lundi 29 novembre 2021

Les suppliciées du Rhône de Coline Gatel

 
Lyon, 22 décembre 1897 / 12 janvier 1898.

En cette fin de siècle, Lyon est le théâtre d'une série de meurtres de jeunes femmes de toutes conditions, retrouvées exsangues au fond de sombres ruelles. Pour l'éminent professeur-enseignant Lacassagne qui s'intéresse à toutes sortes de sciences nouvelles, c'est l'occasion de prouver l'utilité de la médecine forensique capable de faire parler les morts. Il convainc la justice de mettre en place une cellule consacrée à l'enquête qu'il confie à deux de ses étudiants, Félicien et Bernard, auxquels va s'adjoindre Irina, une jeune journaliste d'origine polonaise aux idées avant-gardistes.

Une intrigue machiavélique et une enquête aux multiples rebondissements avec des personnages complexes, ayant tous des choses à cacher. Un polar rondement mené au cœur de la capitale des Gaulles, des pentes de Fourvières à celle de la Croix-Rousse, des bords de Saône à ceux du Rhône, de lieux emblématiques (comme l'hôtel Dieu, refuge des indigents) à d'autres oubliés (comme les lavoirs et la morgue flottante) avec une jolie évocation du peuple qui la compose, bourgeois, ouvriers, soyeux, marchands, etc. 

Titre : Les suppliciées du Rhône
Auteur : Coline Gatel
Première édition : 2019

vendredi 26 novembre 2021

Près de la mer / By the Sea de Abdulrazak Gurnah

Début des années 1990.
 
À l'aéroport londonien de Gatwick, un vieil homme demande le droit d'asile au moment de son passage à l'immigration. Il voyage avec un passeport au nom de Rajab Shaaban Mahmud, mais son véritable patronyme est Saleh Omar ; comme cela lui a été conseillé, il fait croire qu'il ne parle pas anglais. Dans sa valise, quelques vêtements et une boîte d'encens qui réveille des souvenirs du passé sur la façon dont elle est entrée en sa possession lors d'une transaction avec Hussein, un marchant persan de passage à Zanzibar où il était encore un jeune marchand de meubles prospère.
 
Son dossier est pris en charge par Rachel, jeune avocate qui va chercher un interprète afin de pouvoir communiquer avec lui ; elle prend ainsi contact avec Latif Mahmud, un universitaire parlant le Kiswahili mais son intervention ne sera pas nécessaire parce que le vieil homme fini par révèler qu'il parle couramment l'anglais. Le message laissé sur le répondeur de Latif fait lui aussi renaître des souvenirs de Zanzibar, son enfance, ses parents, le séjour d'un marchand persan, Hussein, dans sa maison, la disparition soudaine de son frère Hasan et son départ sans retour. 

Les mois passent jusqu'à ce que Latif demande à Rachel de rencontrer le vieil homme. Une confrontation est nécessaire pour apaiser les fantômes du passé, combler les trous d'une histoire commune et comprendre comment l'identité du père de Latif a pu être reprise par un autre. 
 
Dans ce roman, le passé est revisité par vagues, par l'un, puis par l'autre, avant que le flux fusionne pour battre de concert. Il y a un regard d'enfant et ce qu'il a compris d'une situation d'une part, et de l'autre une vérité différente, celle d'un homme sans réelle malice qui s'est montré orgueilleux à un moment de sa vie et l'a lourdement payé. Une histoire d'argent, de maison reçue en héritage, de femme volage et d'homme trompé, de commérages, de cupidité, d'amertume, de trahisons, de haine et de vengeance... Une fresque humaine et familiale, marquée par la petitesse et la bassesse alors qu'en arrière-plan se modifie la structure du pays, de l'époque coloniale à l'indépendance et l'histoire moderne. 

Un récit riche et subtil, axé sur des personnages avec leurs joies et leurs faiblesses, dans leur quotidien fait de tous ses petits détails qui le rendent si vivant. L'ancrage dans la réalité historique est par ailleurs passionante, offrant des indices marquants sur les différentes périodes comme les relations commerciales maritimes ancestrales, les conditions bancaires discriminatoires pour l'attribution des prêts selon le groupe d'appartenance- blancs/indiens ou autochtones-, les accords universitaires avec les pays de l'est ou l'expulsion des Omaris après l'indépendance même s'ils étaient assimilés depuis plusieurs générations.
 
C'est son prix Nobel de littérature 2021 qui m'a incitée à ouvrir les livres de Abdulrazak Gurnah mais après Afterlives et cette deuxième lecture, l'auteur m'a convaincue avec ses récits profondément humains et puissamment évocateurs...Une valeur sûre, à suivre ! 
 
