mardi 27 octobre 2020

Histoire de ma vie / My Autobiography de Charlie Chaplin

 

Comme l'indique parfaitement le titre, ce livre est une autobiographie de Charlie Chaplin dans laquelle j'ai eu envie de me plonger après la fascinante visite de Chaplin's world à Vevey en Suisse, un musée parfaitement mis en scène qui lui est dédié dans la maison où il a passé les 25 dernières années de sa vie.
 
Avec beaucoup de regrets, je l'ai lu dans la version française que je trouve très mal traduite/écrite, avec beaucoup de lourdeurs, d'anglicismes et de traductions littérales qui font tomber complètement à plat ce qui sont sans doute des traits d'humour (et qu'on devine parfois quand on les remet en version anglo-saxonne). Faute de version digitale en anglais,  je me suis tout de même accrochée pour lire jusqu'au bout.
 
On se retrouve plongé dans une toute autre époque en commençant par ses parents issus du monde du spectacle et un frère dont Chaplin restera toujours très proche après une enfance à la Dickens dans le Londres de la fin du 19ème siècle, suivent les souvenirs des tournées théatrales burlesques alors qu'il est encore tout jeune au sein d'une troupe anglaise dans son pays d'origine puis aux Etats-Unis, ce qui va l'amener au cinéma et au personnage de Charlot qui connaitra un succès planétaire, du cinéma muet au cinéma parlant, de l'adulation aux controverses avec le gouvernement américain qui l'obligent finalement à revenir s'installer en Europe en 1952.

Un livre un peu désuet mais authentique dans lequel Chaplin s'efforce d'expliquer sa façon de travailler, ses sources d'inspiration, ses rencontres avec des personnalités prestigieuses aujourd'hui oubliées pour certaines, ses difficultés à la fin de sa période américaine tout en restant très pudique sur sa vie personnelle et familiale.
Un témoignage qui ne vaut peut-être pas la visite de sa maison à Vevey mais qui la complète tout de même, notamment sur la période précédent son départ des Etats-Unis et son installation en Suisse que j'ai trouvé particulièrement intérressante. 
 
Un personnage et une vie hors du commun.
 
Titre français : Histoire de ma vie
Titre anglais : My autobiography
Auteur : Charlie Chaplin
Première édition : 1964 

jeudi 15 octobre 2020

Le silence d'Isra / A woman is no man de Etaf Rum

 

It's time you grew up and learned this now: a woman is not a man (...) Fair or not, that's the way of the world.

1990
Isra a 17 ans quand elle épouse Adam, un mariage arrangé selon la tradition palestinienne. La jeune fille aime lire (en cachette) et aurait bien continué à étudier mais elle est docile et résignée, ses parents ne lui laissent de toute façon pas le choix : elle suit son époux, de Palestine à Brooklyn aux Etats-Unis où sa belle-famille a émigré vingt ans avant. Elle quitte donc la maison de ses parents pour celle de son mari sans vraiment savoir ce qui l'attend, en espérant que, peut-être, sa condition de femme s'en trouvera amélioréee et qu'elle saura gagner l'amour au sein de son nouveau foyer. Mais si le pays change, la pression culturelle reste la même: elle se retrouve aussi cloîtrée et chargée de corvées ménagères qu'auparavant, placée sous la houlette de sa belle-mère Fareeda au lieu de celle de sa mère, avec en plus le devoir, en tant qu'épouse du fils aîné, de "produire" au plus vite un héritier. Les grossesses s'enchaînent, épuisantes, et il faut s'occuper des enfants : une fille Deya, puis deux, puis trois, puis quatre, autant de "balwa/fardeaux" mais, comble de honte, pas de mâle tant attendu...

2008
Deya a dix-huit ans, elle est en dernière année de lycée et comme sa mère avant elle, elle aime la lecture ; elle souhaiterait poursuivre des études à l'université mais ses grands-parents s'y opposent ... et comme le veut la tradition pour toutes les jeunes filles de son âge, ils ont entamé la recherche d'un prétendant pour la marier et lui imposent la valse des présentations qu'elle sabote comme elle peut. Elle s'interroge sur sa condition et ses aspirations, hésitant entre soumission et révolte, respect de la tradition ou éducation sachant que ce sont ses grands-parents Khaled et Fareeda qui l'élèvent seuls avec ses trois soeurs depuis la mort de leurs parents, décédés dans un accident de la route lorsqu'elle avait 7 ans ... des parents idéalisés par la sororité mais dont les vagues souvenirs personnels de l'aînée sont en réalité emprunts de violence et de tristesse ... 

