lundi 26 juillet 2021

Nous rêvions juste de liberté de Henri Loevenbruck

J'ai appris la paix, j'ai appris la vanité, l'éphémère, la fragilité des choses et le souffle léger de la vie, j'ai vu la brièveté de l'existence, j'ai vu le temps qui passe et qui n'est rien, j'ai ri de nos espoirs idiots, de nos combats imbéciles, 
et plus rien ne m'a paru aussi grand que la route elle-même. 
 
En prison, un homme se souvient de ce qui l'y a conduit, un simple "nous rêvions juste de liberté" érigé en principe de vie  ... 
A Providence il y avait d'abord la "bande à Freddy" avec Oscar, Alex, et lui, Hugo alias "Bohem" surnommé ainsi parce qu'il vivait alors dans une roulotte, celle que lui avait laissé Papy Gallo. Une bande de copains en guise de famille pour faire les quatre cents coups et se substituer à celle de naissance marquée par les coups, le manque d'amour et une petite sœur, Véra, fauchée trop jeune par une moto. 
Plus tard, il y a la bande à Bohem et sa moto Lipstick, un road trip à moto à travers les États-Unis pour échapper à l'ennui dans une fuite éperdue et tenir une promesse, retrouver le frère d'Alex. Une vie de nomades sans attaches, toujours sur la route, à laquelle viennent s'adjoindre Sam, Fatboy, Mani puis les filles, Mélaine et Ally. Une vie de rencontres, d'amitié, d'indépendance, de folies parfois, de projets, de trahisons et la solitude aussi. Un parcours initiatique qui a pour prix, celui de la liberté.
 
Dans un style "parlé familier", celui de Bohem, Henri Loevenbruck nous entraîne dans un road trip ébouriffant qui n'est pas sans rappeler, dans un registre un peu différent, le film emblématique de 1969, Easy-Rider avec Henri Fonda. Cette inoubliable bande de gamins sans éducation, franchement déjantée mais néanmois attachante, est animée par le désir de vivre et d'exister ; il y a de l'insoumission, le mépris des conventions mais aussi des valeurs, la drogue, des trafics, des bagarres, des bêtises petites et grosses, de l'innocence et de la violence, du sexe et du Rock'n Roll. Une horde ne respectant qu'un seul code LH&R (Loyauté, Honneur et Respect) auquel Bohem ne dérogera jamais et une épopée aigre-douce prenant pour terrain de jeux les grands espaces américains et le monde des clubs de motos qu'on découvre, avec leurs règles, leurs affiliations et leurs codes particuliers.
 
Un souffle épique contemporain endiablé, porté par un vent de liberté. Explosif !
 
Tirés du texte :
Dans la vie, je crois qu'il vaut mieux montrer ses vrais défaut que ses fausses qualités. Vaut mieux surprendre que décevoir.
 
Essaie de ne jamais oublier tes rêves. La vie, les gens, tous essaieront de t'empêcher d'être libre. La liberté, c'est un boulot de tous les jours. Un boulot à plein temps. 
 
Titre : nous rêvions juste de liberté
Auteur : Henri Loevenbruck
Première édition : 2015 

vendredi 23 juillet 2021

La panthère des neiges de Sylvain Tesson

Ecrivain-voyageur, Sylvain Tesson a été invité par Munier* à se joindre à son expédition sur les contreforts de l'Himalaya où il veut immortaliser la panthère des neiges par ses clichés, animal disparu selon certains mais dont il pense retrouver la trace. 
Une équipe à quatre, complétée par Marie, compagne de Munier passionnée de reportages animaliers, et Léo, technicien en charge du matériel dans laquelle Sylvain Tesson fait un peu office de "joker", tout à la fois compagnon, témoin et de chroniqueur. 
 