 Extraits du texte :
What do you think you'll find here ? (...) I know something about uprooting yourself and going to live somewhere else. I know about the hardship of being alien and poor, because that is what they went through when they came here, and I know the rewards.But my parents are Europeans, they have a right, they're part of the family. Mr Shaaban, look at yourself (...) People like you come pouring in here without any thought of the damage they cause.You don't belong here, you don't value any of the things we value, you haven't paid for them through generations, and we don't want you here.We'll make life hard for you, make you suffer indignities, perhaps even commit violence on you. Mr Shaaban, why do you want to do this ?
 
Years before, the British authorities had been good enough to pick me out of the ruck of native school-boys eager for more of their kind of education, though I don't think we all knew what it was we were eager for. It was learning (...) I think also we secretly admired the British (...) perhaps admired is too uncomplicated a way of describing what I think we felt, for it was closer to conceding to their command over our material lives, conceding in the mind as well as in concrete, succumbing to their blazing self-assurance. In their books I read unflattering accounts of my history, they seemed truer than the stories we told ourselves. I read about the diseases that tormented us, about the future that lay before us, about the world we lived in and our place in it. It was as if they had remade us, and in ways we no longer had any recourse but to accept, so complete and well-fitting was the story they told about us.

They told us about the nobility of resisting tyranny in the classroom and then applied a curfew after sunset, or sent pamphleteers for independence to prison for sedition.

Leaving. I've had years to think about that, leaving and arriving, until the moments acquire a crust and a gnarled disfigurement that gives them a kind of nobility.
 
I was flying for the first time, and I did not want to do something embarassing and childish. I did not think of her, and I did not think what a long shadow that moment would cast over what was to come to my life. I did not think to myself that I should pay attention to everything around me so that later I would remember those last seconds before departure. I did not remind myself to secrete away the images and the sights and the smells of that moment for the sterile years ahead, when memory would strike out of dilence and leave me quivering with helpless sorrow at the way I had parted from my beautiful mother.

Titre français : Près de la mer
Titre anglais : By the Sea
Auteur : Abdulrazak Gurnsh
Première édition : 2001

mardi 23 novembre 2021

Le verger des âmes perdues / The Orchard of Lost Souls de Nadifa Mohamed

 
Somalie / fin des années 1980

Dans le stade d'Hargeisa, 2ème ville du pays, la population est rassemblée pour une manifestation orchestrée dans une grande mise en scène afin d'acclamer les généraux du régime en place. Dans la foule, trois personnages :
 
D'abord, Deqo, une fillette de 9 ans, une petite réfugiée orpheline qui fait partie d'un groupe sorti d'un camp et amené au stade pour chanter et danser pendant la parade. Une performance avec une promesse à la clé, celle d'une toute première paire de chaussures. Mais à la suite d'un incident, la gamine va finalement s'enfuir et se retrouve à vagabonder et à devoir survivre seule dans les rues de la ville. Une enfant en mal d'affection, pleine de ressources et de bon sens mais aussi une proie facile et bien vulnérable.
 
Dans les tribunes ensuite, la fière Kawsar, une veuve qui a perdu sa fille unique. Pour être intervenue au cours de l'incident au stade, elle est emprisonnée au poste de police où elle est victime d'un violent passage à tabac qui la laisse grabataire, entièrement dépendante d'une amie fidèle et d'une servante. Coincée sur son lit, dans sa petite maison bleue entourée du jardin qu'elle avait jusque là amoureusement entretenu, elle va assister impuissante à la détérioration de la situation ambiante et à l'abandon de tous.
 
Filsan enfin, militaire ambitieuse, appartenant aux troupes qui s'occupent du bon déroulement des cérémonies. Elle est originaire de Mogadiscio, la capitale, où elle a été élevée d'une main de fer par un père aigri après son divorce, lui aussi militaire. La trentaine passée, célibataire, terriblement seule, elle souhaite faire ses preuves mais l'idéalisme qu'elle a placé dans la révolution va être mis à l'épreuve face aux réalités des violences et des mensonges de la répression contre la rébellion dans le nord. 

Alors que le pays sombre dans le chaos, le destin va irrémédiablement lier les trois femmes. 

En cette fin des années 1980, c'est un vent de folie qui balaye le nord d'une Somalie dont le régime est à bout de souffle, tenant à coup de mise-en-scène et de démonstrations de force, gangrené par la corruption et les brutalités. Dans ce théâtre, ce sont trois points de vue, trois visions, trois milieux, trois générations qui nous sont donnés de la situation ; trois âmes perdues qui n'ont pas été épargnées par la vie mais qui pourtant portent en elles, envers et contre tout, beauté, rêves, besoin d'amour et d'espoir. 
J'ai beaucoup aimé la trame de ce roman, la force de résilience de ces trois femmes emportées par les événements, la petite flamme d'espoir qu'elles arrivent malgré tout à faire persister au fond des ténèbres. J'ai été transportée vers la Somalie, magnifiquement croquée sous la plume de Nadifa Mohamed, avec l'évocation de la vie et des ambiances d'Hargeisa ainsi que celle des paysages de cette région soumise à la chaleur et au froid, aux pluies saisonnières, aux vents.
 
