mardi 29 juin 2021

Qui sont les anges gardiens ? de Samuel Socquet

Anges-gardiens, Noble Céleste, esprits, guides, forces, énergie... Qu'est-ce qui se cache sous ces appellations recouvrant plus ou moins les mêmes concepts, des affabulations ou une réalité "autre" plus large que la perception du monde que nous pouvons avoir ?
Dans cet essai très accessible et bien construit, Samuel Socquet nous livre une enquête journalistique très documentée sur ce sujet de "l'angiologie" (terme que j'ai découvert au passage). En partant d'exemples concrets d'expériences "inexplicables" selon la logique strictement cartésienne, vécues par des individus pas forcément ouverts aux questions spirituelles,  l'auteur explore la question des anges gardiens sous différents angles :  occurrences et représentations dans les textes religieux de confessions variées, place dans les sociétés traditionnelles à travers le chamanisme, place dans la culture chinoise, missions et rôles qui leur sont attribués, présence auprès des médiums qu'ils guident, prise en compte dans les soins et de nouvelles branches de la médecine, etc.
Mais dans le monde matérialiste qui est le notre et le scepticisme généralisé face à ce type de questions qui relèvent pour beaucoup de la foi, de la croyance ou de la superstition, l'auteur ajoute de l'objectif au subjectif avec un volet scientifique intéressant et surprenant sur des expériences menées aux États-Unis attestant de phénomènes lumineux associés à ces présences dont parlent les médiums.

Un titre qui m'a interpellée et intéressée parce qu'il constitue un prolongement d'autres lectures alimentant un intérêt personnel sur les questions du cerveau, de la conscience et d'une façon plus large, de ce qui touche à la spiritualité laïque. Une pierre sur le chemin de la connaissance de soi et une référence ouvrant la voie à d'autres développements, auteurs et études afin d'approfondir encore un sujet sans absolu, sur lequel on n'a jamais fini d'apprendre et de s'enrichir. 

Tirés du texte :
 Un ange gardien, c'est comme un muscle. Si on ne le sollicite pas, il ne répond pas.
 
(...) Deux des fonctions traditionnellement attribuées aux anges, qui auraient pour rôle de protéger les hommes ou de les guider sur leur chemin. (... ) une troisième fonction leur est souvent attribuée, celle de la guérison - guérison physique et guérison spirituelle. 

[Définition du chamanisme par Laurent Hugueli] "Pour moi, il s'agit avant tout d'un rapport au monde : la pratique du chamanisme permet de prendre conscience que l'on est profondément lié à tout ce qui nous entoure." (...) 
Traditionnellement, le rôle du chamane est de maintenir le contact avec la réalité invisible, 
et de favoriser une sorte d'équilibre entre le monde matériel dit "ordinaire" et le monde des esprits.
 Une manière simple, très chamanique, d'expliquer cela consiste à considérer que la nature a une âme avec laquelle on peut communiquer. 

Que nous vivions en Occident ou dans un pays du monde occidentalisé, nous grandissons dans un système éducatif qui apprend à privilégier la raison discursive à l'intuition, le visible à l'invisible. Notre raison perceptive et nos ressentis ne sont pas valorisés dans cet apprentissage car ils sont forcément subjectifs - donc ni quantifiables ni observables selon les normes scientifiques actuelles. 
Selon ces normes, les esprits des monde(s) invisibles n'existent que dans l'imagination de ceux qui y croient.
 
Le chamanisme est (...) presque une méthode scientifique pour entrer dans la structure intime de l'univers, 
avec un accès direct, non intellectuel, au monde qui nous entoure. 

Aldous Huxley : "le XXieme siècle est, entre autres choses, l'Âge du bruit. Le bruit physique, le bruit mental et le bruit du désir - nous détenons le record de l'histoire en ce qui les concerne tous."

La pensée occidentale s'est totalement détournée des forces invisibles, comme si elles étaient le signe d'un retour à l'irrationnel, au Moyen Âge, etc. 

En Suisse, on ne parle pas de médecine "parallèle", encore moins de médecine "non conventionnelle", mais de médecines complémentaires.(...) Je trouve que la médecine est devenue très protocolaire, alors même qu'il y a un besoin de personnalisation dans les soins.
 
