mercredi 31 janvier 2018

Pourvu que la nuit s'achève / House without Windows de Nadia Hashimi


Un mari mort, une femme refusant de parler, aucun témoin ni suspect potentiel.
Elle aurait dû être pendue depuis longtemps. 

En Afghanistan, Zeba est enfermée à la prison des femmes de Chil Mahtab en attendant son jugement même si son sort ne fait pas grand doute : on l'a trouvée dans la cour de sa maison, à côté de son mari assassiné d'un coup de hâche et alors que tout la désigne comme coupable, elle garde le silence sur ce qui s'est passé ce jour-là.
Yusuf est le jeune avocat de Zeba. Sa famille a fuit l'Afghanistan alors qu'il était enfant et il a grandi et étudié aux Etats-Unis, son pays d'adoption. Par idéalisme, il est revenu exercer dans son pays d'origine afin d'apporter sa pierre à la reconstruction de son système judiciaire.
Alors que Zeba s'enferme dans son mutisme, Yusuf va se démener pour essayer de défendre sa cliente malgré elle, sachant que l'Afghanistan n'est pas l'Amérique et qu'il faut composer avec la culture locale et ses pratiques que l'on découvre au fil des pages avec par exemple une prison pleine de femmes accusées de zina :

(...) nombre d'entre elles avaient été reconnues coupables d'un crime majeur : le zina, les relations sexuelles hors mariage. 

En dari, il n'y avait pas de mot pour "viol", comme si le fait de ne pas nommer l'acte niait son existence. Même dans le monde judiciaire, on l'appelait souvent zina, ou "relations sexuelles en dehors du mariage", donnant à ce crime la même portée qu'un rapport physique entre deux adultes la veille de leur union. Le zina était un voile recouvrant tout ce qui ne correspondait pas à la situation dans laquelle le mari revendiquait la possession de sa femme.

Il y a est aussi question de "jadu", des pratiques qui s'apparentent à de la sorcèlerie et que Zeba pourrait bien posséder comme sa mère Gulnaz, et de condition de la femme dans la société afghane avec le poids que leur font porter les hommes et la valeur qu'ils leur donnent :

son jadu ne pourrait jamais libérer une prison entière de pauvres âmes. Aucun sortilège ne changerait le fait que la valeur d'une femme se mesurait, avec une application scientifique, par le sang. Une femme ne valait que les gouttes qui coulaient la nuit de noces, les quelques millilitres qu'elle saignait à chaque phase de la lune, et la petite rivière qu'elle versait en donnant naissance aux enfants de son époux. 

La vérité ne pouvait qu'être vaine, dans une société où l'on estimait que son témoignage ne valait qu'une fraction de celui d'un homme. (...) "Que gagne une femme à dire la vérité / Quand sa parole n'a pas la moindre portée ?" (...) La parole d'une femme avait peu de valeur dans leur monde. Les femmes elles-mêmes semblaient avoir peu de valeur. 

En tant que femme, mon témoignage ne compte que pour moitié.

Tout était question d'honneur. 
L'honneur était un rocher que les hommes plaçaient sur les épaules de leur filles, de leurs soeurs, de leurs épouses.

Il était rare qu'une famille renonce à mettre la main sur une jeune femme, même si le gouvernement avait proscrit, en 2009, la pratique du baad, consistant à donner sa fille pour résoudre une querelle entre clans.

Le fonctionnement du système judiciaire afghan, notamment pour ce qui touche à ces crimes de zina est montré en action et détaillé, apportant beaucoup d'éléments d'informations les plus variés avec là encore, une domination des hommes qui en maîtrisent tous les rouages : 

Si l'art de la corruption se pratiquait dans le monde extérieur, c'était en prison qu'il s'épanouissait.

- Tant que les hommes seront juges, rien ne changera. (...) - Une femme a postulé à la Cour suprême (...) cela prouve qu'un changement est possible. - Vous ne connaissez pas la suite de l'histoire ? (...) Sa candidature a été rejetée parce qu'elle a le toupet de saigner tous les mois. En fait, (...), un juge de la Cour suprême devait toucher le Coran tous les jours, avait argumenté un parlementaire. Comment une femme aurait-elle pu prétendre à cette fonction alors que, huit jours par mois, elle n'était pas autorisée à toucher le livre Saint ?