Rude et triste mais un bon moment de lecture avec la découverte d'un pays sur un continent que je connais peu, une mise en perspective historique et une auteur à suivre dont je poursuivrai volontier la découverte.  
 
Note sur l'auteur : Nadifa Mohamed, est née en 1981 à Hargeisa en Somalie. Elle est arrivée en Angleterre en 1986 où elle est restée avec sa famille quand leur pays s'est enlisé dans la guerre. Elle compte déjà cinq romans à son actif, multi-primés. Le verger des âmes perdues est, à ce jour, son seul roman traduit en français.
 
Extraits du texte : 
Even in her uniform they see nothing more than breasts and a hole. He knows who her father is but still parades her like a protitute.
 
She has become one with the bed; from two-legged creature she has grown four metal feet, the mattress moulded to her flesh, its springs entwined with her ribs. Trapped within a skin within a bed within a house, only her two peeping eyes feel mobile, alive; they flutter about the room , settling hesitantly on her dusty possessions, the mysterious bundles and packages that litter the nests of old women.
 
She certainly appeared to have been diminished in some respect that day, while the other girls recovered from their circumcisions stronger than before. Whichever bitter old sorceress devised this practice back in pagan times must have convinced the others that this was the way to winnow the strong from tbe weak; that girls who could not survive this were not worth the milk it took to raise them. If a few managed to hobble along, neither dead nor properly alive, well, they could be suffered as long as they didn't get the way This philosophy had given generations of women - kept like Russian dolls one within the other- the same hardness, the same ability to not look back to whoever was left behind until eventually it was them who dallied at the rear.
 
She doesn't want food that prolongs her life; she only wants to sustain her soul while it remains in her body.

From desperate drought to desperate flood, it seems as if Somalia can only expect disaster.

It was the first time the young country had needed to beg the former colonial rulers, and since then the government hasn't stop asking; from floods to famines to tractors and x-rays machines, prayer mats turned to the west and knees bent in supplication.
Ever since the Italians and British had gone, the country had seemed besieged ny difficulties, whether natural or political. The Europeans must have left a bone-deep curse as they were departing, raising long-dead jinns like Oodweyne in their wake to turn everything to sand and waste.
 
"If you know it, teach it, if you don't know it learn it" had been the slogan, all the schools, colleges, universities emptied of students and professors for seven months so they could be sent to fight against illiteracy in every town, village and encampment.
 
Follow orders. Follow orders. Follow orders. That is the code they have been brought up under and it endures until the burden of guilt cracks the spine. Her father would probably explain their actions as the necessities of war, but to her they seem like the cannibals of old tales : totally ordinary yet irrevocably depraved.
 
As rainstorms come quick and heavy before leaving a clear sky, so do tears.
 
Titre français : Le verger des âmes perdues
Titre anglais : The Orchard of lost Souls
Auteur : Nadifa Mohamed
Première édition : 2013

samedi 20 novembre 2021

Afterlives de Abdulrazak Gurnah

Début du XXè siècle / épilogue au début des années 1960, après l'indépendance. 
Une ville portuaire d'Afrique de l'Est et son arrière-pays ; colonie sous domination allemande puis sous mandat anglais.
 
Il y a d'abord Khalifa, issu d'une famille pauvre, de père indien originaire du Gujarati et de mère africaine. Il travaille comme comptable pour Amur Biashara un commerçant indien qui ne s'encombre pas de scrupules ; celui-ci lui fait d'ailleurs épouser sa nièce Asha après l'avoir déposédée.
 
Il y a ensuite Ilyas qui arrive en ville avec une lettre d'introduction auprès d'un marchand allemand. Il a été enlevé par les schutztruppe (troupes coloniales) quand il était enfant puis éduqué dans une mission allemande. Il devient ami avec Khalifa. Sous son impulsion, il retrouve sa sœur Afiya abandonnée petite dans une famille qui l'exploite, il la fait venir en ville et l'éduque puis l'abandonne de nouveau lorsqu'il s'engage dans l'armée allemande où va son allégeance lorsque la guerre éclate.
En attendant le retour d'Ilyas qui disparaît sans donner de nouvelles, Afiya est recueillie par Khalifa et Asha chez qui elle grandit. 

Enfin, il y a Hamza. Jeune recrue de l'armée allemande. Il dégage une aura particulière et s'attire les faveurs de l'officier du régiment qui le prend sous son aile et noue avec lui une relation un peu étrange lui permettant d'apprendre à parler et à lire l'allemand. Nous voilà plongés dans le quotidien des redoutables schutztruppe et de ses féroces askari, un régiment qui va combattre dans une guerre épouvantable entre puissances impériales qui déportent et reproduisent en Afrique le conflit qui fait rage en Europe (première guerre mondiale) . Dans un acte de vengeance, Hamza sera grièvement blessé, recueilli et soigné par des missionnaires avant de rejoindre la ville portuaire où son destin va croiser celui de Khalifa, Asha et Afiya.
 