[Claire Guillemin] Dans les facultés de médecine américaines, la médecine intégrative est quelque chose de complètement acquis. À mon sens, il faut absolument sortir de la peur, qui est un problème central. À l'opposé de la peur on trouve l'amour : pas l'amour comme sentiment, mais en tant que vibration. L'amour, c'est une vibration de confiance, d'acceptation que tout ce qui est en train d'arriver est juste. 
Lorsqu'il se trouve dans cette vibration-là, l'individu est en paix.
 
Nous vivons dans une culture où on nous a appris à nous méfier des croyances, un mot devenu synonyme d'obscurantisme selon certains, qui craignent que nous ne revenions à des âges archaïques où prévalait la superstition si nous laissons les croyance (re) prendre le dessus. Les connaissances qui relèvent du domaine du perceptif sont elles aussi suspectes, car dans notre société contemporaine occidentale domine une pensée issue d'un "positivisme radical"  qui, au nom de la modernité, "exclut toute référence à la subjectivité, à la sensibilité, à l'intuition." (...) 
Pour être pris en compte, un phénomène doit être observé dans un laboratoire, où il sera analysé selon les normes contemporaines, c'est-à-dire qu'il doit pouvoir être transformé en expérience qui, reproduite un certain nombre de fois, fournira des données en quantité suffisante.(...) 
Ces conventions en vigueur - et les scientifiques qui les respectent - n'accordent aucun crédit aux mots "esprit", "âme"  ou "sacré", désignés en anglais comme "the S words" (Spirit, soul, sacred), mots devenus tabous à force d'être assimilés à des croyances superstitieuses.

[Gary Schwartz]  la recherche contemporaine sur la conscience commence à fournir des preuves qui suggèrent que (1) la conscience est séparée du cerveau; (2) la conscience et l'âme peuvent être comparées à de l'énergie et de l'information, qui persiste quelque part dans l'espace ; (3) les individus peuvent recevoir des informations intuitives utiles pour eux et la collectivité ; (4) la santé physique et la santé psychologique peuvent être renforcées en utilisant des procédures basées sur l'amour spirituel. (...) 
les preuves convergent vers l'émergence d'un paradigme postmatérialiste, en psychologie et dans les sciences en général.

Titre : qui sont les anges gardiens?
Auteur : Samuel Socquet
Première édition :  2015

dimanche 27 juin 2021

La soeur disparue / The Missing Sister de Lucinda Riley

 

Ally et Maia, Ceccee et Star, Tiggy et Electra, les six sœurs d'Aplièse vont bientôt se retrouver pour une croisière en Méditerranée, direction la Grèce afin de rendre un dernier hommage à leur père disparu l'année précédente. À la fin du dernier roman, elles ont appris que la 7ème sœur dont leur père n'avait pas pu retrouver la trace avant sa mort pourrait avoir été localisée et identifiée. Alors, avec pour seul indice et "preuve" le dessin d'une bague remis par leur avocat injoignable, les voilà lancées sur la piste de cette "sœur disparue" qu'elles voudraient associer à leur pélerinage familial. Cela déclenche une sorte de course-poursuite-contre-la-montre débutant en Nouvelle-Zélande, passant ensuite par l'île de Norfolk, le Canada, Londres, Dublin, la France et la province de West Cork en Irlande qui met les sœurs à contribution les unes après les autres. 
La quête semble simple au départ : Mary-Kay, jeune kiwi adoptée est sans doute la sœur disparue mais il manque la preuve, la fameuse bague que sa mère a emportée avec elle dans un tour du monde. Mais à chaque fois qu'une des sœurs cherche à contacter la mère, celle-ci s'esquive affolée,  comme poursuivie et effrayée par des démons d'un passé qu'on découvre au fil des pages et qui passe par l'histoire tourmentée de l'Irlande des années 1920 aux années 1970 avec un éclairage particulier sur le rôle des femmes pendant les années de la révolte irlandaise pour l'indépendance.

Littéralement "tombée" dans la série, c'est sans attendre que je me suis plongée dans ce septième volet. On y retrouve tous les ingrédients qui font le succès de la saga, les références à la mythologie grecque, du romantisme en veux-tu en voilà, des voyages et de l'exotisme ainsi que tout un pan historique consacré cette fois à l'Irlande, pays de l'auteur. Une écriture parfois inégale mais toujours pleine de bienveillance et même de poésie sur des périodes pourtant noires de l'histoire. Une lecture facile en forme de conte de fées moderne, imprégnée de beaux sentiments et d'eau de rose, pour laquelle il vaut mieux faire abstraction de certaines facilités du récit afin d'en apprécier le déroulé et se laisser emporter. 
 