Dans cette Panthère des Neiges, il nous rapporte cette aventure unique sur les sommets tibétains, menée dans des conditions extêmes : la neige, le froid, l'altitude, l'isolement, l'univers minéral impropre à la survie de l'homme, etc. Un milieu hostile abritant pourtant un sanctuaire animalier pour qui sait observer et se fondre dans le décors afin d'y déceler la vie qui s'y cache. Une expérience très différente des récits de voyages auxquels il nous a habitué parce que cette fois, ce n'est pas tant le périple qui compte mais plutôt l'affût fait de l'attente et de la patience qu'il nécessite. Dans le silence de ces haut lieux spirituels, c'est l'esprit de l'écrivain qui vagabonde dans une aventure plus intime, plus spirituelle aussi parce que l'immobilité pousse à l'introspection et à la contemplation dans une attitude quasi méditative.
 
Un texte presque mystique, incomparable, marqué du talent, de la culture et de l'émerveillement de Sylvain Tesson, étayé d'autodérision, de pensées, d'aphorismes, de réflexions, de citations, de bons mots. 
Un témoignage précieux et un pur moment de bonheur littéraire ♥ !
 
* Vincent Munier / le photographe animalier

Tirés du texte :
L'affût est un pari : on part vers les bêtes, on risque l'échec. Certaines personnes ne s'en formalisent pas et trouvent plaisir dans l'attente. Pour cela, il faut posséder un esprit philosophique porté à l'espérance.

Sur ces pentes de loess les troupeaux laissaient leurs pointillés d'empreintes. La haute couture du monde.
 
Les scientifiques le regardaient de haut. Munier considérait la nature en artiste. (...) Il célébrait la grâce du loup, l'élégance de la grue, la perfection de l'ours. Ses photos appartenaient à l'art, pas à la mathématique.
 
C'était un paysage de désert minéral que des mouvements magmatiques auraient hissé au ciel. Ces spectacles constituaient l'héraldique de la haute Asie : une ligne de bête au pied d'une tour posée sur un glacis. Tous les jours, dans les à-plats arasés, nous prélevions nos visions : des rapaces, des pikas - le nom des chiens de prairie tibétains -, des renards et des loups. 
Une faune aux gestes délicats adaptés à la violence des altitudes.
 
L'énergie du monde circulait en un cycle fermé, du ciel aux pierres, de l'herbe à la chair, de la chair à la terre, sous la houlette d'un soleil qui offrait ses photons aux échanges azotiques. (...) Tout passe, tout coule, tout s'écoule, les ânes galopent, les loups les pourchassent, les vautours planent : ordre, équilibre, plein soleil. 
Un silence écrasant. Une lumière sans filtre, peu d'hommes. Un rêve.    

On pouvait s'échiner à explorer le monde et passer à côté du vivant (...)
Désormais je saurais que nous déambulions parmi des yeux ouverts dans des visages invisibles. Je m'acquittais de mon ancienne indifférence par le double exercice de l'attention et de la patience. Appelons cela l'amour. (...)
Les bêtes sont des gardiens de square, l'homme y joue au cerceau en se croyant le roi. 
C'était une découverte. Elle n'était pas désagréable. Je savais désormais que je n'étais pas seul. 

Les artistes le savent : le sauvage vous regarde sans que vous le perceviez. Il disparaît quand le regard de l'homme l'a saisi. 

Munier, tristement :
- Mon rêve dans la vie aurait été d'être totalement invisible.
La plupart de mes semblables, et moi le premier, voulaient le contraire : nous montrer. 
Aucune chance pour nous d'approcher une bête. 

Hier, l'homme apparut, champignon à foyer multiple. Son cortex lui donna une disposition inédite : porter au plus haut degré la capacité de détruire ce qui n'était pas lui-même tout en se lamentant d'en être capable. 
A la douleur, s'ajoutait la lucidité. L'horreur parfaite. 
 
Novalis l'avait dit plus subtilement : "nous cherchons l'absolu, nous ne trouvons que des choses."(...)
L'affût était une prière. En regardant l'animal, on faisait comme les mystiques : on saluait le souvenir primal. 
L'art aussi servait à cela : recoller les débris de l'absolu. 
 
Les animaux incarnent la volupté, la liberté, l'autonomie : ce à quoi nous avons renoncé. 

Les canyons ouvraient des couloirs obscurs. Ils appelaient trois races : le contemplateur, le prospecteur, le chasseur. 
Nous étions de la première.
 
