dimanche 30 mai 2021

Victime 2117 / Victim 2117 de Jussi Adler Olsen

 
Avec la victime 2117,  les quatre protagonistes atypiques du département 5 de la brigade criminelle de Copenhague nous emmènent à travers l'Europe et le Moyen-orient, entre passé et actualité. Cette fois, il ne s'agit pas d'un des cold-case qui constituent habituellement leur domaine opérationnel mais d'une affaire beaucoup plus personnelle qui permet de découvrir l'histoire d'Assad : sur une photo d'actualité largement médiatisée mettant en avant "la 2117ème victime" parmi les réfugiés de l'Afrique vers l'Europe, celui-ci reconnaît une ancienne amie et, à l'arrière plan sa femme Marwa et l'une de ses filles, Bella où Romia, qu'il croyait disparues depuis des années. Avec l'aide de Carl Morck et des services secrets allemand, le voici lancé dans une course contre la montre pour tenter de déjouer un terrible attentat-vengeance orchestré par son plus terrible ennemi. 
 
Dans le même temps, dans les bureaux de Copenhague, Gordon reçoit des appels d'un jeune "hikikomori" annonçant qu'il fera un massacre dans les rues de la ville lorsqu'il aura atteint le score de 2117 à son jeu vidéo (un objectif bien précis inspiré lui aussi de l'actualité). L'affaire est sérieuse et pousse Rose à sortir de l'isolement névrotique dans lequel elle s'était enfermée pour venir assister son jeune collègue qui en a bien besoin.
 
Pour moi, chaque épisode de la série Département 5 est comme un rendez-vous avec les personnages d'Adler Olsen pour savoir ce qu'ils deviennent et où ils en sont. Avec ce nouvel opus, l'histoire est centrée sur Assad, levant le voile sur le mystère qui l'entourait jusqu'à présent.
L'intrigue est comme toujours bien montée et menée, on tourne les pages impulsivement pour la dérouler et pourtant... au final je reste un peu sur ma faim, insatisfaite. D'abord pour l'improbablilité de l'intrigue principale : certes la "haine est aveugle" et le désir de vengeance peut conduire certains individus à des extrêmités mais ici, la combinaison vengeance-attentat, l'accumulation et le jusque boutisme entament la crédibilité d'ensemble. En ajoutant l'histoire d'Alexander, le jeune associal baricadé dans sa chambre et prêt à décapiter père et mère avant de faire un massacre, on frise l'overdose, créant exactement le même sentiment de "too much"  que j'avais éprouvé à la lecture de La Sorcière de Camilla Läckberg. 

Un peu déçue donc, mais pas fâchée. En fait, il vaut mieux ne pas trop réfléchir et se laisser emporter par ce polar qui reste bien écrit et divertissant, en attendant la suite car il subsiste encore pas mal d'éléments en attente d'éclaircissement dans cette série danoise.

Du même auteur,  dans la série Département 5, voir aussi :

Titre français : victime 2117
Titre anglais : victim 2117
Volume 8 de la série Département 5
Auteur : Adler Olsen
Première édition : 2019

samedi 22 mai 2021

La république du bonheur de Ogawa Ito

 
Avec toute la douceur de la plume d'Ogawa Ito, La république du bonheur nous ramène à Kamakura où nous retrouvons Hatoko, la propriétaire de la papeterie Tsubaki. Elle y officie toujours, prétant ses talents d'écrivain public à qui en a besoin, avec art et savoir-faire, raffinement et soucis du moindre détail (choix du papier, de l'outil, de l'enveloppe, du timbre, etc.). La jeune femme vient d'épouser Mitsuro, veuf et papa d'une de ses jeunes clientes, QP, âgée de six ans. La famille recomposée organise sa nouvelle vie entre deux domiciles et une nouvelle routine se met en place alors que passent les saisons. 

J'avais gardé ce livre sous le coude pour le moment où j'aurais besoin d'une lecture apaisante et sans prise de tête, un rendez-vous sans (mauvaise) surprise qui soit à la hauteur de mes attentes. Je me suis donc coulée avec délices dans cette chronique familiale rythmée par les activités saisonnières au cours de laquelle chacun vaque à ses occupations, apprend à mieux se connaître, à partager et à inviter les fantômes du passé à prendre la place qui leur revient.
 
Une petite bulle de lecture presque intemporelle, pleine de bienveillance et de délicatesse, dégustée comme une friandise.

Extraits du texte :
J'ai toujours aimé manger de bonnes choses. Mais un plat n'a pas le même goût selon qu'on le mange tout seul, en silence, ou avec des êtres chers en bavardant gaiement. Bien manger à table avec ceux qu'on aime : rien ne surpasse un tel moment de bonheur et de luxe. 
 
