations, fantômes, racisme et misère de vies ordinaires)
Le lilas ne refleurit qu'après un hiver rigoureux / Lilac Girls de Martha Hall Kelly (Trois femmes, un lien: les "lapins" de Ravensbrück)
❤️❤️❤️ Une éducation / Educated de Tara Westover (Témoignage. Grandir et s'affranchir d'une famille survivaliste toxique)
❤️ A Single Thread de Tracy Chevalier (Condition d'une femme en recherche d'indépendance /Angleterre / Entre deux guerres)

Et dans le domaine Thrillers/romans noirs, un vrai coup de poing avec la découverte de la trilogie de la griffe du chien (🇲🇽, la guerre contre les narcotrafiquants du Mexique) de Dan Winslow :
La griffe du chien / The Power of the dog (volume 1)
Cartel / The Cartel (volume 2)

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FRANCE 🇨🇵 et littérature francophone : 

Des auteurs français dont je poursuivrai la découverte, ajoutés à mes "valeurs sûres" :
Isabelle Autissier La célèbre navigatrice est aussi une excellente romancière qui nous livre des histoires magnifiquement documentées, bien écrites et prenantes :
❤️ L'amant de Patagonie (Ushuaia, fin du XIXeme siècle et de la vie traditionnelle des indiens soumis à l'évangélisation 🇬🇧🇦🇷🇨🇱)
Seule la mer s'en souviendra (Roman basé sur l'histoire vraie de Donald Crowhurst🇬🇧)
Caryl Férey Romancier voyageur, auteur de thrillers passionnants, remarquable pour sa capacité à intégrer à ses trâmes les dimensions historiques, politiques et sociologiques des pays qu'il aborde.
Condor (Chili 🇨🇱), 
Mapuche (Argentine🇦🇷),
Zulu (Afrique du Sud 🇿🇦)

Du côté du Québec, un coup de cœur tout particulier pour Éric Plamondon (🇨🇦) :
❤️❤️❤️ Taqawan (Sort d'une minorité indienne, violences et bras de fer)
♥️ Oyana (Entre pays Basque et Canada, une question d'histoire et d'identité pour une ancienne de l'ETA malgré elle)

Je reste aussi fidèle à Gaëlle Josse  (🇨🇵) même si je ressens de la frustration avec certains de ses romans que je trouve malheureusement inégaux :
Une femme en contre-jour (Histoire de Susan Maier, photographe franco-américaine découverte par hasard, de façon posthume)
❤️ Une longue impatience (Une mère attend le retour de son fils, hymne magnifique à l'amour maternel)
Le dernier gardien d'Ellis Island (Les derniers jours du centre d'immigration d'Ellis Island avant de rendre la clé)

Quelques textes particulièrement forts et marquants, tirés de l'actualité littéraire... ou pas :
❤️ Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer (Derniers jours de Magda Goebbles et d'une colonne de prisonniers des camps)
Les choses humaines de Karine Tuil (Procès pour viol et la difficulté de qualifier la notion de "consentement").
Né d'aucune femme de Franck Bouysse (Une plongée en enfer dans l'univers du mal.)
❤️ Le lambeau de Philippe Lançon (Témoignage de la reconstruction d'une "gueule cassée" après l'attentat de Charlie Hebdo)
❤️ Manifesto de Leonor de Recondo (La mort du père et les souvenirs qu'elle génère, beaucoup de douceur)
La mémoire sous les vagues de Laurence Coquiaud (Japon🇯🇵, tsunami de 2011 et convergence d'histoires avec une Geisha oubliée)
❤️ La petite fille sur la banquise d'Adélaïde Bon (Témoignage, une vie qui bascule à 9 ans)
Les déracinés de Catherine Bardon (Odyssée d'une famille juive réfugiée en République Dominicaine 🇩🇴)
❤️❤️❤️ Pitié pour le mal de Bernard Tirtiaux (🇧🇪) (Épopée de deux enfants pistant un cheval réquisitionné par les Allemands) 

📖📖📖📖📖

ISLANDE 🇮🇸 :

Petit pays de 350'000 habitants, l'Islande n'en a pas moins une littérature importante, riche, dont les quelques textes déjà découverts sont particulièrement poétiques et joliment écrits.