-Ne mettez pas de boules Quies, les loups vont peut-être chanter.
C'était pour entendre des phrases pareilles que je partais en voyage. 
 
L'intelligence de la nature féconde certains êtres sans qu'ils aient accompli d'études. Ce sont des voyants, ils percent les énigmes de l'agencement des choses là où les savants étudient un seule pièce de l'édifice.
 
Pendant que mes amis détaillaient le monde à la lunette, j'étais à l'affût d'une pensée, pire ! d'un bon mot. J'écrivais des aphorismes dès que je le pouvais. L'occasion était difficile car les gerçures faisaient saigner les doigts.
 
A huit ans, ces mômes avaient la notion de la liberté, de l'autonomie et des responsabilités, la morve au nez, le sourire en coin, un poêle comme seconde mère et un troupeau de géants à charge (...)
Ils échappaient à l'infamie de nos enfances européennes ; la pédagogie, qui ôte aux enfants la gaieté. 
 
Je croyais depuis longtemps que les paysages déterminent les croyances. Les déserts appellent un Dieu sévère, les îles grecques font pétiller les présences, les villes poussent au seul amour de soi, les jungles abritent les esprits. Que des bons pères aient réussi à conserver leur foi en un Dieu révélé au milieu des forêts où criaient les perroquets me paraissait un exploit. 
 
J'avais appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre le transformer. Elle invitait à s'asseoir devant la scène, à jouir du spectacle, fut-il un frémissement de feuille. 
La patience était la révérence de l'homme à ce qui était donné. (...)
Attendre était une prière. Quelque chose venait. Et si rien ne venait, c'était que nous n'avions pas su regarder.
 
L'affût commande de tenir son âme en haleine. L'exercice m'avait révélé un secret : on gagne toujours à augmenter les réglages de sa propre fréquence de réception. Jamais je n'avais vécu dans une vibration des sens aussi aiguisée que pendant ces semaines tibétaines. Une fois chez moi, je continuerais à regarder les monde de toutes mes forces, à en scruter les zones d'ombre. Peu importait qu'il n'y eût pas de panthère à l'ordre du jour. Se tenir à l'affût est une ligne de conduite. Ainsi la vie ne passe-t-elle pas l'air de rien. On peut tenir l'affût sous le tilleul en bas de chez soi, devant les nuages du ciel et même à la table de ses amis. 
Dans ce monde, il survient plus de choses qu'on ne le croit.   

Titre : La panthère des neiges
Auteur : Sylvain Tesson
Première édition : 2019

lundi 19 juillet 2021

Rivage de la colère de Caroline Laurent

 
2018. Joséphin enteprend un voyage vers la cours internationale de La Haye où justice doit être rendue sur le cas des Chagos. 
Il porte la mémoire et le combat de sa mère, Marie.     
 
1967. Marie-Pierre Ladouceur vit à Diego Garcia dans l'archipel des Chagos. Ces îles perdues au coeur de l'océan indien sont alors rattachées à l'île Maurice, sous administration coloniale anglaise. Depuis plusieurs générations, la population locale y mène une vie simple, employée majoritairement à la plantation de cocotiers exploitée pour la fabrication d'huile. Les rares navires d'approvisionnement apportent un peu d'animation et c'est de l'un d'eux que débarque un jour Gabriel, le nouveau secrétaire de l'administrateur colonial local. Le jeune homme originaire de Port Louis a quitté sa famille, un geste de défi contre son père autoritaire et abusif refusant de le laisser partir à Londres poursuivre ses études. 
Tout les sépare et pourtant l'attirance est immédiate entre le citadin mauricien et Marie qui va lui faire découvrir sa culture et la vie sur l'île ; leur idylle va toutefois être rapidement mise à l'épreuve, par le secret que chacun porte, l'un personnel, l'autre politique alors qu'à l'heure de l'indépendance de Maurice le sort des Chagos et de ses habitants fait l'objet de tractations secrètes : les anglais veulent en garder le contrôle afin de conclure un bail au profit des Etats-Unis qui vont y installer une base militaire, un contrat stipulant qu'il s'agit d'îles "inhabitées" scellant sans aucun état d'âme le sort des chagossiens. Ceux-ci sont donc "invités à partir" par différents moyens plus ou moins persuasifs avant une déportation manu-militari pour les plus récalcitrants, en 1971, dans des conditions de raffle particulièrement traumatisantes, sans aucun espoir de retour. 
Il sera alors question de déracinement, d'exil, de misère, de déclassement, d'identité, d'abandon, de révolte, de manipulations, de promesses non tenues, et d'un combat pour la justice ...
 