L'écriture n'est pas qu'une question superficielle de beauté ou de laideur, ce qui compte,c 'est le cœur qu' on y met. De la même façon que le sang coule dans les veines, si l'écriture exprime sincèrement nos intentions, le destinataire le sent. J'en suis convaincue. 

Moi, ma plus grande crainte, c'est de voir disparaître les boîtes aux lettres. Si plus personne n'écrit, un jour, il n'y en aura peut-être plus, de la même façon qu'avec la diffusion du portable, les cabines téléphoniques ont progressivement disparu.

Du même auteur,  voir aussi :

Titre : La république du bonheur
Auteur : Ogawa Ito
Première édition : 2017

jeudi 20 mai 2021

Mademoiselle Papillon d'Alia Cardyn

Je voulais raconter une histoire sur le pouvoir du don de soi. 
On oublie que lorsque l'on prend soin d'un autre être humain, on prend soin de ceux qui croiseront sa route. 
L'amour suscite l'amour. Cela nous donne un pouvoir personnel infini. 
 
Gabrielle, la trentaine, célibataire, est infirmière dans une unité néonatale de soins intensifs accueillant les bébés prématurés à la frontière de la vie et de la mort. Elle est très investie et maîtrise les aspects techniques de son métier mais elle commence à ressentir un certain mal être, de plus en plus de fatigue ainsi qu'une perte de sens et de repères dans la pratique de son travail. C'est donc une période difficile psychologiquement lorsque sa mère, romancière, lui remet son dernier manuscrit pour avis, sans lui donner de détails afin de ne pas influencer sa lecture. Elle va y découvrir le personnage de Thérèse Papillon au travers de pages combinant l'histoire de cette femme d'exception - juste parmi les nations, ayant accueilli pendant un demi siècle quelques 25'000 enfants au "préventarium" qu'elle a créé en 1922 à l'abbaye de Valloires - et des extraits de "carnets de bord“ fictifs lui donnant une voix plus intime.
Au fil des pages, l'histoire de Gabrielle et celle de Thérèse semblent entrer en résonance,  même si les époques et les problèmatiques sont différentes leur vocation d'infirmières et leur dévouement les relient.
 
Alia Cardyn nous livre avec beaucoup de délicatesse ces deux portraits de femmes, l'une, "figure historique" méconnue dont la ténacité et l'action méritait qu'on s'y intéresse, l'autre, jeune femme de notre époque qui nous ouvre un monde bien particulier en nous faisant vivre "de l'intérieur" le quotidien de ces services spécialisés dédiés aux soins des petits prématurés si fragiles. Ces deux volets auraient presque pu faire chacun l'objet d'un livre et j'aurais peut-être aimé plus d'éléments et de développements sur le personnage de Thérèse même si les notes de fin de livre permettent de comprendre que son histoire est ici largement romancée faute d'archives ou de témoignages suffisants, l'auteur ayant imaginé son parcours et sa personnalité à partir de quelques brides bien identifiées tirées du réel. Quant au personnage de Gabrielle, on sent assez vite comment vont évoluer les choses si bien qu'il m'a surtout intéressé pour l'entrée privilégiée offert dans son unité de soin plus que pour son évolution psychologique.
 
Ces réserves mineures n'enlèvent rien à la qualité du roman dont j'ai tourné les pages avec plaisir. Une lecture globalement facile, plaisante et enrichissante, un trio gagnant qui m'incitera certainement à ouvrir d'autres romans de cette romancière Belge.

Titre : Mademoiselle Papillon
Auteur : Alia Cardyn
Première édition : 2020

mercredi 12 mai 2021

La diagonale de la joie de Corine Sombrun

  
C'est la lecture de Mon initiation chez le chamanes* qui m'a fait découvrir Corine Sombrun il y a déjà quelques années ; elle y racontait la façon dont ses "facultés de chamanes" avaient été révélées lors d'un reportage en Mongolie et l'initiation qu'elle avait ensuite reçue là-bas, en vivant auprès d'éleveurs de rennes, pour cultiver et maîtriser ces capacités.
 