La septième sœur méritant finalement son propre volume,  l'auteur avait annoncé avant la publication de cet opus que la clé de l'ensemble relative au mystère Pa Salt ferait l'objet d'un autre livre, mais personne n'anticipait le décès de Lucinda Riley le 11 juin - paix à son âme. Ainsi, beaucoup se désolent déjà que l'auteur qui nous tient en haleine depuis plusieurs années ne pourra nous donner elle-même le fin mot de l'histoire... Peut-être pas très charitable et un peu égoïste mais il est vrai que comme tout "fan",  je reste moi aussi sur ce double deuil et dans l'expectative en espérant que ce joli cycle romanesque pourra être clôturé en respectant l'esprit de celle qui l'a imaginée.

Du même auteur, voir aussi :

Titre original : The Missing Sister
Titre français : La soeur disparue
Septième volume de la saga des sept soeurs
Auteur : Lucinda Riley
Première édition : mai 2021

vendredi 25 juin 2021

Bright de Duanwad Pimwana

 
Kampol a six ans lorsque ses parents se séparent : sa mère est partie et son père lui demande de l'attendre au coin de la rue pendant qu'il emmène son petit frère encore bébé chez sa grand-mère. Le jeune garçon se retrouve livré à lui même et aux bons soins de la communauté de son quartier qui va le prendre en charge alors que sa situation de semi-abandon perdure et s'installe. Des circonstances très particulières auxquelles le garçonnet va finir par s'accomoder grâce à la bienveillance de ses voisins - des gens simples et modestes - qui l'hébergent et le nourrissent à tour de rôle dans une sorte de mouvement solidaire naturel et tacite. S'en suit la chronique des petits évènements du quotidien de Kampol : ses états d'âmes, ses copains, l'école, ses "petits boulots", son élevage de criquets, une chasse aux fantômes, une pièce perdue dans le sable ... 

Un "abandon" en postula de départ qui pourrait introduire une histoire "à la Dickens" au risque de tomber dans le misérabilisme, le larmoyant ou le sordide alors qu'il n'en est rien. Bien au contraire, au fil des pages, ce roman se révèle plein de fraîcheur et d'humanité, d'amitié, de jeux, d'expériences, à la fois riche et profond tout en gardant une certaine légèreté et pas mal d'humour. Si l'apprentissage de la vie n'est pas toujours facile pour Kampol, il n'en demeure pas moins un petit garçon - presque - comme les autres ; les membres de la communauté de ce quartier qui vit en vase quasi-clos se substitue au couple parental, c'est là sa différence. Quelques adultes sont plus présents et attentifs que d'autres comme Chong, le marchand chinois ou Mon la mère de Oan, le meilleur ami de Kampol mais tous adoptent de bon coeur et avec sollicitude leur petit voisin.
 
Il n'est pas toujours facile de trouver des livres de qualité tirés de la littérature thaïlandaise et c'est avec ravissement que je me suis plongée dans cette pépite traduite du thaï vers l'anglais. Une lecture plaisante, en toute simplicité, offrant une immersion culturelle pleine d'humanité auprès de personnages plus attachants les uns que les autres, riches de grandes qualités de cœur. Encore  !

Titre anglais : Bright
Pas (encore) de traduction française
Auteur : Duanwad Pimwana
Première édition : 2002

lundi 14 juin 2021

Paz de Caryl Férey

 
Comme l'Afrique du Sud ou la Corée du Sud avant elle, la Colombie a entrepris une démarche "paix et réconciliation" mais après 60 ans de guerre civile, va-t-elle pouvoir tourner la page des heures sombres de son histoire pour rejoindre une fois pour toutes le camp de la paix ? 
C'est l'enjeu de cette histoire lorsque Lautaro, chef de la police criminelle de Bogotá (et fils de Saùl, le procureur général du pays), se trouve confronté à une série de meurtres rappelant par leurs atrocités les pires heures de la "Violencia". Pour ne pas compromettre le processus de paix et les élections toutes proches, l'ampleur de ce mouvement de violence est caché à la population alors que Lautaro met les bouchées doubles pour trouver qui peut bien tirer les ficelles : anciens FARC révolutionnaires  ? barons de la drogue ? C'est sans compter sur Diana,  journaliste d'investigation qui est elle aussi sur la piste et sur celle du passé de Lautaro, bien trouble.