Au travers de la vie romancée de Marie-Pierre, de sa soeur Josette, de Gabriel, de Suzanne, de Joséphin, de Christian et de tant d'autres personnages plus attachants les uns que les autres, Caroline Laurent nous fait découvrir ce drame historique méconnu et soigneusement vérouillé par les autorités britanniques afin de s'en affranchir et ne jamais en subir les conséquences. Alternant entre le présent de Joséphin (chapitres courts) et le passé de Marie (chapitres longs), le romanesque et l'historiques se combinent parfaitement pour nous tenir en haleine et nous faire appréhender la réalité humaine si peu considérée au moment de la décolonisation et de l'indépendance de l'île Maurice, l'archipel des Chagos réduit à un objet de tractation sans aucune considération pour les chagossiens, simples pions sur l'échiquier d'un jeu géopolitique et mercantile qui les dépasse.
 
Un livre bien écrit, très documenté, passionnant quand on est avide de réalités historiques, celles des êtres, des cultures et des vies. Il permet en outre de (re)donner voix à ce "petit peuple" spolié en passe d'être absorbé dans les abysses de l'oubli, analphabète il y a cinquante ans certes, mais dont la mémoire a été transmise aux nouvelles générations auxquelles appartient l'auteur comme elle l'indique en postface.        
Une version moderne et bien réelle du pot de terre contre le pot de fer. A lire sans modération, édifiant !
 
Tirés du texte :
Je ne pars pas en touriste. Je n'ai jamais été un touriste. C'est quoi un touriste ? Un Blanc en bermuda et en tongs qui vient oublier à Maurice qu'il gagne de l'argent ?
 
La justice est la méchante soeur de l'espoir. Elle vous fait croire qu'elle vous sauvera, mais de quoi vous sauvera-t-elle puisqu'elle vient toujours après le malheur. Un verdict, ça ne répare rien. Ça ne console pas. Parfois tout de même, ça purge le coeur. 
 
Le courage est l'arme de ceux qui n'ont plus le choix. Nous sommes tous, dans nos pauvres existences, courageux à un moment ou un autre. Ne soyez pas impatients.
 
Sauvage. Sagouin. Nègre-bois. Voleur. Crevard. Fils de rien.
Chagossien, ça voulait dire tout ça quand j'étais enfant. 
 
Qu'est-ce qui forge une identité ? Un nom, une profession, la couleur d'un passeport, un certain alignement des planètes ?
Ce qui nous fonde, n'est-ce pas simplement l'amour qui a présidé à notre naissance, ou bien l'inverse, l'absence de tout sentiment ?
 
Il n'y a pas d'autre paradis que celui dont on vous donne le regret. 
De même l'enfance qui nous empêche de devenir grands vient à nous manquer le jour où elle s'éloigne.
C'est la perte, c'est la douleur qui crée l'idéal.
 
Tout ce qui a un nom existe. les hommes, les plantes, les pays, les légendes. Un nom, c'est toujours le bourgeon d'un destin. 
 
Un des principaux navires portugais s'appelait le Cinco Chagas. "Cinco chagas, ça veut dire les Cinq Plaies, en référence aux cinq blessures du Christ." Les mains et les pieds cloués, le flanc droit percé par le javelot. Les Chagos portent donc le nom d'un navire et d'une souffrance.
 
Quand on a été forcés de partir, on a perdu tout ça. On a perdu nos biens matériels et immatériels ; on a perdu nos emplois, notre tranquilité d'esprit, notre bonheur, notre dignité, et on a perdu notre culture et notre identité.
 