Un premier roman qui serait en partie autobiographique, écrit par une jeune auteure d'origine palestino-américaine qui décline son récit à trois voix sur trois générations de femmes : celle d'Isra, celle de sa fille Deya et celle de Fareeda, belle-mère de l'une, grand-mère de l'autre. Chacune nous renvoie à une époque différente, entre Palestine et Etats-Unis mais quel que soit le contexte, la place de ces femmes arabes semble se reproduire de façon immuable : leur rôle est de se marier, de se mettre au service des hommes à la maison pour s'occuper de la cuisine, du linge, du ménage, des anciens et des enfants avec une préférence pour les garçons, futurs soutiens de famille alors que les filles ne sont qu'une charge destinée à renouveler le destin de leurs aïeules dans une autre famille. Une existence à laquelle il faut se soummetre sans rien dire, quelles que soient les différences de traitement entre les sexes, aussi injustes soient-elles, ou lorsque les violences s'immiscent parce qu'une "femme n'est pas un homme" et que "c'est comme ça et pas autrement". 
Se mèlent à ce quasi-huit-clos familial d'autres personnages féminins plus ou moins importants dont celui de Sarah, la fille de Fareeda, Nadine, l'autre belle-fille plus rétive, ou encore les amies voisines. Les quelques hommes de l'histoire appartiennent au foyer - beau/grand-père, mari, beaux-frères - ou viennent de l'extérieur pour être "présentés", certains ont la vie facile, d'autres portent le poids des responsabilités et des renoncements, totalement acculés et piégés par le devoir.   
 
S'il faut se taire, obéir et préserver à tout prix les apparences et l'honneur de la famille, ces femmes en situation de dépendance et d'asservissement n'en ont pas moins chacune des aspirations, des interrogations, une façon personnelle de supporter le carcan ou de s'en affranchir ; elle portent et cachent leurs propres secrets, leurs croyances, leurs espoirs ou leurs sacrifices, leur propre individualité et leur humanité...
 
Une tragédie violente et troublante qui offre des portraits de femmes subtils et sensibles, porteurs d'une vraie réflexion sur leur condition, leur place dans le cycle de la vie, la maternité, l'éducation ... Une porte entrouverte qui donne voix, corps et humanité à des opprimées ignorées par le monde et la littérature même s'il ne faut surement pas en tirer des généralités sur toute une culture.
 
Un texte à valeur de témoignage, douloureux mais non dénué d'espoir, prenant et puissant. 
Une auteure à suivre.

Extraits du texte :
Isra had learned from a very young age that obedience was the single path.

"This is all because of those books (...) Those books putting foolish ideas in your head! (...) Telle me, what are you reading for ?"
Deya folded her arms across her chest. "To learn"
"Learn what ?"
"Everything"
Fareeda shook her head. "There are things you have to learn for yourself, things no book will ever teach you."
 
Of course I am naive! (...) I've been stuck in the kitchen my entire life, first in Palestine and now here. How am I supposed to know anything about the world?
 
There is no such thing as happiness for people like us. Family duty comes first. 
 
I can't tell you what to do. If you don't decide for yourself, then what's the point? It won't matter what you do if it's not your own choice. It has to come from inside you. That's the only way I can help. 
 
   Sadness was like a cancer (...) a presence that staked its claim so quietly you might not even notice it until it was too late. 

Fareeda knew her granddaughter could never understand how shame could grow and morph and swallow someone until she had no choice but to pass it along so that she wasn't forced to bear it alone.

What if some man kills me ? Would you even care ? Or would you just be glad that I was no longer your balwa ?
 
Titre français : Le Silence d'Esra
Titre anglais : A Woman is no Man
Auteur : Etaf Rum
Première édition : 2019

mercredi 7 octobre 2020

Le lagon noir / Oblivion de Arnaldur Indridason

 

Reykjavik, 1979.

