lundi 17 décembre 2018

La vraie vie d'Adeline Dieudonné



L'histoire est racontée par une jeune fille dont on ne connaitra pas le nom.
Elle habite une zone pavillonnaire périphérique anonyme.
Au début du récit elle a dix ans,
un frère de six ans qu'elle adore, Gilles,
un père tout puissant qui fait régner la terreur sur sa famille, un chasseur/collectionneur de gros gibier, 
et une mère effacée et craintive qu'elle compare à une amibe.

Au cours de l'été, la complicité des enfants est brisée par un accident traumatisant.
L'héroïne n'aura alors plus qu'une idée en tête : remonter le temps pour que son frère retrouve l'innocence perdue et permettre à la "vraie vie" de reprendre son cours.

Avec détermination, intelligence et de moins en moins de candeur, le personnage, inspiré par Marie Currie et l'amour porté à son frère, n'a de cesse de se donner les moyens d'atteindre son objectif. Elle sait qu'il lui faudra du temps et de l'éducation mais ne se décourage pas. Elle grandit avec son projet en même temps que la noirceur émise par le père devient de plus en plus pesante, envahissante et menaçante.  

Un roman initiatique inhabituel. Il y a du drôle et du tendre qui font un peu penser à la Mathilda de Roald Dahl mais sans sa légèreté parce que l'histoire est teintée d'une violence noire, glaçante, sournoise, sourde, terrible. 

On s'attache à cette héroïne des temps modernes, on est pris par ce récit singulier à la fois lumineux et lugubre et on ressort ébranlé de toute la violence qui couve et qui, inexorablement, finit par exploser.
Une écriture parfaitement maîtrisée pour un premier roman exceptionnel, saisissant et percutant.


Titre : La vraie vie
Auteur : Adeline Dieudonné
Première édition : 2018

vendredi 14 décembre 2018

De nos frères blessés de Joseph Andras

 

Jeune ouvrier européen, militant communiste, Fernand Iveton dépose une bombe dans un local désaffecté de son usine en soutien à la cause anticolonialiste : la bombe n'a jamais explosée et n'était pas destinée à tuer ... mais voilà, nous sommes à Alger en 1956...
Arrêté et torturé, Fernand Iveton passera devant un tribunal militaire dans un contexte de guerre non avouée alors qualifiée "des événements". Il est condamné à la peine capitale et sera guillotiné le 11 février 1957, pour l'exemple, et restera le seul européen condamné et exécuté pendant la guerre d'Algérie.

Le roman commence le jour où Fernand Iveton pose sa bombe avec toutes les conséquences qui ont suivies pour lui : les tortures odieuses, les dessous politiques, les raisons pour lesquelles il est finalement abandonné de tous (ou presque), que ce soit le parti communiste, les dirigeants de l'époque ou la presse, et derrière elle, l'opinion publique ... mais avec toujours cette conviction qu'il sera gracié, son acte ne pouvant surement pas justifier la peine de mort.
Le livre est entrecoupé de chapitres de retours en arrière sur des périodes plus heureuses, consacrés à sa relation avec sa femme Hélène, leur rencontre en France et leur histoire d'amour qui donnent corps et humanité à ce militant convaincu, idéaliste au grand coeur. 

Une histoire qui veut rendre justice à un personnage qui ne semble pas en avoir bénéficié, avec une remise dans le contexte de l'époque, celui d'une guerre qui ne dit pas son nom mais qui en a toute la violence.
C'est remarquablement écrit et on a beau savoir dès le départ quel sera le dénouement, on ne peut pas y croire, on reste confiant et on espère avec Fernand jusqu'au bout.

Un premier roman marquant, à méditer. 

Titre : De nos frères blessés
Auteur : Joseph Andras
Première édition : 2016
Le livre a reçu le prix Goncourt du premier roman 2016 que l'auteur a refusé.

lundi 10 décembre 2018

Le dernier gardien d'Ellis Island de Gaëlle Josse


New York, novembre 1954.

Bientôt, le centre d'immigration d'Ellis Island fermera définitivement ses portes. Scrupuleux, son directeur rempli les ultimes vérifications et missions qui sont les siennes avant de rendre les clés. Profitant de ses derniers jours sur l'île, ce "dernier  gardien de l'île" se confie (voire se confesse) au papier pour raconter son histoire liée à celle du centre dans lequel il officie depuis presque un demi-siècle. Un destin à peine illuminé par l'amour de son épouse Lisa, assombri par le poids de la culpabilité liée au cas de Nella, l'immigrante italienne dont le souvenir pèse sur sa conscience, une vie finalement assez mécanique, vide et lugubre à travers toute la première moitié du XXème siècle ... 