Au final, une belle histoire dans laquelle rien n'est simple ou évident ni totalement tranché pour découvrir des pratiques différentes qui nécessitent d'être comprises pour composer avec, parce qu'un système extérieur ne peut pas s'appliquer ou s'imposer sans ajustements tenant compte des contraintes locales. La description de la vie dans la prison est particulièrement intéressante parce qu'on y trouve une vraie solidarité, de la poésie et toute sortes de profils qui font de cette communauté un havre pour certaines des femmes qui y sont enfermées. Le dilemne de Zeba met également en lumière une vraie réflexion sur le sens de la justice et de la morale, le poids des lois par rapport à la place d'un individu dans sa communauté.

Facile à lire, des personnages attachants et plein de choses à apprendre, un triplé gagnant !

Titre anglais : House without windows
Titre français : Pourvu que la nuit s'achève
Auteur : Nadia Hashimi
Première édition : 08/2016

- Le mariage était un sport. Un match opposant l'amour à la haine. Le coeur comptait les points.  
- les hommes ne voient que ce qu'ils peuvent toucher. Le monde est constitué de pierre, de bois et de chair pour eux. Ce n'est pas leur faute ; ils sont fait ainsi. (...) Et les femmes ? (...) De quoi est fait le monde pour nous ? (...) - Tu ne le sais donc pas, ma fille ? Ce sont les espaces vides entre la pierre et la chair qui le constituent. Nous voyons le sourire sur un visage de marbre, le mince rayon de soleil entre les branches mortes. Le temps traverse différemment le corps d'une femme. Nous sommes hantées par les jours passés et tourmentées par nos lendemains. C'est ainsi que nous vivons, déchirées entre ce qui s'est déjà produit et ce qui reste à venir.  
- C'est ainsi que l'on procédait dans ce coin du monde, un pays où les rumeurs, les allusions, les insinuations étaient aussi solides que les montagnes qui les encerclaient.

lundi 29 janvier 2018

Pactum Salis d'Olivier Bourdeaut


À la trentaine passée et après des années à trainer à Paris sans très bien savoir quoi faire de sa vie, Jean s'est finalement trouvé une vocation de paludier dans les marais salants de la presqu'île de Guérande où il mène une vie monacale, en retrait du monde.
De son côté, Mickael qui s'est rebaptisé Michel pour des besoins de respectabilité, s'est totalement investi dans sa profession d'agent immobilier au flair infaillible, avançant de Nantes à Paris et d'un poste d'employé provincial à celui d'entrepreneur sans scrupule ; pour la première fois depuis qu'il a commencé à travailler dix ans auparavant, ce personnage m'as-tu-vu et on ne peut plus flamboyant s'offre des vacances à la Baule.
Le temps d'un été, les chemins de ces deux hommes que tout sépare, sinon l'âge et la solitude, vont se croiser et se méler de façon détonante alors que la découverte d'un cadavre émaille ce récit d'une touche d'intrigue ...

C'est parce que j'avais bien aimé En attendant Bojangles, son premier livre, que je me suis plongée sans hésitation dans Pactum Salis d'Olivier Bourdeaut ... mais l'impression que j'en tire est cette fois moins tranchée et plus mitigée, avec du très bon et des aspects plus déroutants.
Côté positif, l'écriture magnifique, évocatrice, drôle et créative avec laquelle l'auteur semble jouer en maitrisant parfaitement mots et expressions sans que jamais ce soit artificiel. Autre réussite, le choix du décor, celui des marais salants admirablement évoqués - nécessitant parfois le recours au dictionnaire, mais ce n'est pas un mal.
Bref, un écrin avec tout ce qu'il faut pour servir une histoire que j'ai trouvée un peu "too much" / "trop". En soi, l'idée du scénario est excellente mais le choix narratif est d'en faire une caricature à tous les niveaux, celui des personnages, de leurs histoires respectives, des sentiments, des relations ou encore des situations explosives, imprévues et aux retournements constants entre les deux hommes. Au final, la crédibilité s'en ressent pour produire une histoire totalement déjantée, un peu inclassable, oscillant entre amitié improbable et grosse comédie burlesque marquée d'un zeste de polar.

Somme toute, facile à lire et à prendre comme un vaudeville moderne, inattendu et déconcertant mais pas inintéressant, porté par des qualités d'écriture indéniables et un cadre majestueux.