Le métissage, c'est toujours trop ou pas assez. Il n'y a pas d'équilibre. Pas de recette, pas de dosage. Quoi que vous fassiez, vous serez pris pour celui que vous n'êtes pas. 

Titre : Rivage de la colère
Auteur : Caroline Laurent
Première édition : 2021

jeudi 15 juillet 2021

Ce qu'il faut de nuit de Laurent Petitmangin

 
Toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n'étaient qu'accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards. 

Ce roman est porté par la voix d'un père qui élève seul ses deux fils suite au décès de sa femme, la "Moman", emportée après trois ans de maladie, de chimios, d'hospitalisations. Fus et Gillou, les deux garçons ont du mûrir rapidement, l'un sans doute plus affecté que l'autre malgré leur résilience de façade, âgés respectivement de 13 et 10 ans à la mort de leur mère. 
Le père travaille à la SNCF à l'entretien des caténaires ; c'est un militant engagé à la section PS locale qui accueille de moins en moins de monde au fil des ans ; il suit les matchs de son club de foot, le FC Metz, objet de loisir qu'il partage avec ses garçons dont il s'occupe du mieux qu'il peut. 
Une famille modeste, aimante, dont il raconte le quotidien fait de petits riens : les repas, l'école, les copains, les entrainements de foot, l'orientation ... Pendant dix ans, les enfants grandissent alors qu'évoluent les relations père-fils et que la cohabitation se poursuit malgré une distance de plus en plus pesante avec l'aîné qui s'accoquine avec des jeunes de l'extrême droite jusqu'à ce qu'un drame survienne.        
 
Un père partagé entre l'envie de bien faire et la peur de mal faire, qui fait de son mieux mais angoisse à l'idée de ne pas assurer. Il y a de l'amour et de la sensibilité, de la complicité, des bons moments, des souvenirs partagés mais aussi de plus en plus de non-dits pour éviter les sujets difficiles et le clash, des chemins qui s'éloignent mais ne se séparent pas, drainant leur lot d'incompréhensions. 
Il y a l'aîné et il y a le cadet qui fait tampon entre son père et son frère, il y a celui qui reste et végète et celui qui part avec des perspectives.
Et il y a le drame et les rouages de la "justice" toute puissante qui se mettent en route et s'imposent en brassant la donne des sentiments et de la morale. On touche alors aux questions du rejet et de la honte, de l'acceptation et du pardon, du bien et du mal, de la tolérance ou encore de la réussite ou de l'échec de la transmission des valeurs. Et au coeur de tout ça, il y a celle de l'amour filial et fraternel, conditionnel ou inconditionnel.
 
Une écriture simple et juste articulant avec délicatesse la psychologie des trois personnages, leurs interactions intra et extra-familiales. Mais au delà de l'histoire familiale, on touche aussi au roman social dont l'image d'ensemble plutôt sombre est pourtant non exempte de lumière et d'espoir. 
Ce n'est pas un coup de coeur mais un très bon premier roman lu presque d'une traite, qui laisse présager une jolie carrière à son auteur, à suivre.   

Titre : Ce qu'il faut de nuit
Auteur : Laurent Petitmangin
Première édition : 2020

mercredi 7 juillet 2021

Un amour retrouvé de Véronique de Bure

 
À 73 ans, veuve depuis plusieurs années, Monique reçoit une lettre de son premier amour. 
Elle s'en ouvre à sa fille Véronique (la narratrice) avec qui elle entretient une relation fusionnelle, en lui annonçant "qu'il lui arrive une drôle d'histoire"... 
 
Au fil des pages, Véronique raconte comment cette relation amoureuse interrompue il y a si longtemps reprend un nouveau cours, de façon d'abord épistolaire puis en personne. Elle observe comment l'amour transforme sa mère, physiquement, psychologiquement et dans sa façon de vivre, ainsi que la manière dont évoluent ses relations avec ses proches, famille et amis ; il faut aussi concilier cette nouvelle relation avec le passé et l'histoire de chacune des familles. Elle note plus particulièrement comment l'arrivée d'un nouvel homme transforme leur relation fille-mère, son ressenti et les sentiments fluctuants qui s'imposent. 