Depuis,  je "la suis" fidèlement parce que son histoire est unique, inhabituelle et troublante pour un esprit cartésien occidental -à commencer par le sien- et qu'elle nous ouvre un monde de possibles différent. Ses livres jusque-là pleins d'humour, de doutes et de dérision forment un véritable parcours initiatique dont La diagonale de la joie est l'aboutissement. Ce nouveau témoignage est marqué du sceau du sérieux donné par la science : il récapitule 18 années de lutte de Corine Sombrun pour faire reconnaître la transe comme un sujet d'étude et de recherches, prouver qu'elle a un potentiel cognitif accessible à tous (ou presque), qu'elle n'est pas une pathologie ou une fantaisie d'illuminée et qu'elle ouvre la voie à des applications thérapeutiques intéressantes. Les perspectives sont immenses et la création du Transe Science Research Institute, association ouverte à tous domaines scientifiques, doit permettre d'en coordonner les applications.

Que de chemin parcouru... Portée par son intuition et ses convictions, Corine Sombrun a commencé par témoigner mais ne recevait au départ que des regards dubitatifs (voire parfois même des menaces) et n'avait en retour que des propositions de consultations pour évaluer sa santé mentale. Au fil du temps et des rencontres elle finit par intéresser quelques spécialistes des neurosciences qui lui imposent des conditions d'études scientifiques drastiques pour étudier son cas : il lui faut arriver à provoquer une transe sans son tambour tout en restant suffisamment immobile pour permettre aux électrodes de faire leur travail ou encore s'engager à ne faire aucune consultation thérapeutique de ses capacités. La première étude menée à Edmonton au Canada mettra toutefois 10 ans avant la publication de ses conclusions, référence tant attendue alors que les premières analyses avaient laissé penser au chercheur que la pratique était dangereuse, recommandant initialement à Corine d'y renoncer.
 
Corine étant par ailleurs un cas unique pour les études, se posait aussi la question de trouver d'autres sujets susceptibles de les valider ; c'est du côté de la musique, de contacts et d'expérimentations parallèles avec des écoles d'art que le sujet de la transe va avancer grâce à une "sound loop" réalisée à partir d'extraits d'enregistrements efficaces et puissants de rythmes chamaniques. Là encore, une véritable épopée ! 

La narration temporelle de cette histoire de persévérance extraordinaire est entrecoupée de chapitres / paragraphes intermédiaires de deux types :
- "la minute perceptuelle" offrant des citations d'auteurs et de penseurs très variés
- les "lettre(s) à mon basilic", plus personnelles dans lesquelles Corine Sombrun fait part de son état d'esprit, de réflexions, de convictions, d'expériences et de ressentis par rapport aux éléments ou à la période qu'elle évoque.
C'est finalement le récit d'une formidable aventure profondément humaine qui au-delà de la reconnaissance scientifique touche une dimension spirituelle universelle.

Un livre qui m'a une nouvelle fois passionnée et qui donne véritablement envie d'en savoir plus voire d'expérimenter la transe, véritable "outil d'exploration d'une réalité sous-jacente" et de notre condition humaine au sein de l'univers. ❤️❤️❤️
 
Nota :
*  Cette initiation et l'histoire de Corine ont été adaptées au cinéma dans le film Un monde plus grand. Des indications à ce sujet sont d'ailleurs fournies dans le livre.
 
Tirés du texte :
"C'est le paradoxe suprême de la pensée que de vouloir découvrir quelque chose qu'elle ne puisse penser." (Soren Kierkegaard) 
 
"C'est mon corps qui pense, il est plus intelligent que mon cerveau." (Colette) 
 
 Je ne comprends toujours pas pourquoi certaines choses parlent et d'autres pas. Mais je sais maintenant que tout peut parler autour de nous. 
C'est un sentiment agréable de n'être plus jamais seule. (...) 
Tu ne crois pas que le sentiment de solitude est la conséquence de notre perception amoindrie de l'environnement ?

En fait le cerveau est une feignasse, il ne va pas développer ou entretenir des capacités dont il n'a pas besoin. Et sans un entraînement ou une stimulation forte, comme une situation d'urgence, une expérience de mort imminente, un état mis en évidence en 1975 sous la dénomination de near death experience (NDE), ou un choc psychologique violent, ces capacités restent en sommeil. 

Je me demande, dit-il, si l'état de transe n'est pas la source d'un enseignement intuitif. Celui dont nous rêvons tous en tant qu'artistes. 
Savoir sans avoir à apprendre. 

La distance est un leurre créé par le mental, oui. Nous sommes tous connectés, à un point que nous n'imaginons pas. 

Le mot "inspiration" s'ouvre en moi. Je me demande si les idées ne viennent pas uniquement quand on inspire. 
Aucun artiste ne peut créer sur une expiration. Et personne ne meurt sur une inspiration.