Titre : Pactum Salis
Auteur : Olivier Bourdeaut
Première édition : janvier 2018

Tiré du livre :
- Suivant la distance et les lunettes qu'on chausse pour y repenser, les moments de grâce et de ridicule sont souvent interchangeables. 
- On ne se lie pas d'amitié avec un fantasme, on le regarde, l'observe, l'envie, le jalouse, on l'étudie à distance mais on se garde bien de le lui montrer. 
- Ses parents avaient pratiqué à merveille l'oxymore d'une présence aussi pesante qu'une absence. 
- En somme ! vous dîtes "en somme" jeune homme, c'est très bien ! (...) Désormais les gens pour résumer leur pensée ne disent plus "au fond, en somme ou tout compte fait" mais ils disent "en gros". Cela peut vous sembler dérisoire mais pour moi, voyez-vous, c'est le symbole d'un monde qui s'écroule. Avant nous donnions le fond de notre pensée, les comptes de nos réflexions, désormais les gens donnent le gros de celles-ci. 
- La conversation est une guerre de nuances et ce sont souvent les seules batailles que je remporte.    

mardi 23 janvier 2018

Un artiste du monde flottant / An Artist of the Floating World de Kazuo Ishiguro


Octobre 1948 à juin 1950. Dans le Japon d'après-guerre, Masugi Ono, ancien artiste peintre à la retraite, est préoccupé par sa fille Noriko qui a déjà 26 ans et qu'il faut marier sachant qu'une démarche bien engagée l'année précédente n'a finalement pas aboutie, elle s'est conclue par un désengagement de l'autre famille. De ses réflexions et conversations diverses, notamment avec Noriko ou son autre plus jeune fille Setsuko (mariée à Suichi et mère de Ishiro), Ono en vient à s'interroger sur son passé et l'ombre que celui-ci pourrait projeter sur l'avenir de sa fille. Il faut dire qu'un mariage n'est pas une mince affaire et que chacune des familles fait mener des enquêtes pour s'assurer de l'honorabilité de l'autre.
Du coup, on est plongé dans la tête et le monde d'Ono qui réfléchit, revoit des épisodes et périodes de sa vie, le poids d'un père qui n'approuve pas sa vocation, ses années de formation à travailler à la production de tableaux à la chaine pour l'exportation, les années d'apprentissage chez un maître tourné vers "un monde flottant" (le monde des plaisirs et de la vie nocturne), l'art officiel au service de la nation et les années à enseigner ...

Dans cette poursuite de la découverte de l'oeuvre de Kazuo Ishiguro, on est plongé dans un Japon en pleine mutation présenté au travers de trois générations : celle d'Ono qui représente la génération d'avant-guerre portant le poids moral de la guerre et de ses conséquences ainsi que la mémoire d'un monde en voie de disparition, celle de ses filles et de leurs maris lancés dans la reconstruction, porteuse d'espoir dans une société qui fait table rase du passé et enfin, celle d'Ishiro, le petit-fils qui grandit dans un monde ouvert sur l'occident sous influence de la culture américaine procurant quelques passages assez droles.
Le plus souvent on est toutefois dans le monde intérieur d'Ono avec sa perception des choses, l'impression qu'il est ébranlé par un poids moral lourd du fait de sa participation aux événements de son époque, porté par la conviction d'y avoir occupé une place d'artiste de premier plan ... des impressions sur lesquelles on finit par s'interroger parce qu'elles semblent parfois exagérées et en décalage avec la réalité et le vécu des autres personnages.

Des souvenirs, de la nostalgie, des questions touchant au sens de la vie, de la lenteur et un récit porté par la qualité de l'écriture ainsi que la manière subtile dont il est organisé. Une seule difficulté peut-être, sur les transitions d'âge d'Ono qui ne sont pas toujours nettes, qu'on imagine encore jeune alors qu'il est déjà âgé ou inversement mais qui finalement ne sont peut-être qu'une manifestation du monde flottant caractérisant, aussi, la vie de tout individu. Enfin, on aimerait peut-être en savoir plus sur ces années qui semblent peser le plus sur le personnage alors qu'elles ne sont finalement que très pudiquement et brièvement évoquées, en entrefilet, au travers de la mort d'un fils en Mandchourie et de celle de l'épouse pendant les bombardements.

Pas forcément le genre de livre que je préfère mais une bonne lecture laissant une marque intéressante.