Le cadre d'Ellis Island est un prétexte plus qu'un sujet parce que le roman reste toujours centré sur son personnage qui traine sa petite vie de fonctionnaire solitaire consciencieux (mais non sans un terrible écart d'abus de pouvoir) avec ses aspects rébarbatifs qui en font un simple pion/rouage du système auquel il appartient. Une existence finalement d'une lourde et grande tristesse et un personnage insipide auquel il est plutôt difficile de s'attacher si bien que la conclusion arrive de façon assez naturelle et inévitable, comme évidente.

Pas gai-gai mais un bel exercice de style, cohérent, et qui rend peut-être l'âme de ce lieu de passage terrible qui a marqué l'histoire des Etats-Unis et des millions d'immigrants qui y ont transité.

Nota : quelques anecdotes "historiques" intéressantes à glaner au passage comme par exemple celle du photographe à qui l'on doit pas mal de portraits - posés/imposés - présentés dans le musée mémorial ouvert aujourd'hui aux visiteurs d'Ellis Island. 

Titre : Le dernier gardien d'Ellis Island
Auteur : Gaëlle Josse
Première édition : 2014

samedi 8 décembre 2018

Les mots entre mes mains / The words in my hands de Guinevere Glasfurd

Pays-Bas, 1635-1640

Jeune fille intelligente sans moyens, Héléna est placée comme servante dans la maison d'un libraire-logeur d'Amsterdam chez lequel elle va rencontrer René Descartes. Une relation va naître entre le mathématicien-philosophe proche de la quarantaine en recherche d'anonymat et la jeune fille auto-éduquée à la lecture et à l'écriture ...

Entièrement romancée et racontée au travers des yeux d'Héléna, l'histoire n'en est pas moins basée sur des faits réels récapitulés à la fin du livre pour permettre au lecteur de faire la part des choses. Un premier roman très réussi, plein de sensibilité qui permet de donner vie et humanité à ce que la relation entre Héléna et Descartes a pu être. Un roman dans lequel Descartes n'est que le personnage secondaire pour laisser le devant de la scène à Héléna , personnage apparaissant très moderne pour son époque dans son désir d'éducation et sa volonté d'émancipation. Une histoire d'amour avérée mais méconnue et cachée à une époque charnière entre obscurantisme et lumières où pèse le poids de la religion et du qu'en dira-t-on tant sur le plan social que celui des idées.

On se laisse séduire et emporter par ce personnage féminin relégué par l'histoire dans l'ombre de l'illustre penseur mais qui prend ici une dimension d'héroïne. La lecture est facile et fluide, les personnages secondaires intéressants tout comme la remise en contexte de l'époque, bref, un p'tit coup de coeur de fin d'année !

Titre original : The words in my hand
Titre français : Les mots entre mes mains
Auteur : Guinevere Glasfurd
Première édition : 2016

samedi 1 décembre 2018

La tête du lapin bleu de Wendall Utroi


Depuis qu'elle a rencontré Léo et malgré les pressions familiales de parents qui n'ont jamais supporté leur mariage, Ava vit dans un cocon d'amour avec son mari et leurs jumeaux Rose et Kevin. Les parents d'Ava regrettent que leur fille aie abandonné trop jeune ses études et toute idée d'indépendance alors que la mère de Léo, veuve, n'a jamais approuvé cette belle-fille qui lui a volé son fils.
Cela ne les empêche pas de mener une vie apparemment heureuse, bien tranquille et sans nuage jusqu'au jour où tout bascule d'un coup avec une violence effroyable qui emporte avec elle insouciance et certitudes. Débute alors la descente aux enfers d'Ava confrontée à un choix cornélien, à la culpabilité, au deuil, à la trahison qui affectent sa santé mentale et vont la conduire au bord du gouffre puis sur la route de la marginalisation malgré une certaine volonté de survivre pour préserver la part d'amour qui lui reste.

Le récit d'une vie qui se décompose et se recompose en s'éffilochant, touchant au relationnel et à l'émotionnel. On suit cette femme brisée qui se raccroche à ce qui lui reste, se bat, s'isole, se perd et sombre. Ce n'est pas gai-gai et plutôt féroce. On a parfois envie de secouer ce personnage qui certes montre une volonté de se battre mais dont l'esprit vascillant lui fait prendre des décisions en dépit d'un bon sens perdu.

Une lecture prenante qui fait vibrer la fibre émotionnelle du lecteur témoin d'une histoire-choc poignante même si on n'est pas toujours convaincu par la tournure que prennent les choses.

Un auteur en auto-édition qui semble faire son chemin avec déjà 6 livres à son actifs, tous plutôt bien notés sur Babelio, à ne surtout pas sous-estimer !

Voir aussi :   
Comme un phare dans la tourmante

Titre : La tête du lapin bleu
Auteur : Wendall Utroi
Première édition : 2018