Deux trilogies entamées avec un auteur qui me régale, Jon Kalman Stefansson :
D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds/Fish have no feet (Saga familiale)
❤️ Entre ciel et terre/Heaven and Hell (Roman initiatique d'un jeune garçon à la fin du XIXeme siècle en Islande)
❤️ La tristesse des anges / The Sorrow of Angels (Suite d'entre ciel et terre/Heaven and Hell)

Miss Islande de Audur Ava Olafsdottir (Roman iniatique d'une jeune islandaise dans les années 1960)
❤️ La lettre à Helga de Bergsveim Birgisson (À la fin de sa vie, lettre d'amour d'un vieil homme à la femme qu'il a aimé)

Et dans le genre romans noirs, un auteur incontournable, Arnaldur Indridason :
Les nuits de Reykjavik / Reykjavik Nights
La cité des Jarres / Jar City
La femme en vert / Silence of the grave

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ITALIE 🇮🇹 :
Deux grandes sagas romanesques pour se laisser emporter sous la plume de Luca Di Fulvia :
Les enfants de Venise (Entre Rome et Venise au 16ème siècle)
❤️❤️❤️ Le gang des rêves (Un immigrant italien dans l'Amérique des années 1920-1930🇺🇸)

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THAÏLANDE 🇹🇭 :

Difficile de trouver de la littérature thaï de qualité en français ou en anglais, en particulier en publication digitale. Par contre, beaucoup de polars / thrillers dont la série Bangkok de John Burdett, incontournable. Les premiers épisodes sont excellents même s'ils commencent à dater ... le dernier très mauvais...
John Burdett (🇬🇧) série Bangkok :
Bangkok 8 / Bangkok 8,
Bangkok Tattoo / Bangkok Tattoo,
Bangkok psycho / Bangkok Haunts,
le parrain de Katmandou / The godfather of Kathmandu,
le pic du vautour / Vultur Peak, 
le Joker / The Bangkok Assett.

Voir aussi :
Une sélection des livres et des books chroniqués en 2018

vendredi 3 janvier 2020

La tristesse des anges / The Sorrow of Angels de Jon Kalman Stefansson

La tristesse des anges / The Sorrow of Angels est la suite d'Entre Ciel et Terre / Heaven and Hell : nous y retrouvons le "gamin", installé au village depuis trois mois, donnant un coup de main à Helga qui l'accueille ; il sert au bar, fait les courses et la lecture au vieux capitaine aveugle. De nouvelles perspectives et une éducation semblent se profiler pour le jeune garçon fasciné par les livres, troublé par la fille du marchand qui flirte et l'aguiche. Mais avant, il doit accompagner Jens le facteur dans sa nouvelle tournée vers le nord. Alors que le printemps tarde à se manifester, le colosse solitaire et le jeune garçon curieux et bavard vont devoir affronter d'effroyables tempêtes de neige et des vents impitoyables.

Dans une langue poétique magnifiquement évocatrice, Jon Kalman Stefansson nous entraîne dans l'enfer du grand froid islandais qui pousse les êtres à l'extrêmité de leurs forces et de leur âme. Des personnages opposés qui se côtoient, s'apprivoisent et finissent par se dévoiler, poussés par les éléments et l'isolement, pour aller aux questions essentielles : l'amour, la vie, la mort.
À la frontière de la vie et de la mort, soumis aux esprits et/ou aux mirages, l'être humain paraît à la fois bien faible et immense. Ce roman dépouille ses personnages qui apportent la flamme de leur humanité au creux de la glace et du blanc envahissant qui les mettent à l'épreuve jusqu'à l'étouffement. Il nous offre également le tableau brutal d'une nature sauvage ; la rudesse de la vie en Islande à la fin du XIXème siècle.

Du froid et de la souffrance dans ce livre mais aussi de la chaleur et de la solidarité ; peu d'action mais beaucoup de mots qui s'enchaînent avec une certaine magie, porteurs de toute une culture pour composer un texte littéraire d'exception, riche d'humanité.

Quant à la dernière page et son goût d'incertitude, elle ne peut que nous inciter à poursuivre la lecture pour clôre cette trilogie.
À suivre.

Du même auteur :
Entre ciel et terre/ Heaven and Hell
D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds / Fish have no feet

Titre français : La tristesse des anges
Titre anglais : The Sorrow of Angels
Auteur : Jon Kalman Stefansson 
Première édition : 2009