Du même auteur, voir aussi :
Quand nous étions orphelins / When we were orphans

Titre original : An Artist of the Floating World
Titre français : Un artiste du monde flottant
Auteur : Kazuo Ishiguro
Première édition : 1986
Prix Nobel de Littérature 2017

Tiré du livre:
- When you are young, there are many things which appear dull and lifeless. But as you get older, you will find these are the very things that are most important to you. 
- Those who sent the likes of Kenji out there to die these brave deaths, where are they today ?  They're carrying on with their lives, much the same as ever. Many are more successful than before, behaving so well in front of the Americans, the very ones who led us to disaster. And yet it's the likes of Kenji we have to mourn. This is what makes me angry. Brave young men die for stupid causes, and the real culprits are still with us. 
- It's hard to appreciate the beauty of the world when one doubts its very validity.   
- It's just that in the end we turned out to be ordinary men. Ordinary men with no special gifts or insight. It was simply our misfortune to have been ordinary men during such times.
-Army officers, politicians, businessmen, (...) they've all been blamed for what happened to this country. But as for the likes of us, Ono, our contribution was always marginal. No one cares now what the likes of us and me once did. They look at us and see only two old men with their sticks. (...) We're the only ones who care now. The likes of you and me, Ono, when we look back over our lives and see they were flawed, we're the only ones who care now. 

dimanche 21 janvier 2018

Les délices de Tokyo de Durian Sukegawa


Chez Doraharu on prépare et on vend des dorayaki, des confiseries japonaises confectionées avec deux petites crêpes fourrées de an, de la pâte de haricot rouge. À proximité d'un cerisier qui rythme les saisons, l'échoppe vivote, tenue et gérée sans grande passion par un Sentaro qui se rêvait écrivain mais qui travaille là pour payer une dette à la suite d'errements de jeunesse.
Un jour, Tokue, une vieille femme aux mains toutes tordues lui propose ses services pour confectionner la pâte de haricot rouge afin de remplacer la version industrielle "sans âme" qu'il utilise. Il refuse mais la vieille dame est persévérante, elle sait "écouter les haricots" pour préparer une pâte sans pareil et puis s'il pouvait augmenter son chiffre d'affaires, Sentaro pourrait peut-être rembourser plus rapidement ses dettes. Commence alors une collaboration "sous condition" dans laquelle chacun trouve son compte tout en gardant ses secrets même si des liens plus profond finissent par se développer avec en corollaire, des transformations personnelles et la levée des mystères ...

Une douce histoire d'amitié et de solidarité, pas forcément très gaie, avec ses leçons de vie intergénérationnelles et un thème sous-jacent, celui de la maladie et de l'ostracisme qui, à une époque pas si lointaine, pouvait signifier une exclusion totale de la société, une situation qui a pu perdurer "de fait" alors qu'elle n'avait plus lieu d'être, portée par l'habitude, la peur et l'ignorance.
Une histoire à la douceur toute simple, facile à lire, rythmée par le cycle des saisons du cerisier. Un livre que j'ai ouvert au bon moment et une ambiance que j'ai appréciée parce qu'elle constituait une bonne transition, sans prise de tête, après un roman particulièrement dur (Le moine aux yeux verts).

Un petit délice sans prétention, à déguster comme tel !

[Nota : je n'ai pas vu l'adaptation cinématographique qui en a été faite - 8 nomination à Cannes 2015 - mais en lisant le livre, j'avais en tête des images du film "printemps, été, automne, hiver, printemps..." du Coréen Kim Ki-duk, magnifique esthétiquement mais qui m'avait finalement pas mal ennuyé par sa lenteur ... Du coup, même si j'ai relativement apprécié le livre, je ne suis pas certaine d'avoir envie d'en voir le film.]   
  
Titre : Les délices de Tokyo
Auteur : Durian Sukegawa
Première édition : 2013
Prix des lecteurs Poche 2017 

mercredi 17 janvier 2018

Le Moine aux yeux verts d'Oyungerel Tsedevdamba et Jeffrey L.Falt

 
Au début des années 2000 à Oulan-Bator, les travaux d'un chantier mettent à jour un charnier de 600 corps vers lequel est conduit le lama Agvaan du monastère de Gadan. Les ossements sont ceux de lamas exécutés en masse qui le renvoient au temps des années noires de sa jeunesse, à son histoire personnelle et à celle de son pays, du milieu des années 1930 jusqu'aux années 1950, une époque de bouleversements majeurs pour la Mongolie marquée de l'estampille du grand frère stalinien avec ses purges contre les "féodaux"/les descendant de Ghinggis Khan et tout ce qui touche à la religion, ses goulags, la brutalité et la guerre.
On va alors suivre le destin d'Agvaan, Basaan et Tserennadmid qui survivront aux épreuves imposées par leur condition religieuse de lamas, chacun à sa façon, par la collaboration, la souffrance ou la fuite, les renoncements et la dissimulation. La vie et le sort de la population laïque, bergers nomades ou soldats, sont traités au travers du parcours des autres membres de leurs familles et voisins avec notamment Bolt, le frère de Basaan et sa femme Sendmaa avec qui il partage un amour secret ... 