Un des ouvrages les plus récents du prix Nobel de littérature 2021. Né à Zanzibar (Tanzanie) mais vivant aujourd'hui en Angleterre où il enseigne la littérature, Abdulrazak Gurnah nous fait découvrir le quotidien des habitants d'une Afrique de l'Est à l'époque coloniale. 
Une histoire en forme de boucle, de la disparition de Ilyas que tout le monde attend jusqu'au dénouement permettant de connaître son sort en fin de livre.
 
Ce roman change par rapport au discours de la littérature occidentale parce qu'il n'adopte pas le regard des puissances dominantes écrivant l'histoire (Allemagne puis Royaume Unis) mais celui de la population locale auprès de laquelle les blancs ne sont que des seconds rôles. Il ne s'agit pas d'un roman anti-colonial pour autant, la question n'est pas vraiment là, mais il oriente les projecteurs sur les individu constituant la trame de la société, en leur donnant forme et humanité, avec leurs imperfections, leurs habitudes, dans leur quotidien. C'est donc la vie qui continue, plus ou moins immuable et indifférente, dans un brassage d'ethnies, de croyances, de cultures, montrant un peuple aux multiples facettes avec sa propre histoire, qui cohabite pacifiquement en marge des affaires coloniales. Et puis il y a toutes ces guerres au service desquelles beaucoup d"indigènes" sont entraînés : les guerres de pacification pour le contrôle des territoires, contre les tribus qui résistent et les guerres entre puissances coloniales elles-mêmes. Les forces vives constituent le gros des troupes, organisées selon un système hiérarchique très efficace, qui ne donne pas le même prestige ou les mêmes privilèges selon l'affectation, entre soldats et porteurs notamment, autant de moyens pour assurer allégeance et contrôle... Mais au final, de la chair à canon dont la vie n'a pas la même valeur que celle des européens qui les contrôlent. 
 
Je me suis attachée à cette galerie de personnages plus ou moins fatalistes et résilients, entrouvrant avec simplicité la porte de leur quotidien dans cette cité portuaire grouillante d'activité et de vie. La fin arrive un peu comme une verrue, courte et sans trop de détails ; une petite frustration qui pourtant illustre bien le peu de cas apporté par les puissances coloniales aux colonisés.  
J'ai aimé toutes ces voix qui me donnent envie de poursuivre la découverte de cet auteur comptant une dizaine de romans à son actif - trois seulement traduits de l'anglais en français (mais on peut sans doute espérer d'autres traductions à l'avenir du fait de son prix Nobel).

Tirés du texte :
That was how that part of the world was at the time. Every bit of it belonged to Europeans, at least on a map: British East Africa, Deutsch-Ostafrica. Africa Oriental Portuguese, Congo Belge.
 
They did not know that they were to spend years figthing across swamps and mountains and forests and grasslands, in heavy rain and drought, slaughtering and being slaughtered by armies of people they knew nothing about : Punjabis and Sikhs, Fantis and Akans and Hausas and Yorubas, Kongo and Luba, all mercenaries who fought the European's war for them, the German's shutztruppe, the British with their King's African Rifles and the Royal West African Frontier Force and their Indian troops, the Belgian with their Force Publique. 

The askari left the land devastated, its people starving and dying in the hundreds of thousands, while they struggled on in their blind and murderous embrace of a cause whose origins they did not know and whose ambition were vain and ultimately intended for their domination. (...) Later these events would be turned into stories of absurd and nonchalant heroics, a sideshow to the great tragedies in Europe, but for those who lived through it, this was a time when their land was soaked in blood and littered with corpses.
 
The German civilians were treated with the courtesies befitting citizens of an enlightened combattant nation and were taken away to Rhodesia or British East Africa or Blantyre in Nyasaland where they could be interned by other Europeans until the end of hostilities. It would not do to have Europeans watched over and restrained by unsupervised Africans. The local Africans, who were neither citizens nor members of a nation nor enlightened, and who were in the path of the belligerents, were ignored or robbed and, when necessity required, forcibly recruited into the carrier corps.

We lied and killed for this empire and then called it our Zivilsierungmission

Some of the stories in the Standard provided compelling discussion material for the three sages, especially the heated exchanges between settlers who wanted to remove all Africans from Kenya and make it what they called A White Man's Country, and those who wanted to remove all Indians and only allow in Europeans but keep the Africans as labourers and servants, with a sprinkling of some savage pastoralists in a reserve for spectacle. The propositions and their defenders sounded so strange that it was as if the settlers were living on the moon

Titre anglais : Afterlives
Pas (encore) de traduction française
Auteur : Abdulrazak Gurnah
Première édition :

jeudi 18 novembre 2021

Le dernier enfant de Philippe Besson


Théo est le dernier d'une fratrie de trois et aujourd'hui, il quitte la maison familiale pour s'installer dans un petit studio d'étudiant à une quarantaine de kilomètres de là. Pour Anne-Marie, sa mère, c'est une journée difficile.
 