Une chronique qui serait en grande partie autobiographique, faite de chapitres courts rédigés à la deuxième personne du singulier soulignant la proximité et le lien privilégié mère-fille, une intimité dans laquelle le lecteur est invité à s'immiscer ; c'est comme une série de messages adressés par Véronique à sa mère à qui elle peut ainsi exprimer son ressenti et la façon dont elle vit cette histoire.
Un récit qui couvre une vingtaine d'années, d'une "vieillesse active" au grand âge, pendant lesquelles la fille déploient ses états d'âmes et revisite le passé familial avec plus ou moins de compréhension pour cette mère avec laquelle la relation de complicité devient progressivement plus distante : avec cet "amour retrouvé", c'est l'ensemble des rapports familiaux et intimes qui changent pour trouver un nouvel équilibre alors que le temps passe et impose sa marque.
 
Un joli roman facile à lire, empreint d'une certaine délicatesse, déclinant avec sensibilité l'idée selon laquelle l'amour n'a pas d'âge et qu'il se moque de l'ordre établit auquel il s'impose. S'y ajoute une plongée culturelle au cœur de la vie de province "à la française ", avec une maison de famille et son lot de souvenirs, son jardin et son village, des endroits où le temps semble s'être arrêté et où on s'ennuit un peu, que les jeunes générations ont quittés mais où l'on revient voir les grands-parents pour les vacances et les réunions de famille. C'est finement observé et rendu, authentique et agréable à lire. 
 
Des pages qu'on tourne sans prise de tête, parfait pour l'été !

Tirés du texte :
Aujourd'hui, un demi-siècle plus tard, c'est la même émotion qui te serre le coeur. 
Elle est là, intacte. À soixante-treize ans, tu as vingt ans. 
 
Tu aimes, tu es aimée, et rien de tout cela n'a plus d'importance. Non, le désir ne s'éteint pas avec l'âge. Il l'efface.
 
Plus je découvre la femme et plus je m'attache à la mère, celle que tu étais avant, que tu redeviens encore parfois, celle qu'aujourd'hui je crains fort de perdre. 
 
Tu es libre, totalement libre. Ta vie prend un chemin inattendu. Tu vas vers tes 75 ans et tu rayonnes. Tu as un amoureux, dans quelques jours tu vas prendre un train pour le rejoindre, rien ni personne ne t’en empêchera.
Ma mère est heureuse et je suis jalouse. 

 
Le temps ne coule pas comme un sablier, régulier, impassible. Le temps file, marque des pauses, s'accélère, repart plus lentement, passe l'air de rien, puis à nouveau s'emballe, soubresaute. Le temps avance par à-coups. 
 
On ne remplace jamais un amour par un autre. Pourquoi m'aura-t-il fallu vingt ans pour le comprendre ?
Titre : un amour retrouvé
Auteur : Véronique de Bure
Première édition : 2021

dimanche 4 juillet 2021

Nos âmes oubliées de Stéphane Allix

Dans ce livre témoignage, à la fois très documenté et intime, Stéphane Allix nous raconte comment ses enquêtes sur la conscience l'ont conduit à débloquer ses propres verrous pour libérer son âme d'enfant brisée et trop longtemps oubliée. 
 
Stéphane Allix est un journaliste d'investigation expérimenté, ancien grand reporter de guerre qui a bourlingué au coeur des conflits de notre époque et sur les chemins de la drogue jusqu'à ce qu'il assiste à la mort de son frère en 2001, dans un accident en Afghanistan. Depuis, il s'intéresse à la mort, à l'au-delà, aux phénomènes inexpliqués. En 2007, il a fondé, avec le docteur Bernard Castells, l'INREES (l'Institut de Recherche sur les Expériences Extraordinaires) et est en outre le créateur et l'animateur des "Enquêtes Extraordinaires" sur M6. Un pédigré pour le moins "sérieux" qui lui permet d'allier l'expérience journalistique à la fascination, pour raisons très personnelle, aux phénomènes extraordinaires.     