Une fresque romanesque pour découvrir l'histoire tragique de ce pays oublié et méconnu si ce n'est pour l'immensité de ses espaces qui font rêver les voyageurs. Quand on a en plus la chance d'avoir pu se rendre en Mongolie, ce livre donne un éclairage vivant sur un certain ressenti et des non-dits, permettant par exemple de comprendre le comment/pourquoi de l'état des temples qui commencent tout juste à revivre ou simplement, les raisons de l'adoption de l'écriture cyrillique.
J'ai eu un peu de mal avec l'écriture dans les premières pages qui contiennent pourtant beaucoup de descriptions détaillées très intéressantes sur la vie traditionnelle dans les temples, la culture et les interrelations entre lamas et population, sans doute parce que la narration commence doucement et un peu gentiment avec l'histoire d'amour entre Basaan et Sendmaa. Cette impression fugace d'ennui s'est toutefois très rapidement effacée avec une accélèration du rythme et une lecture qui m'a alors totalement absorbée et passionnée, un récit poignant dénonçant l'absurdité d'un régime totalitaire jusqu'auboutiste broyant tout sur son passage. Une magnifique galerie de portraits s'y aligne, les différentes techniques de résilience s'y déploient et on est emporté dans des paysages grandioses mais cruels pour l'homme et les bêtes, des steppes et forêts au désert de Gobi, jusqu'à la grande muraille de Chine, à l'Altaï ou encore au lac Khuvsgul.   

Une saga romanesque singulière, ambitieuse et réussie, par deux auteurs qui savent a priori bien de quoi ils parlent ... et un épilogue qui fait froid dans le dos !
Un avis sans doute légèrement partisan, mais mon premier coup de coeur de l'année !

Biographie d'Oyungerel Tsedevdamba (publiée sur le site de l'éditeur, Grasset) :
Militante des droits de l’Homme reconnue, Oyungerel Tsedevdamba a occupé plusieurs fonctions politiques de premier plan en Mongolie, notamment comme députée et Ministre de la culture. Elle est l’auteur de onze ouvrages, dont trois coécrits avec Jeff L. Falt.
Biographie de Jeff L. Falt (publiée sur le site Hachette) :
Avocat et militant en faveur des Droits de l’homme, Jeff L. Falt a rencontré Oyungerel Tsedevdamba lors d’une mission de paix en Mongolie. Ils se sont mariés en 2004 et vivent désormais en Mongolie où ils dirigent une ONG.

Titre : Le moine aux yeux verts
Auteur : Oyungerel Tsedevdamba &  Jeffrey L.Falt
Première édition : 2017

Tiré du livre :
- La gratitude est le fondement spirituel de la joie. 
- Ikh Khuree a été rebaptisée Oulan-Bator. Que pensez-vous d'avoir appelé "héro rouge" un lieu aussi important ? - Je suppose qu'ils ont changé le nom pour séparer l'État de notre religion bouddhiste, Ikh Khuree signifiant "grand monastère". En tant que croyant, je considérerai toujours Ikh Khuree comme tel. Pas Da Curie, comme l'appelaient les Mandchous. Ni Urga, son nom séculier du temps du Bogd Khan.   
- Il s'était habitué à employer le jargon du Parti, ce qui créait et maintenait une distance entre son travail administratif et la réalité brutale des conséquences de celui-ci. 
- La liberté ... comme elle est précieuse. Nous ne nous rendons compte de sa vraie valeur que lorsque nous la perdons. 
- Personne ne savait vraiment ce qui se passait à l'intérieur des prisons-goulags disséminées dans le pays. Personne ne savait que le monastère de Dayan Deerkh n'était qu'un des sept cents temples et monastères bouddhistes pillés et détruits à travers la Mongolie. Mais la raison pour laquelle aucun des autres bergers n'était retourné au Dayan Deerkh était parfaitement claire : ils avaient peur. 
- Aucun Mongol ne détruira le palais du Bogd Khan, ni le monastère de son frère [Choijin Lama] ! Ce sont les symboles de l'âme de la Mongolie !