Si la transe nous permet d'accéder aux mêmes capacités que celles d'un chamanes, elle ne fait pas de nous des chamanes. 
Pas plus que le fait de savoir dire une prière ne fait d'un Mongol un curé. 

Que comprenons-nous dans les mots de l'autre, à part nos propres interprétations ? Projections ? La signification donnée à un mot en réduit le sens. 

Observer la nature en pensant à ce qu'elle peut m'apprendre à changé ma façon de la regarder. De la respecter. Nous sommes devenus trop bruyants, trop voyants, trop arrogants pour avoir encore l'humilité d'écouter simplement le vivant. Il n'y a pourtant aucune séparation entre nous, tout communique. Pour en prendre conscience il faudrait commencer par fixer l'attention, pas la pensée, dit en substance Marguerite Yourcenar. 
La transe supprime ce qui nous sépare. Mais quoi, qui communique ? 

Et si c'était ça, la réincarnation : la résonance d'une fréquence qui perdure comme un écho dans un autre corps ? 

Le corps n'est pas la maladie, mais son Miroir. Grâce à lui elle se révèle et nous donne le moyen de la transformer.

Le secret de l'immortalité, ne serait-il pas déjà d'accepter la naissance et la mort comme une transmutation de ce flux de vie qui nous traverse ? 

Notre société occidentale n'est-elle pas la seule à avoir laissé de côté l'utilisation de ce potentiel ? 
Des études anthropologiques ont en effet montré que sur quatre cent quatre-vingt-huit sociétés étudiées dans le monde, 
plus de 90% avaient une forme institutionnelle de pratique de la transe. (...) 
Si notre société a travaillé à faire de nous des êtres plus savants, 
les sociétés traditionnelles se sont de tout temps attachées à faire de nous des êtres plus conscients. 

La transe a remis en cause mes schémas mentaux, mes certitudes, mon rapport au monde. (...)
 Vivre une transe, c'est accepter de ne plus savoir qui je suis, et si je ne sais plus qui je suis, je suis libre de devenir ce que je suis. 
Grâce à elle, j'ai découvert le sens du sacré. Cette racine de la spiritualité est bien là, en chacun de nous.
 
Du même auteur,  voir aussi :

Titre : La diagonale de la joie
Auteur : Corine Sombrun
Première édition : 2021

lundi 3 mai 2021

La fille de la supérette (Konbini) / Convenience Store Woman de Sayaka Murata

 
Keiko Furukura travaille depuis 18 ans dans un kombini*, une situation qui dure et qui lui convient du fait de la codification des gestes et de la parole mis en pratique dans ce type de boutique offrant à cette "inadaptée sociale en recherche d'appartenance" un "manuel d'existence normale" permettant d'éviter toute erreur comportementale. Elle subit toutefois la pression de son entourage qui ne comprend pas pourquoi elle ne cherche pas un "vrai travail" plutôt que de persister dans ce "job temporaire" tout en se désolant de voir la jeune femme encore célibataire alors que les camarades de sa génération sont déjà toutes mariées et mères de famille. 
C'est dans ce contexte que débarque Shiraha, un nouvel employé dont le comportement anticonformiste et je-m'en-foutiste lui vaudra d'être rapidement renvoyé mais avec lequel Keiko va passer un drôle de contrat. 

Ce cours roman nous plonge dans la vie bien huilé d'un Konbini, une de ces boutiques qu'on trouve à tous les coins de rues dans les grandes villes asiatiques et en particulier au Japon.  Mais cette histoire c'est aussi et avant tout celle de Keiko, personnage pour le moins singulier dont la différence dans une société hyperconformiste ne génère qu'incompréhension et répréhension si bien qu'il lui a fallu très tôt développer des stratégies pour cacher son inadaptabilité, par le silence et l'imitation. Le drôle de contrat passé avec Shiraha et cette histoire ont un côté complètement farfelus s'ils sont remplacés dans le cadre de la "normalité", ils sont pourtant en total adéquation avec le monde "à la marge" dans lequel se débat de Keiko.
Une lecture rapide et facile abordant "du dedans" la question des "normes" et des difficultés qu'elles imposent à ceux qui ne sont pas exactement dans les clous.

 *Konbini : supérette / magasin de proximité au Japon qui fonctionne jour et nuit.
 
Tirés du texte :
Les gens perdent tout scrupule devant la singularité, convaincus qu'ils sont en droit d'exiger des explications.

Dans ce monde régi par la normalité, tout intrus se voit discrètement éliminé. Tout être non conforme doit être écarté.
 
Titre français : La fille de la supérette (Konbini)
Titre anglais : Convenience Store Woman
Auteur : Sayaka Murata
Première édition : 2016