mardi 5 novembre 2019

Nos jours heureux de Gong Ji-Young


Comme cette pluie hivernale qui tombe uniquement dans la lueur des phares,
 il existe ici-bas tant de choses qu'on ne voit pas tellement elles sont sombres.

Issue d'une famille nantie avec laquelle elle entretient des rapports difficiles, menant une vie débridée et sans filtre, ancienne chanteuse populaire, Yujeong est une jeune femme mal dans sa peau, enfermée dans son mal vivre depuis un viol subi à l'adolescence et qui, la trentaine passée, fait une 3ème tentative de suicide.

Seule parente qu'elle respecte et qu'elle n'a pas vue depuis 10 ans, sa tante Monica, religieuse et visiteuse des prisons auprès des condamnés à morts lui impose alors de l'accompagner pour rencontrer Yunsa qui attend son exécution à la prison de Séoul.

À part l'âge et peut-être un sentiment morbide, tout semble séparer Yujeong et Yunsa mais un étrange "parler vrai" va pourtant s'établir entre ces deux êtres perdus en les transformant pour leur donner un nouveau regard sur le monde.

Un roman intense et profond, riche en émotions, des plus noires aux plus lumineuses. Il est question de souffrance, d'incompréhension, de pauvreté, de religion, de haine, d'amour, de rédemption, de pardon. L'auteur alterne habilement les chapîtres entre le récit et les pages d'un "cahier bleu" sur lesquelles Yunsa relate son histoire. Avec le "parler vrai", l'auteur nous fait "vivre" l'aspect thérapeutique de la parole comme celle de l'écriture.

Le livre est adroitement construit et aborde la question de la peine de mort avec intelligence, d'abord sous l'emprise émotionnelle et absolue des sentiments puis d'une façon plus apaisée, épurée et libérée du pathos.

La Corée du Sud est à la mode si bien que sa littérature devient beaucoup plus accessible avec nombre de romans de qualité enfin traduits en français, comme celui ci. À lire, tout simplement.

Nota : la peine de mort existe toujours en Corée du Sud qui compte 57 condamnés en attente d'exécution même si dans les faits elle n'est plus appliquée (les dernières exécutions remontent à 1997).

Extraits du texte :
Il n'y a qu'une chose qui est pire que de ne pas pouvoir sentir. 
C'est de ne pas savoir qu'on ne sent rien. 
(Charles Fred Alford, What Evils Means to us) 

Se faire traiter comme un enfant, c'est le plaisir secret des adultes. 

Il était déjà au delà de tout système établi par l'homme pour châtier d'autres hommes. Il se moquait éperdument de l'absurdité de ces systèmes qui réduisent toutes les violences ayant précédé le meurtre au seul meurtre.

Être gentil, ce n'est pas stupide. La compassion, ce n'est pas de la faiblesse.
 Pleurer pour les autres, avoir le cœur déchiré à cause des erreurs qu'on a commises, c'est peut-être du sentimentalisme, 
mais c'est quelque chose de beau, un bon sentiment.
 Être blessé après s' être donné autant, ce n'est pas quelque chose de honteux.
 (...) tu sais, savoir ce n'est rien en soi. C'est même pire que de ne pas savoir.
 S'il y a une différence entre savoir et comprendre, c'est parce que pour comprendre, il faut une certaine souffrance.

Ce n'est pas parce qu'on est habitué à être trahi qu'on ne souffre pas à chaque trahison, 
ce n'est pas parce qu'on tombe souvent qu'on se relève facilement une fois encore. 

Le sens d'un acte naît avant même que l'acte se produise. (...)
 C'est toujours l'acte qui détermine la vérité, alors que c'est plutôt la vérité qu'à l'acte qu'on devrait porter l'attention... 

Quand on a été témoin d'un meurtre, on devient partisan de la peine de mort, 
quand on a été témoin d'une exécution, on devient partisan de l'abolition de la peine de mort.

 J'ai découvert que seuls ceux qui ont reçu l'amour peuvent aimer, que seuls ceux qui ont reçu le pardon peuvent pardonner.

Titre : nos jours heureux
Auteur : Gong Ji-young
Première édition : 2005

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