Avec le coup de patte et le savoir-faire qui le caractérisent, Caryl Férey nous entraîne au cœur de la violence et de l'histoire colombienne à l'heure d'une "réconciliation" qui n'a rien d'évident : les cicatrices du passé ont du mal à se refermer et les "convertis" à la paix sont menacés par les luttes de pouvoirs pilotées par ceux qui veulent reprendre la main.
 
Donnant vie et voix aux plus démunis, aux exploités, aux exclus, les thrillers de Caryl Férey sont toujours emprunts de brutalité mais avec Paz, la violence semble atteindre de nouveaux sommets. L'auteur indique en postface combien il est pourtant resté en dessous de la vérité face aux horreurs commises/subies pendant la guerre civile alors il vaut mieux avoir le cœur bien accroché pour aborder cette lecture.
Un livre certes violent mais aussi haletant qui, au delà de l'intrigue et du suspence, dresse un panorama extrêmement documenté de ce pays d'Amérique latine, sur tous les plans : historique, sociologique, politique et géographique... Une combinaison qui fonctionne bien et me fait particulièrement apprécier cet auteur.
 

Titre : Paz
Auteur : Caryl Ferey
Première édition : 2019

vendredi 11 juin 2021

Les enfants sont rois de Delphine de Vigan

 
2001.
Clara Roussel et Mélanie Chaux sont ados lorsqu'elles découvrent la Télé-réalité avec le Loft. 
2019
Clara Roussel n'a pas réussi à devenir une "star" de la Télé-réalité comme elle aurait tant voulu mais elle est mariée à Bruno et mère de deux jeunes enfants, un garçon et une fille, Sammy et Kimmy. Toujours en quête de reconnaissance, elle s'est lancée avec succès sur youtube et les réseaux sociaux où elle cartonne avec sa chaîne Happy Récré sur laquelle elle met en scène et expose ses enfants et sa vie de famille. Sa vie bascule lorsque sa fille, petite star de ses vidéos, disparaît au cours d'une partie de cache-cache dans la cours de leur résidence. 
Au sein de l'équipe chargée de l'enquête policière, Mélanie Chaux est la "procédurière", celle qui réunit toutes les pièces du dossier en s'assurant qu'il est complet, détaillé et conforme aux procédures judiciaires. À cet effet, elle est amenée à analyser et documenter les séquences publiées par la famille sur sa chaîne, un monde très particulier qui lui est totalement étranger...

Avec ses talents de conteuse hors pair et un récit passionnant comme toujours finement construit, Delphine de Vigan nous entraîne dans le monde des réseaux sociaux où l'intime n'existe plus et où le paraître est plus important que l'être. Une histoire terrible en forme d'enquête policière dans laquelle les enfants sont des sacrifiés au service des névroses de leurs parents, aussi aimants soient-ils, tellement incroyable qu'on se dit que l'auteur a vraiment beaucoup d'imagination... jusqu'à ce qu'on veuille en avoir le cœur net et qu'on aille regarder de quoi il retourne sur youtube où l'on retrouve absolument tout ce qui est minutieusement décortiqué par Mélanie dans le livre !
Un roman documenté sur les dérives exhibitionistes d'une société nombriliste hypermatérialiste et les conséquences qu'elles pourraient avoir à long terme pour ces enfants sur-médiatisés et "digitalisés" dès leur plus jeune âge (l'épilogue nous transporte jusqu'en 2031). 
Delphine de Vigan intègre avec justesse les ressorts psychologiques de ces personnages si représentatifs de notre époque... Un très bon roman que je n'ai pas lâché, noir et dérangeant,  à lire !
 
Du même auteur, voir aussi :

Tirés du texte :
Cette perméabilité de l'écran. Ce passage rendu possible de la position de celui qui regarde à celui qui est regardé. Cette volonté d'être vu, reconnu, admiré. Cette idée que c'était à la portée de tous, de chacun. Nul besoin de fabriquer, de créer, d'inventer pour avoir droit à son "quart d'heure de célébrité". 
Il suffisait de se montrer et de rester dans le cadre où face à l'objectif. 

Chaque famille cultive sa fable. Ou tout au moins une version épique de son histoire, enrichie au fils du temps, à laquelle s'ajoutent peu à peu des prouesses, des coïncidences, des détails remarquables, voire quelques affabulations. 