lundi 15 janvier 2018

Je suis Pilgrim / I am Pilgrim de Terry Hayes


Le livre commence par une scène de crime parfait : le meurtrier a pris soin d'éliminer tous les indices qui pourraient mener à lui et tout ce qui aurait pu permettre d'identifier le corps; un ancien agent des services spéciaux et un policier sont là, deux personnages centraux qui se connaissent, qu'on va découvrir et apprendre à connaître. Le premier, a été formé aux méthodes d'espionnages classiques pendant les grandes heures de la guerre froide, plus ou moins en "retraite" forcée pour cause "d'obsolescence" face aux nouvelles menaces terroristes et soucieux de se recréer une nouvelle identité. Le second, un policier qui a fait preuve d'un comportement particulièrement héroïque au moment des attentats du 11 septembre de New York, marqué physiquement et psychologiquement par cette expérience, un survivant scrupuleusement intègre.
Le troisième personnage clé c'est "le sarrasin" dont l'histoire personnelle, de l'Arabie Saoudite au Liban en passant par l'Afghanistan, explique une radicalisation nourrie par un besoin de vengeance et un mode de fonctionnement autonome et anonyme, en électron libre.
Une course contre la montre est engagée dans laquelle l'ancien agent reprend du service sur le terrain pour essayer de retrouver, seul, dans le plus grand secret et à partir d'un simple appel satellite, celui qui menace la stabilité du monde avec une arme biologique redoutable, élaborée dans un soucis d'efficacité maximale et le plus grand machiavélisme ...

Best seller de l'année 2015, le livre avait tourné à l'époque dans mon groupe de lecture mais je lui avais préféré d'autres ouvrages en me disant qu'il me retomberait bien entre les mains autrement, un jour ou un autre. Il faut dire qu'avec ses 900 pages, il a de quoi intimider même si la lecture est facile et qu'on se laisse prendre par l'histoire digne des meilleurs scénarios hollywoodiens, surfant sur la vague des menaces terroristes islamistes. Un livre à perdre haleine, qui fait voyager entre New York, Paris, l'Afghanistan, la Turquie, le Moyen Orient en tirant sur de nombreuses ficelles, les attentats du 11 septembre, le système autocratique du royaume Saoudien, le trafic de drogue, la mafia Bulgare, la guerre en Afghanistan, un hacker excentrique japonisant de haut vol, un enfant trisomique, un camp de concentration alsacien, une enquête policière plus ou moins subtilement mêlée à celle d'espionnage, une évocation du nazisme ...

C'est plutôt bien ficelé et imaginé, on se laisse prendre, on tourne les pages, on fronce parfois le sourcil sur certains détails et puis on passe et on continue, pris au jeu même si on sait quelque part que tout finira bien, qu'après avoir pris une bonne raclée, le héro sauvera la mise, le gentil espion américain sauvera le monde avant de s'en aller, héro solitaire, sur son bateau au soleil couchant !

Un "page-turner" comme disent les anglophones, une lecture divertissante à prendre comme telle et pour ce qu'elle est.

Titre original : I am Pilgrim
Titre français : Je suis Pilgrim
Auteur : Terry Hayes
Première édition : 2014

jeudi 11 janvier 2018

Quand nous étions orphelins / When we were Orphans de Kazuo Ishiguro


Christopher Banks a grandi à Shanghai dans la concession anglaise jusqu'à la disparition de ses parents survenue alors qu'il avait environ une dizaine d'années. Une enfance au début du 20ème siècle dont il lui reste des brides de souvenirs, l'amitié avec son petit voisin japonais Akira, la nounou Mei Li, une mère engagée dans la lutte contre l'opium aux côtés de l'oncle Philip ... Rapatrié en Angleterre par la compagnie de son père, il grandira en profitant d'une rente héritée de ses parents, confié à la garde d'une vieille tante. À l'age adulte, les cercles de la haute société lui sont ouverts et le jeune homme trace sa voie en tant que détective un peu idéaliste oeuvrant pour un monde meilleur avec une réputation d'efficacité de plus en plus affirmée. Une fois ses armes bien aiguisées, il retourne à Shanghai pour tenter de résoudre l'enquête sur la disparition de ses parents alors que la ville est asiégée, les étrangers témoins de la bataille qui fait rage entre japonais et chinois à l'orée de la deuxième guerre mondiale ...

 Notre destin, à nous et à nos semblables, est d'affronter le monde comme les orphelins que nous sommes, 
pourchassant au fil de longues années les ombres de parents évanouis.