Un roman facile et rapide à lire, illustrant le "syndrome du nid vide" et l'état dépressif qui peut suivre le départ du dernier enfant, l'impression d'abandon, d'absence, d'ennui et de perte de sens de la vie, la nostalgie du temps qui passe et les interrogations sur celui qu'il va falloir remplir différemment. Avec ce "dernier enfant", Philippe Besson axe son récit sur les sentiments d'une mère au cours de la dernière /première journée avec /sans ce fils, celle du départ de Théo, un dimanche : la matinée est bien remplie avec la préparation des cartons, le déménagement, le trajet en voiture, l'installation et un repas au restaurant avant de se quitter ; le "vide s'installe" l'après-midi quand les parents rentrent seuls dans leur pavillon, inéluctable, abrupte, douloureux.
 
Au fil des pages, des réminiscences et des états d'âmes d'Anne-Marie, c'est toute une vie qui se déroule : la mort de ses parents, la maison en héritage, l'abandon de ses études, son travail chez Leclerc, sa rencontre avec son mari Patrick, leur amour tranquille, l'arrivée des enfants Julien, Laura puis Théo, une grossesse non programmée, et leurs départs, les uns après les autres. C'est la vie d'une mère toute simple, une mère qui travaille et se consacre à sa famille dans une ville de province, une mère qui aurait voulu le rester un peu plus longtemps en gardant encore ce petit dernier auprès d'elle. 
Les sentiments se bousculent et la submergent, les regrets sur ce qui n'a pas été et ne sera plus, le chagrin de la perte, le début d'un deuil. C'est un moment charnière de la vie d'Anne-Marie, celui où le couple se retrouve en tête à tête pour entamer une nouvelle phase à laquelle il n'est pas véritablement préparé, celle du vieillir ensemble, où les parents doivent s'effacer pour redéfinir leurs relations avec leurs enfants, des adultes autonomes, où le cercle amical retrouve une importance qu'il avait perdu.
 
Un texte qui sonne plutôt juste, sobre et efficace, même s'il n'est pas gai-gai et que toutes les mères ne s'y reconnaîtront pas forcément. Le personnage d'Anne-Marie m'a parfois agacé dans sa façon de tout sur-analyser, un peu "too much / trop" mais avec cette madame tout-le-monde en guise d'héroïne, l'auteur montre bien la force du bouleversement et la douleur intime que peut représenter la rupture au moment où le dernier enfant prend son envol.

Titre : Le dernier enfant
Auteur : Philippe Besson
Première édition : 2021

lundi 15 novembre 2021

La force des femmes de Denis Mukwege

Je défends les femmes parce qu'elles sont mes égales - parce que les droits des femmes sont les droits humains et que je constate avec rage ces violences qui leur sont infligées. Il faut se battre tous ensemble pour les femmes. 
Mon rôle à toujours été de faire entendre la voix de celles dont la marginalisation les empêche de raconter leur histoire. 
Je me tiens à leurs côtés, jamais devant elles. 
 
La force des femmes c'est la force de la parole, la force du témoignage, la force du partage, la force de l'amour, la force de l'action, la force de l'expérience, la force de l'écrit et du livre, le triomphe de l'humanité sur la barbarie, la lueur de l'espoir au fond des ténébres.

Dans ce livre, Denis Mukwege, médecin gynécologue-obstétricien au Congo, co-récipiendaire du prix Nobel de la paix en 2018 raconte le parcours qui l'a conduit à faire sienne la cause des femmes au travers de sa lutte contre les violences sexuelles, avec, au-delà du témoignage, une vraie réflexion sur un sujet à portée universelle. Je m'étais intéressée à ce médecin exceptionnel lorsqu'il avait reçu son prix Nobel et j'étais un peu appréhensive à l'idée de me lancer dans cette lecture, inquiétudes qui n'avaient pas lieu d'être car l'essentiel du message n'est pas dans la brutalité mais dans la recherche de ses causes et des solutions à y apporter : les violences sexuelles existent partout dans le monde mais elles sont le symptôme d'un mal plus profond nécessitant d'aller à la racine si on veut avoir une chance de les éradiquer, une fois pour toute. 