Le corps d'un homme est découvert dans un lagon volcanique au sud de Reyjkjavik mais les premières constatations - innombrables fractures - laissent penser que l'individu serait tombé d'une très grande hauteur. Rapidement Erlandur et son supérieur Marion Briem apprennent qu'il s'agit d'un ingénieur-mécanicien islandais d'une trentaine d'années, formé aux Etats-Unis, travaillant à la maintenance des avions civils sur la base de Keflavik contrôlée par l'armée américaine et sur laquelle les deux enquêteurs auront bien des difficultés à obtenir la coopération des autorités militaires pour mener leurs investigations. 
La question, bien délicate, sera de savoir s'il s'agit d'un meutre en rapport avec les petits trafics alimentant le marché noir local (alcool, cigarettes, drogue, etc.) ou pour faire taire un témoin gênant qui en aurait trop vu en ces temps de guerre froide ...   

Dans le même temps, Erlandur reprend une enquête ancienne, un cold case jamais résolu qui l'obsède depuis pas mal de temps, l'affaire de Dagbjört, une jeune fille de 18 ans disparue trente ans plus tôt sur le chemin de son école professionnelle : ses parents sont maintenant tous deux décédés et seule une vieille tante peut encore espérer une explication sur ce mystère avant qu'il ne soit trop tard. 
 
Dans la série "commissaire Erlandur", ce Lagon noir / Oblivion nous ramène aux premières années d'Erlandur à la brigade criminelle, alors tout jeune inspecteur travaillant sous la houlette du commissaire Marion Briem. On découvre un peu plus ces deux personnages à un moment où ils apprennent à se connaître, professionnellement et personnellement même s'ils sont tous deux bien secrets, et à une époque où la population islandaise était partagée sur le maintien de la présence américaine sur son territoire, objet de polémiques, d'enjeux économiques et politiques. Avec l'enquête de la jeune fille, cette présence étrangère est elle aussi présente, en filagramme, source de transformations majeures dans l'après-guerre d'un pays pauvre et simple, peuplé de fermiers et de pêcheurs.
 
Peut-être pas le meilleur Erlandur mais une bonne lecture pour approfondir le personnage et son entourage avec, au passage, un petit zeste d'éléments historiques sur le pays, pas si mal !

Du même auteur, même série, voir aussi :
 
Titre anglais : Oblivion
Titre français : Le lagon noir
Série les enquêtes du commissaire Erlandaur Sveinsson / A Reykjavik Murder Mystery  
Auteur : Arnaldur Indridason
Première édition : 2014

lundi 5 octobre 2020

Pacifique de Stéphanie Hochet

 

 Japon, 1945.

Isao Kaneda a 21 ans et il s'apprête  à mourir : bientôt il s'envolera pour aller s'écraser avec son avion sur un navire ennemi, l'ordre de mission est imminent. 

Isao est l'aîné d'une famille, l'héritier. Sous la houlette de sa grand-mère maternelle de noble ascendance et d'un précepteur choisi par elle, il a reçu une éducation très classique, tant japonaise qu'européenne (latin, grec, littérature anglaise, etc.) afin d'exalter en lui le guerrier Samouraï dont il est le dernier représentant de sa lignée. Rendu à ses parents à l'adolescence, il passe par l'école secondaire avant d'intégrer le Yokaren, une école préparatoire à la discipline toute militaire afin d'assouvir son rêve de devenir pilote de chasse. Un parcours qui ne laisse aucune place à l'oisiveté et très peu aux sentiments. 
S'il ne fait aucun doute que l'honneur prime avant tout, cela n'empêche pas Isao de pressentir la défaite de la guerre par son pays et de réfléchir au sens du sacrifice qui lui est demandé.
 
Nous voilà dans la tête d'un tout jeune kamikaze à la fin de la deuxième guerre mondiale, un parcours initiatique qui prend un chemin inattendu au coeur du Pacifique, ultime étape de son éveil spirituel au sens bouddhique du terme...
 
Un roman court écrit à la première personne, qui se lit rapidement. 
Une écriture épurée qui s'attachent à rendre fidèlement les éléments de la culture dans laquelle ils nous plongent.
Une petite parenthèse poétique, jolie mais peut-être pas inoubliable.
 
Extraits du texte : 
Il n'y a pire humiliation pour un combattant nippon que la reddition. 
 
Nos armes secrètes ont toujours les noms les plus poétiques. 
Ainsi, que kamikaze signifie "vent divin" a contribué à briser le moral des ennemis.   
 
Un édit impérial a donnée aux héros disparus le nom d'étoiles tombées du ciel
 
Je vais laisser derrière moi ma famille. Le fils aîné des Kaneda va disparaître (...)
Comment imaginer sa propre mort ? (...)
Au-delà de son existence, et même au-delà de celle de ses proches, priment le devoir et l'honneur. 
C'est un leçon apprise. C'est une leçon répétée.
 