Pourquoi ne lui revenaient que ces moments mélancoliques, quand il y en avait tant d'autres où ils avaient ri ? Car en réalité, depuis quatre ans, ils s'amusaient comme des fous. Happy Récré était le cadeau qu'elle avait offert à sa famille. Un cadeau qui avait illuminé leur vie.

Il suffisait de regarder les plate-formes de partage pour voir que la notion d'intimité, d'une manière générale, avait profondément évolué. Les frontières entre le dedans et le dehors avaient disparu depuis longtemps. Cette mise en scène de soi, de sa famille, de son quotidien, la quête du like, Mélanie ne les avait pas inventées. Elles étaient aujourd'hui une manière de vivre, d'être au monde.
 Un tiers des enfants qui naissaient avaient déjà une existence numérique.

Aujourd'hui, n'importe qui pouvait imaginer que sa vie était digne de l'intérêt des autres et en récolter la preuve. N'importe qui pouvait se considérer et se comporter comme une personnalité, un people...  (...) Pour exister, il fallait cumuler les vues, les likes et les stories.
 
Les frontières de l'intime s'étaient déplacées. Les réseaux censuraient les images de seins ou de fesses. Mais en échange d'un clic, d'un cœur, d'un pouce levé, on montrait ses enfants, sa famille, on racontait sa vie. Chacun était devenu l'administrateur de sa propre exhibition, et celle-ci étant devenue un élément indispensable à la réalisation de soi. 

La question était de savoir ce que l'époque tolérait, encourageait, et même portait aux nues. Et d'admettre qu'ils étaient inadaptés, dépassés, voire réactionnaires, ceux qui, comme elle, ne pouvaient plus s'y mouvoir sans s'étonner ou s'indigner. 

Titre : Les enfants sont rois 
Auteur : Delphine de Vigan
Première édition : 2021

lundi 7 juin 2021

Pure de Linda May Klein

 
Aux États-Unis, Lisa Kay Klein a grandi au sein de l'église évangeliste et de la "culture de la pureté" émergeante dans les années 1990 avec ses anneaux de pureté, ses serments de virginité/pacte de pureté jusqu'au mariage, etc. Un mouvement culturel accompagné de messages débilitants et entachant la sexualité de toute une génération : les filles y sont vues comme des objets de tentation pour les hommes, et la moindre expression de leur sexualité, une "faute" leur incombant, un pas irréversible vers la damnation sans espoir de rédemption. À la longue et avec le recul, les messages répétés et intégrés par toute cette génération de femmes blanches ont eu pour beaucoup un effet traumatisant à long terme avec son lot d'anxiété, de peurs et même de symptômes pouvant se rapprocher de ceux des pathologies PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder). Des femmes qui se retrouvent bloquées dans un "cycle de la honte" auquel il est difficile d'échapper, notamment lorsqu'elles sont portées par leur foi et qu'elles risquent le rejet de leur communauté. 
 
Dans ce livre, Lindae Kay Klein expose son parcours dans cet environnement,  ses questionnements, la façon dont elle a brisé le cycle dans lequel elle était piégée sans pour autant renoncer à sa foi et surtout son partage d'expériences avec les autres femmes de sa génération qui ont accepté de témoigner. Recueil d'interviews parfois déchirantes, entre essai et ouvrage journalistique, l'auteur a "porté" son livre pendant dix ans avant de trouver le ton et la volonté de le terminer, persuadée de la nécessité de le publier pour libérer la parole et alimenter un débat que toutes les communautés ne sont pourtant pas prêtes à avoir. 
 
L'ouvrage a ses limites que l'auteur admet puisqu'elle ne s'est basée que sur ce qu'elle connaît et ses contacts - une communauté blanche évangéliste - mais la portée de ses propos n'en reste pas moins valable dans d'autres groupes ou d'autres religions. 
Un coup de projecteur "de l'intérieur" pas toujours évident à suivre si on n'est pas au fait de la place des églises évangélistes aux États-Unis mais l'analyse, très poussée, est très intéressante : ces mouvements de "pureté" ont de terribles effets pervers sur la sexualité ainsi que sur le role et la place accordésrespectivement aux femmes et aux hommes dans la société, une "culture" qui continuent malheureusement de faire des adeptes et de se répendre à travers le monde.
 