Le livre commence par des éléments biographiques sur l'auteur, ses origines, sa famille et sa vocation expliquant comment et pourquoi il en est venu à sa spécialité de médecin-gynécologue. Il fourni également des informations sur son pays, l'effet papillon du génocide rwandais qui a eu des implications dramatiques pour le Congo dans sa région frontalière avec le Rwanda et le Burundi, entraînant plusieurs guerres et une déstabilisation dont les effets durent encore après plusieurs décennies de conflits. S'y ajoutent la damnation d'un Congo dont le sous-sol regorge de matières premières qui, au lieu d'apporter la prospérité, attise les convoitises et le pillage en entraînant la misère et le martyr des populations locales... tout ça pour faire fonctionner les appareils électroniques du monde entier, dans l'indifférence la plus totale.
Dans ce contexte, les violences sexuelles sont utilisées comme arme de guerre et de terreur même si le viol n'est pas un phénomène limité aux guerres puisqu'il existe et reste encore présent dans les pays en paix. Le docteur Mukwege part toujours d'exemples concrets et des solutions mises en place localement, initiées avec les femmes concernées, pour développer ensuite plus largement son sujet, illustrant ainsi sa valeur universelle. Il parle d'autres guerres, de la façon dont la question des viols a longtemps été un "non-sujet", sans reconnaissance pour les souffrances de celles qui les ont subies même s'il y a des "progrès" et une levée progressive du silence : il aura fallu 40 ans aux "femmes de réconfort" exploitées par l'armée japonaise pendant la seconde guerre mondiale pour briser le silence, une quinzaine d'années aux survivantes des guerres dans l' ancienne Yougoslavie et bien moins pour les "esclaves Yézidies" exploitées par Daesch. Dans le même temps le prix Nobel explique le chemin parcouru sur le plan des lois et des tribunaux internationaux pour la reconnaissance du viol comme crime contre l'humanité et même sa valeur génocidaire, offrant des recours possibles sans prescription temporelle pour les victimes contre les profanateurs agissant depuis trop longtemps en toute impunité.

Beaucoup de choses sont abordées dans une approche exhaustive, documentée, logique : les raisons pour lesquelles le viol se perpétue, les inégalités hommes-femmes, les règlementations et leur (non)-application, le rôle des dirigeants, celui de toute la chaîne police-politico-judiciaire, l'importance du message des personnalités représentantes de l'autorité morale, la maternité, la façon d'élever les enfants, la prise en charge pour la reconstruction physique et psychologique après les violences, ce dont les femmes ont besoin pour se reconstruire et pour que ces violences reculent, la nécessité de changer le regard porté sur les victimes, la question du recentrage de la faute avec le poids encore tellement puissant du biais de genre (sur tous le plans, l'histoire, la presse, les lois, leur application, encore largement dominées par les hommes), celle du consentement et la recherche des solutions qui passe nécessairement par la mise sur un pied d'égalité des hommes et des femmes.
 
Le livre est étayé de statistiques édifiantes illustrant notamment les progrès restant à faire, partout dans le monde ;  il est également riche des exemples de solutions mises en place localement et à l'international sous l'impulsion du docteur et des femmes qu'il a traitées au Congo ainsi que de personnalités rencontrées au fil des ans, en commençant par l'hôpital, la Cité de la joie, le système coopératif de financement de projets, le refuge pour les mères d'enfants nés de viols, jusqu'au réseau international des survivantes (SEMA). 
Enfin, entre les pages, il y a la voix de toutes ces femmes dont le Dr Mukwege se fait le porte-parole avec un respect, une compassion et une pudeur exceptionnels, attestant de sa profonde abnégation ; les mots sont pesés et les exemples choisis, pas plus que nécessaire mais poignants et inoubliables comme celui de cette fillette de 12 ans qui fait s'effondrer - au sens littéral du terme - un général lorsqu'il entend son témoignage.
 
Une aventure humaine semée d'embuches, nécessitant beaucoup de courage face aux menaces qui continuent de planer, portée par l'espoir et les avancées réalisées, riche de la résilience et de la force des femmes qui brisent le silence, retrouvent la dignité et un sens à la vie, pour que ce qu'elles ont subi ne se reproduise plus.
 
Il y a des livres qui comptent et ne s'oublient jamais, celui-là en est. 
À lire absolument.
 
Extrait du texte :
Cette toile de fond peut paraître lugubre car les vies de bien des familles de ce livre sont assombries par la violence. Mais chacune d'elles est une lumière et un exemple qui prouve que les meilleurs instincts de l'humanité - aimer, partager, protéger - sont capables de triompher, même dans les pires circonstances. Elles sont la raison pour laquelle j'ai persévéré. La raison pour laquelle je n'ai jamais perdu la foi ni ma santé mentale, même lorsque, exposé aux conséquences de la cruauté, je me sentais submergé. 