Elle m'adorait en m'étouffant, elle m'éduquait avec dureté, me tenait à l'écart de tout divertissement ordinaire pour un petit garçon. Elle donnait un sens à ma vie, m'ouvrait à la beauté et en même temps contrôlait mes envies, dirigeait mes désirs, écrasait chaque fibre dissipée du tout jeune homme qui ne savait pas qui il était. Elle me tendait une image de moi qu'elle avait puisée dans le monde obscur de ses souvenirs. J'étais un ectoplasme projeté hors d'elle. Un fantasme de petit-fils auquel je me suis identifié. 
 
J'idéalise l'armée comme jamais et perçois les luttes mortelles comme le comble de l'achèvement esthétique. 
Mourir en combattant, c'est la mort détruisant la mort
 
Nous sommes appelés à devenir des "fleurs de cerisiers".
Le sakura, fleur symbole du Japon. 
Vivre une telle efflorescence printanière serait donc croître et disparaître au paroxysme de la jeunesse.
 Laissant dans l'air le souvenir de la beauté éphémère. 
 
Titre : Pacifique
Auteur : Stéphanie Hochet
Première édition : 2020

vendredi 2 octobre 2020

Trop et jamais assez / Too much and never enough de Mary Trump

Dans ce livre-témoignage, Mary Trump, la nièce du président américain Donald Trump raconte (certains diront "déballe") sa famille et ses disfonctionnements qui, selon elle, expliquent la façon dont s'est créé l'étonnant personnage de son oncle : un homme qui cacherait toujours un petit garçon à l'insécurité abyssale, incontrôlé et incontrôlable depuis son plus jeune âge, une personnalité qui n'aurait finalement jamais grandi, vivant complètement hors des réalités et dont le comportement narcissique en recherche constante de reconnaissance aurait été modelé par une mère absente / malade à des moment clé de son développement, un père sociopathe totalement dénué d'empathie et par le contre-exemple donné par son frère aîné Freddy (le père de Mary), l'héritier en titre brisé pour avoir fait preuve d'indépendance, devenu le mouton noir de la fratrie, mort à l'âge de quarante-deux ans.
 
Alors qu'approchent les élections américaines et qu'elle perçoit la présence de son oncle à la tête de l'Etat comme une menace pour l'équilibre sanitaire, social, économique et constitutionnel de son pays, Mary Trump choisit de briser l'omerta familiale en publiant ce que certains qualifient de "brulot". Elle s'appuie sur son vécu, sur des informations qu'elle considère "fiables" recueillies auprès de membres de sa famille ainsi que sur sa formation et son expérience de psychologue* pour livrer son analyse du personnage dans un document narratif qui n'a rien d'une thèse et qui ne serait qu'une simple saga familiale si les enjeux n'étaient pas aussi capitaux.
 
Un livre qui se lit vite avec une petite impression de voyeurisme atténuée par la fascination de ce qu'on découvre au fil des pages : des relations familiales pourries par une figure paternelle despotique ne laissant aucune place aux sentiments perçus comme autant de signes de faiblesses, une fratrie pervertie par son rapport à l'argent. 
Bien sûr, on sent la volonté de Mary Trump de réhabiliter son père, "détruit" par cet environnemt néfaste qui a, par opposition, "construit" Donald Trump ; on ne peut non plus s'empêcher de penser à un réglement de comptes, notamment pour toutes les injustices / différences de traitement subies et dénoncées dans le livre, mais le document n'en est certainement pas moins pertinent comme en témoignent les efforts du présidents américain pour essayer d'en interdire la publication. L'auteure en a sans doute la conscience allégée mais la fracture familiale n'en s'en trouve certainement pas améliorée ... quant à l'effet recherché, pas sûr qu'il fasse mouche auprès des admirateurs inconditionnels du locataire de la maison blanche !
 
Nota : en lien avec cette publication, les interviews de l'auteur ne manquent pas et complèmentent bien le livre. Elles mettent en valeur une auteure qui apparait comme un personnage sympathique, calme, posé et réfléchi, bien différente de celle de son oncle !
 
*Mary Trump est docteure en psychologie de l'université d'Adelphi / New York
 
Titre anglais : Too much and never enough, how my family created the world's most dangerous man
Titre français : Trop et jamais assez, comment ma famille a fabriqué l'homme le plus dangereux du monde
Auteur : Mary Trump
Première édition : 2020