J'avais envie de lire Kazuo Ishiguro, récipiendaire du prix Nobel de littérature 2017, et porté mon choix sur ce livre ... mais je me suis rendue compte au fil des pages qu'il m'était déjà passé entre les mains, ça arrive ! Si cette histoire n'était donc pas une véritable nouveauté, j'ai tout de même eu beaucoup de plaisir à redécouvrir ce texte, la finesse de l'écriture, l'élaboration de la trame, les personnages, le contexte historique et sociétal de l'Angleterre mondaine et coloniale, la relation alambiquée avec Sarah, l'amitié inconditionnelle avec le petit voisin japonais avec ses non-dits et ses sous-entendus culturels ... Bien qu'il ne soit pas le plus central, le personnage d'Akira est attachant et intéressant pour sa sensibilité et ses tiraillements d'enfant expatrié exposé à une autre culture que celle dont il est originaire, le poids de sa partie nippone se révèlant particulièrement impitoyable dans le contexte de l'époque.

"Auteur britannique d'origine japonaise", si le nom de Kazuo Ishiguro est on ne peut plus japonais, la plume n'en est pas moins très anglaise*, enrichie de la pertinance de celui qui a grandit avec une double culture. Après cette relecture, l'envie est là pour explorer d'autres de ses textes ... 

Note :
* Pas plus britannique non plus que son Les Vestiges du jour / The Remains of the Days  immortalisé à l'écran par Anthony Hopkins dans le role du majordome.

Titre original : When we were orphans
Titre français : Quand nous étions orphelins
Auteur : Kazuo Ishiguro (Prix Nobel de littérature 2017)
Première édition : 2000

mardi 9 janvier 2018

Le Sympathisant / The Sympathizer de Viet Thanh Nguyen


De la chute de Saigon en 1975 au début des année 1980, entre le Vietnam et la Californie.
L'histoire commence avec la confession d'un homme qui reste anonyme mais avoue être un espion communiste infiltré auprès d'un général de l'armée du sud Vietnam. Il raconte la chute de Saigon et l'évacuation qu'il a supervisée en délivrant les ultimes laissez-passer permettant à quelques élus de monter dans les derniers avions américains quittant la capitale du sud Vietnam en avril 1975. Il raconte ensuite son parcours d'espion au sein de la communauté vietnamienne réfugiée aux Etats-Unis avec des explications sur son passé douloureux d'enfant bâtard (la mère vietnamienne, le père, un prêtre français qui n'a pas pu le reconnaitre), son pacte d'amitié indéfectible, son éducation au communisme, sa connaissance et sa maîtrise des codes de la culture occidentale, son rôle de conseiller dans un film à grand budget hollywoodien ... Une double vie, en partie dissolue mais aussi pleine d'épreuves, de dilemnes moraux et de fantômes avec un ultime retour au pays le faisant basculer dans l'absurde le plus total.  

Un livre original sur le Vietnam qui ne ressemble à rien de ce que j'ai déjà pu lire sur le sujet du fait du point de vue adopté. C'est un livre très abouti, riche, dense, puissant, parfois très dur, incisif et mordant ou même drole.
L'auteur dresse une fresque sans concession sur cette période de l'histoire du pays dont sa famille est originaire, une sorte de voyage en absurdie où personne n'a le beau rôle. À la lecture, on a en tête des images parfois très évocatrices comme celles d'Apocalypse Now alors que de nombreux thèmes sont abordés : la guerre, la chute de Saigon, les Français, les Américains, la question des réfugiés (qui fait écho à des sujets d'actualité), le communisme, les boat people, l'amitié, l'amour, etc.
Le personnage principal n'est pas particulièrement sympathique mais très intéressant de par sa complexité et ses déchirements.  
 
Il s'agit d'un premier roman qui a fait sensation puisqu'il a reçu une bonne dizaine de prix dont le prestigieux prix Sulitzer 2016. Sans que je puisse le classer dans la catégorie des coups de coeur, c'est un livre original très intéressant sur tous les plans, richesse des personnages, du contexte historique et politique ou de l'écriture.

Le premier roman d'un auteur très prometteur, à suivre.