Je vous encourage à voir le Congo, parfois encore appelé "la capitale mondiale du viol", comme une fenêtre sur les pires extrémités de ce fléau mondial que sont les violences sexuelles. Car c'est un problème universel qui se produit aussi bien à la maison, au bureau, sur les champs de bataille que dans les lieux publics partout sur la planète. 
Mon expérience m'a appris que l'origine des violences sexuelles et leurs conséquences sont partout identiques. Comme toujours, nos différences - couleur de peau, nationalité, langue et culture - comptent bien moins que nos points communs. 

Les femmes ne peuvent résoudre seules le problème des violences sexuelles ; les hommes doivent faire partie de la solution.

Il faut que dans toutes les sociétés, le blâme, la culpabilité et la responsabilité des violences sexuelles des femmes portent sur les agresseurs. 
Ce sont eux qui doivent en payer le prix, pas les victimes. 
Les pays et les cultures sont différemment avancés sur ces questions, mais aucune n'a atteint le point où les survivantes de violences sexuelles peuvent s'attendre à de la compassion et au soutien inconditionnel de tous, depuis les chefs de leur communauté jusqu'aux policiers, juges, journalistes, politiciens-y compris leur propre famille. 
 
Pourquoi les hommes violent-ils  ? (...) 
Les déshumaniser et les voir comme des monstres, ça me permettait de me dire qu'ils n'étaient pas comme moi et les miens. (...) Mais il faut considérer le viol comme un choix conscient et délibéré qui est la conséquence d'un mépris pour les femmes en général, car l'origine se trouve là.
 
Au Rwanda, le viol était utilisé comme arme de guerre. Il est important de comprendre la distinction entre cet abus sexuel délibéré, prémédité, et le viol qui sévit dans toutes les zones de conflit. Le viol fait malheureusement partie de la guerre, tout autant que la destruction et les massacres, même s'il est souvent tabou. Dans toutes les guerres, les soldats abusent de leur position de pouvoir pour se procurer des femmes. Ce sont des actes de conquérants, ils visent les "corps des femmes des ennemis vaincus" comme l'a écrit l'Autrice féministe américaine Susan Brownmiller. (...) 
Le viol comme arme de guerre est différent. Il devient tactique militaire. Il est planifié. Les femmes sont délibérément prises pour cibles comme moyen de terroriser la population. Son adoption dans les conflits en Asie, en Afrique et en Europe au cours du XXe siècle peut s'expliquer par le fait qu'il est peu coûteux, facile à organiser et, malheureusement, terriblement efficace. (...) 
Le viol fait peur à tout le monde, hommes et femmes, au même titre que les menaces de mort. Quand il est commis en public ou sous le regard de toute la famille, il a pour effet de terroriser. (...) 
En commettant leurs viols en public, ils détruisent la famille : les couples volent en éclat ; les hommes divorçaient de honte. (...) 
Le viol de masse est également utilisé comme arme dans les conflits avec des motivations économiques sous-jacentes. C'est une manière d'exercer son contrôle sur la population locale sans avoir à la déplacer. (...) 
La particularité du Congo, c'est que le viol y a été commis pour toutes ces raisons : par les soldats-étrangers d'une force occupante à la recherche de frissons ou de vengeance, comme moyen de contrôle et de nettoyage ethnique des populations locales et pour des raisons économiques. 

Je dis toujours que le désordre du Congo oriental est un désordre organisé. Il sert les intérêts d'un réseau de personnages qui va jusqu'au plus haut niveau de l'état congolais, ainsi qu'aux élites des pays voisins. 
Le viol fait parti de ce processus d'exploitation sans merci. Les vingt-cinq dernières années de violences sexuelles au Congo sont étroitement liées au pillage des matières premières.
 
Chaque fois qu'un homme viole, quelle que soit la situation, quel que soit le pays, ses actes trahissent la même croyance : ses besoins et désirs sont de la plus haute importance, les femmes sont des êtres inférieurs dont on peut user et abuser. Les hommes violent parce qu'ils ne considèrent pas la vie des femmes comme aussi précieuse que la leur.
 
Ne pas lutter contre les violences sexuelles revient, tacitement, à les autoriser.
 
La façon dont j'ai été traité à l'ONU par mon propre pays m'a servi de formation accélérée quand aux difficultés rencontrées par les femmes qui trouvent malgré tout le courage de dénoncer leurs agresseurs. On leur conseille de se taire, d'éviter de causer un scandale, de ne pas déranger. Ces dernières décennies, des progrès ont été accomplis dans plusieurs pays, mais l'instinct qui pousse à se voiler la face, à ignorer, à ne pas croire ou à intimer celles ou ceux qui veulent briser la loi du silence demeure désespérément banal et profondément ancré dans les esprits. 
Briser le silence qui plane autour des violences sexuelles- harcèlement, viol, Inceste-est un pas essentiel vers la résolution du problème. Premièrement, le silence permet aux violences sexuelles de prospérer. Se taire crée un environnement où les hommes peuvent continuer d'abuser les femmes en toute impunité. Le silence sert leurs intérêts. Tant qu'un problème est tu, les schémas comportementaux destructeurs à l'œuvre peuvent se poursuivre. 
Deuxièmement, l'autocensure empêche les femmes de puiser leurs forces les unes chez les autres. (...) Troisièmement, briser le silence permet d'éduquer tout le monde, à commencer par les hommes. 