Mais cette enquête sur les chemins de la conscience qui le conduit à expérimenter des drogues psychédéliques sous contrôle thérapeuthique a des conséquences totalement inattendues que lui-même a d'abord du mal à croire tant le traumatisme est ancien, profond et occulté.
Un parcours initiatique au plus profond de la conscience, bouleversant et puissant.
 
Tirés du texte :
"Personne ne prétend que la Résilience est une recette de bonheur. C'est une stratégie de lutte contre le malheur qui permet d'arracher du plaisir à vivre, malgré le murmure des fantômes au fond de sa mémoire." (Boris Cyrulnik) 

Depuis toujours, j'ai désiré être englouti par les voyages, ces événements géographiques bien commodes. (...) 
à force de partir, revenir devient de plus en plus difficile.
J'ai exploré tant de pistes, suspecté de si nombreuses origines à mes blessures émotionnelles, mais dans certaines zones obscures de notre conscience, il est impensable de se rendre. Il s'y cache des secrets si bien camouflés que sans un cataclysme, ils demeureront invisibles toute notre vie. Ils sont là, imperceptibles, et pourtant leur poison nous consume. 

En matière de psychédéliques, l'argument standard justifiant la prohibition de la consommation - les drogues sont interdites parce qu'elles représentent un danger pour la santé - ne repose sur aucun argument scientifique.
(...) La deuxième idée fausse est celle qui prétend que les psychédéliques sont inutiles. Les centaines de publications scientifiques et médicales disponibles prouvent exactement le contraire. 
La troisième affirmation prétend qu'ils induisent une dépendance, ce qui n'est pas le cas : là encore, les études le démontrent. Ils permettent même de soigner les addictions, comme celle à l'alcool. (...) Enfin,  selon la quatrième fausse affirmation, la prohibition permettrait un jour d'éradiquer la consommation. C'est faux. La prohibition est incapable d'empêcher qu'un produit interdit atteigne ceux qui désirent le consommer. (...) Il est communément admis que la mise au ban de ces substances à davantage obéi à des motivations politiques que sanitaires. 

Ces substances [psychédéliques] élargissent la conscience, elles conduisent à de profondes remises en question existentielles. Elles nourrissent la créativité et la priorisation des aspirations à une plus grande justice. Elles ouvrent également à des dimensions spirituelles, à l'opposé du carcan parfois rigide des religions.

Au delà de l'intérêt qu'ils représentent sur le plan médical, les psychédéliques offrent aussi la possibilité d'explorer un domaine à la frontière entre science, philosophie et spiritualité. Celui de la conscience.
 
 La conscience semble avoir besoin du cerveau pour se manifester, mais dire qu'un cerveau est nécessaire à la conscience pour exister, ou que la conscience ne peut pas exister en dehors du cerveau, est purement spéculatif. (...) Dire que l'âme -cet aspect de la conscience affranchi des contraintes de l'espace et du temps- n'existe pas est  encore une supposition. 
Une supposition qu'en outre de plus en plus de faits invalident. 

Nous savons désormais que notre cerveau filtre. C'est-à-dire qu'il réduit l'immensité du réel, figé l'espace, ainsi que le temps, dans cette course linéaire que nous lui connaissons au quotidien. (...) Quand le cerveau ne l'a retient plus, notre conscience serait en mesure d'accéder à une réalité plus grande, échappant aux contraintes du temps et de l'espace. C'est ce que les sages nous disent depuis la nuit des temps. 

La vraie spiritualité se caractérise par sa simplicité. 

Le propre de l'inconscient est de dissimuler, d'effacer tout ce qui est susceptible de faire du mal : traumatismes, blessures, mémoires douloureuses, etc. Si tous ces éléments pénibles ont été rangés dans notre inconscient, voire plus profondément encore, c'est pour éviter que leur rappel nous torture au quotidien. 
Notre inconscient nous protège.
 
Vivre, c'est consentir à souffrir. Plus tu consens à souffrir, plus ton cœur va s'ouvrir. Parce que aimer et vivre, c'est souffrir : sentir la frustration, le manque, la peur de perdre, la peur d'être abandonné. "Dans la peur de mourir il y a la peur de vivre." 