Extraits du texte :
Evangelical Christianity's sexual purity movement is traumatising many girls and maturing women haunted by sexual and gender-based anxiety, fear, and physical experiences that sometimes mimic the symptoms of post-traumatic stress disorder (PTSD). Based on our nightmares, panic attacks, and paranoia, one might think that my childhood friends and I had been to war.  And in fact, we had.  We went to war with ourselves, our own bodies, and our own sexual nature's, all under the strict commandment of the church. 

The purity message is not about sex. Rather, it is about us : who we are, who we are expected to be,
 and who it is said we will become if we fail to meet those expectations. 
This is the language of shame. 
Shame is the feeling "I am - or somebody else will think I am - bad"
 (as opposed to guilt, for example, which is associated with the feeling "I did something bad"). 

Shame tends to make people feel powerless and even worthless. It creates a fear of abandonment that, ironically, makes us push others away. We want to hide those aspects of ourselves we are ashamed of, so we may emotionally withdraw from those close to us, lash out at them to keep them at bay, or isolate ourselves in self-blame. Whatever it takes to keep the world (including ourselves) away from those parts of us that we have come to believe make us bad. 

Evangelical Christianity is the single largest religious grouping in the United-States. 
More than a quarter of American belong to it, and more than a third of American adolescents do. 

First, the researchers are finding that purity teachings do not meaningfully delay sex. Second, they are finding that they do increase shame, especially among females. And third, they report that this increased shame is leading to higher levels of sexual anxiety, lower levels of sexual pleasure, and the feeling among those experiencing shame that they are stuck feeling this way forever. Oh, and it doesn't get better with time... It gets worse! 

It's time we teach our daughters that their ability to be good people depends on their being good people, not on whether or not they're sexually active. 

Generally speaking, purity culture excuses male sexuality and amplifies female sexuality, 
and it shames consensual sexual activity and silences nonconsensual sexual activity.
 
Titre original : Pure, Inside the Evangelical Mouvement That Shamed a Generation of Young Women and How I Broke Free. 
Pas (encore) de traduction française.
Auteur : Linda Kay Klein 
Première édition :  2018

mercredi 2 juin 2021

Fille, Femme, Autre / Girl, Woman, Other de Bernardine Evaristo

 
Amma, Yazz, Dominique, Carole, Bummi, LaTisha, Shirley, Winsome, Penelope, Megan/Morgan, Hattie, Grace, 
douze femmes (ou presque), britanniques (pas toutes), noires (avec des nuances) 
 
roman-chorale donnant voix à chacune, entre recueil de nouvelles et de poésies composé de chapitres constituant chacun un seul souffle, avec un seul point

douze tranches de vie à la fois indépendantes et liées les unes aux autres
mère, fille, femme, amante, grands-mère, tante, marraine, et tant d'"autres" choses encore,
lesbienne, hétéro, transgenre,
à la ville, à la campagne,
riche, pauvre, 
heureuse, malheureuse,
en Angleterre, aux États-Unis
jeune, moins jeune, âgée
artiste, étudiante, écolière, enseignante, femme d'affaires, agricultrice,
mariée, célibataire, divorcée, orpheline,  adoptée, perdue, retrouvée,
indépendante, soumise, féministe, traditionnelle,
intégrée, immigrante,
etc.
 
difficile de qualifier ce livre qui m'a d'abord surprise par sa forme puis complètement séduite en donnant voix et vie à toutes ces femmes dans leur diversité, leur complexité et leur simplicité, leur humanité,
des vies qui s'entremêlent, se répondent, se complètent comme les instruments d'une partition d'orchestre qui nous emportent dans la symphonie polyphonique qu'ils composent, un hymne à la vie.
 
Un livre atypique, riche et ambitieux d'une auteure à découvrir. 
Un coup de cœur ❤️❤️❤️
 
Tirés du texte :
ageing is nothing to be ashamed of
especially when the entire human race is in it together
 
he bemoans the fact that black people in Britain are still defined by their colour in absence of other  workable option 
(...) in any case, neither his blackness nor his gayness are the result of conscious political decisions, the former is genetically determined, the latter psychically and psychologically pre-disposed
(...) white people are only required to represent themselves, not an entire race

Titre français : fille, femme, autre
Titre anglais : Girl, Woman, Other
Auteur Bernardine Evaristo
Première édition : 2019