Titre original : The Sympathizer
Titre français : Le Sympathisant
Auteur : Viet Thanh Nguyen
Première édition : 2015
Prix Pulitzer 2016
Prix du meilleur livre étranger 2017
(Une dizaine de prix litteraires et de bourses entre 2015 et 2017)

Tiré du livre : 
- Nothing (...) is ever so expensive as what is offered for free.  [à propos de l'aide américaine] 
- Even if they found themselves in Heaven, our countrymen would find occasion to remark that it was not as warm as Hell. 
- It's impossible to live among a foreign people and not become changed by them. 
- What's crazy is living when there's no reason to live (...). All of us, we're in jail cells without bars. We're not men anymore.  [à propos des réfugiés vietnamiens aux USA]

dimanche 7 janvier 2018

La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben


Peter Wohlleben est allemand, ingénieur et garde forestier. Pendant plusieurs dizaines d'années, son travail au contact des forêts l'a amené à observer et découvrir de plus près ces entités vivantes relativement méconnues du fait notamment de leur espérance de vie, dépassant de loin celle de l'homme. Il partage cette passion des arbres et de la nature en écrivant, avec déjà plusieurs livres à son actif, La Vie au coeur de la forêt et l'Horloge de la nature" ainsi que ce best-seller en Allemagne traduit en 25 langues, La vie secrète des arbres.

Dans ce livre de vulgarisation très abordable, Peter Wohlleben raconte la vie des arbres et des forêts, de la naissance à la mort, avec beaucoup d'éléments inattendus et surprenants relatifs à la vie sociale et familiale de ces grands végétaux. On y apprend que les arbres communiquent et fonctionnent sur la base d'un réseau solidaire, qu'ils possèdent un cerveau sachant compter et repérer les changements de saisons ou encore qu'ils élèvent leurs petits sur qui ils veillent. On découvre toutes sortes de stratégies pour la reproduction, pourquoi les feuilles sont vertes, changent de couleur à l'automne et tombent en hiver ou comment les forêts évoluent et migrent au fil du temps. Les interractions avec le reste du milieu naturel ne sont pas oubliées, que ce soit la compétition entre les espèces pour la survie en forêt, les relations avec les champignons, les insectes et les animaux/oiseaux de la forêt ou encore le rôle de l'eau ou de la lumière...

On peut lire l'ouvrage d'une traite ou en butinant d'un sujet à l'autre avec une quarantaine de thèmes/chapitres indépendants, assez courts offrant un panorama complet sur les arbres/les forêts et leurs interractions avec le monde environnant.

La version illustrée du livre complémente le texte de photos magnifiques, pour le plaisir des yeux.

Un beau livre et un véritable plaidoyer pour les arbres, instructif et passionnant. À mettre entre toutes les mains, en particulier celles des amoureux de la nature ou des curieux avides d'apprendre de nouvelles choses !
Des histoires sur les forêts (pas un ouvrage scientifique) qui m'ont régalée même si je dois avouer un amour des arbres constituant une partialité de départ et un a priori favorable à cette lecture.  

Titre : La Vie Secrète des arbres, ce qu'ils ressentent, comment ils communiquent
Auteur : Peter Wohlleben
Première édition : 2016 

jeudi 4 janvier 2018

Fief de David Lopez


Ce n'est pas tout à fait la banlieue ni tout à fait la campagne. Jonas et ses copains traînent, fument, boivent, jouent aux cartes et vivotent sans réelles perspectives de travail ou d'avenir. Seul Lahuiss, le bon élève de la bande se démarque un peu, capable de faire le pont avec "les autres", le reste du monde. Le fief c'est le noyau géographique où ils ont grandi et se retrouvent et aussi les codes d'une bande qui se connait et s'est construite depuis l'enfance. Il y a Jonas le boxeur et son père qui joue au foot tous les dimanches, Lahuiss, celui qui fait des études, Poto le rappeur, Ixe le champion des fautes d'orthographe et aussi Sucré, Untel, Romain, ou encore l'intrigante Wanda ...

Fief c'est la vie au jour le jour de cette bande de potes d'une France qui s'ennuie ... et qui, finalement, m'a aussi beaucoup ennuyée parce qu'il ne se passe rien ou presque rien.
Certes, ce roman est à classer dans la catégorie "chronique / littérature française" au rayon des "livres de société " pour dévoiler la sociologie d'une vie de quartier sans réelle autre histoire que ce temps qui passe et qui s'étire sans perspective, rythmé par les joints qui s'enchaînent d'une page à l'autre, du début à la fin sans presque discontinuer.

Il faut toutefois rendre hommage à quelques passages du texte, truculents, notamment celui de la dictée de Candide faite par Lahuiss, drole et cocasse, mais globalement je n'ai malheureusement pas été sensible à cette "poésie contemporaine"; certains passages tels que le match de boxe m'ont semblés sans fin, trop longs, trop détaillés, ennuyeux et je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages, plutôt gentils mais quelconques, presque caricaturaux.

Recommandé par deux copines, j'espérais sans doute trop de cette lecture qui m'a déçue !

Titre : Fief
Auteur : David Lopez
Première édition : 2017