Mon père géographe avait renoncé à certains voyages après qu'il avait fait le constat amer que le temps qui passe, ce temps perdu, avait littéralement emporté paysages, villes et lieux si passionnément aimés autrefois. Poussant ce raisonnement, il pensait que les lieux n'existent en définitive pas vraiment, mais sont des souvenirs, des époques, des émotions en nous. 
(...) Et si les lieux étaient d'abord extraordinaires à travers le regard que nous portons sur eux, à un moment particulier de notre vie ? Et si les lieux n'étaient vivants que parce que nous les regardons avec amour ? 
Faut-il un regard d'enfant pour qu'un monde existe ? 
Est-ce l'émotion et l'amour qui créent la réalité ? 

Que savons-nous vraiment de la vie et de la mort ? Il existe des réponses qui ne puisent ni dans la subjectivité des religions ni dans l'abstraction de la philosophie, mais s'appuient sur une démonstration étayée par des preuves scientifiques. Ces recherches démontrent que la vie est un phénomène plus vaste et plus complexe qu'il n'y paraît, et que des aspects de ce qui nous constitue ne semblent pas disparaître après la mort physique du corps. Aussi surprenant que cela puisse être, les évidences qui étayent cette hypothèse sont à la disposition de qui se donne les moyens de les rassembler. Et pourtant, bien peu le font. 

Nous sommes aujourd'hui dans ce moment de transition entre le modèle matérialiste, qui est encore défendu avec rage, et le nouveau modèle en train d'émerger et qui soulève conte lui une bien compréhensible opposition. 
Savoir que nous sommes au coeur d'un changement de paradigme est essentiel (...)
de plus en plus de scientifiques pensent que ces phénomènes apparemment "anormaux" ne se produisent pas en contradiction avec les lois de l antaure, mais uniquement en contradiction avec ce que nous pensons savoir de ces lois de la nature. (...)
C'est la science elle-même qui démontre que la conscience échappe aux contraintes de l'espace et du temps où nos corps sont coincés. (...)
L'homme est un être spirituel -il possède en lui cette dimension qui transcende le temps et l'espace. Cette réalité s'impose aujourd'hui et constitue la prochaine révolution scientifique. 
Le spirituel est une dimension constitutive de la réalité. Peut-être même en est-ce la source.  

Mais la carte n'est pas le territoire. Les religions sont les cartes, c'est-à-dire un mode d'emploi pour tenter d'approcher le territoire qui, lui, est l'expérience spirituelle. Les religions sont autant d'invitations à cheminer ensemble. Le spirituel est un espace intime et personnel. 

L'amour, c'est cet état d'harmonie qui nous envahit lorsque la réalité apparaît derrière le voile de nos sensations ordinaires. 
L'amour c'est ce qui est éprouvé lorsqu'on accède à la connaissance pure et totale, dès lors que le cerveau cesse de tout interpréter constamment. Baigner dans la connaissance augmente l'harmonie, et cette harmonie est vécue comme une sensation d'amour indescriptible.(...)
L'amour est une force bienveillante qui vit tapie au fond de chacun de nous. Inépuisable. Le mental et ses ruminations nous en masquent l'accès, nous cachent l'harmonie de notre âme. 

Il est vain d'imaginer que le bonheur se trouve ailleurs qu'en soi, il se cultive.

La réalité de la télépathie, de la précognition ou de la clairvoyance prouve l'existence d'une dimension non locale de notre conscience. Ces perceptions extrasensorielles ne s'expliquent pas par un transfert d'information ou d'énergie, mais plutôt par la connexion à une dimension, en soi, qui transcende le temps te l'espace : notre conscience fondamentale. La réalité de ces capacités démontre que nous ne sommes pas limités à notre enveloppe physique. Un aspect de nous est naturellement partout, en tout temps, ailleurs et ici. A un certain niveau de notre être, nous sommes déjà connectés entre nous, et avec tout. Le passé comme le futur, tout le vivant comme tout "l'au-delà". 

Ma capacité à pardonner fait de moi un homme libre.

Titre : nos âmes oubliées 
Auteur : Stéphane Allix
Première édition : 2021