Après la Seconde Guerre mondiale, les tribunaux internationaux mis en place pour juger les criminels de guerre - à Nuremberg, en Allemagne, pour les atrocités nazies, et à Tokyo, au Japon, pour les crimes commis en Asie -  ont reçu un grand nombre de preuves sur l'usage systématique du viol sans jamais en faire un chef d'accusation au titre de crime contre l'humanité. Au procès de Nuremberg, il n'y  a pas une seule condamnation pour viol. 
Dans les années 1990, les premiers tribunaux internationaux depuis Nuremberg et Tokyo ont permis de grands bonds en avant. Au Tribunal Pénal international pour l'ex Yougoslavie réuni à La Haye, aux Pays-Bas, à partir de 1993, les procureurs ont pour la première fois démontré que le viol pouvait être considéré comme un crime de guerre et un crime contre l'humanité. (...) 
Le tribunal pénal international pour le Rwanda, qui a siégé en Tanzanie, en Afrique de l'est, a lui aussi établi une jurisprudence sur les poursuites possibles pour viol par la loi internationale. Le cas de Jean-Paul Akayesu, un maire hutu qui avait dirigé le massacre de deux mille personnes dans sa région, a pour la première fois jugé que le viol pouvait être considéré comme acte génocidaire.
 
 Le plus tragique, c'est que tandis que dans plusieurs pays de plus en plus de femmes tiennent compte de ce conseil [briser le silence], les poursuites fructueuses n'ont pas augmenté de concert. Les femmes sont toujours plus nombreuses à vouloir témoigner. Le mouvement #MeToo a fait décoller cette tendance de façon très significative. (...) 
Mais le nombre de poursuite reste très faible.(...) 
Pour que davantage de femmes portent plainte pour ce qu'elles ont subi, il faut qu'elles sachent que le jeu en vaut la chandelle. En général, le problème, ce n'est pas la loi (....) toutes ont le même défaut : elles n'offrent de protection que théorique. Le problème réside dans les biais systémiques à l'œuvre contre les femmes au sein du système pénal. 
L'origine de la plupart de ces biais peut être retracé en étudiant la manière dont le viol a été puni à travers les âges. Dans les premières civilisations il était traité comme un crime d'adultère ou de fornication. Les lois de l'Europe médiévale ont ensuite évolué jusqu'à considérer le viol comme un crime commis contre les femmes, mais seulement si leur "honneur" était entaché. Ce concept se retrouvait au cœur de presque tous les systèmes juficiaires. 
Seules les femmes en position d'avoir un honneur - ce qui excluait les pauvres, les prostituées et les minorités - pouvaient être considérées comme victimes de viol. Les tribunaux exclusivement masculins exigeaient ainsi des femmes qu'elles montrent patte blanche. Leur passé sexuel jouait contre elles, tout comme une suggestion qu'elles puissent avoir, d'une manière ou d'une autre, encouragé leurs agresseurs. On voulait être certain que la personne avait résisté à l'agression, car il était entendu qu'une femme "honorable" tenterait de se débattre pour protéger sa réputation. Une absence de blessure ou de cris était par conséquent mal vue, voire disqualifiante. 
Les célibataires devaient prouver qu'elles étaient vierges avant l'agression. Une expérience sexuelle leur barrait l'accès au statut de victime. Des tests de virginité douteux (...) étaient monnaie courante au XVIIIe et XIXe siècles dans la plupart des pays européens.
Toutes les plaignantes étaient considérées d'un œil soupçonneux parce qu'il était largement admis-par les juristes de sexe masculin-que les femmes n'hésitaient pas à inventer des histoires d'agression sexuelle pour forcer un homme au mariage, justifier une grossesse ou alors parce qu'elles étaient faibles d'esprit ou enclines à l'hystérie.

La première étape pour affronter l'épidémie mondiale de viols est une législation claire qui inclue le concept de consentement et qui reconnaisse les femmes comme des êtres autonomes et indépendants. Des lois strictes contre les agressions sexuelles avec à la clé de lourdes peines de prison pour les violeurs sont des mesures dissuasives et, au moment des bébats parlementaires, une occasion d'éduquer hommes et femmes à leurs droits et responsabilités.  
 
Dès l'instant où nous appuyons l'idée que les garçons sont plus forts, plus méritants, plus valeureux, nous perpétuons une injustice et, au final, la violence envers les femmes.(...) 
Non seulement les parents et la société renforcent sans cesse l'idée que la vie d'un garçon a plus de valeur, mais ils appuient aussi de façon explicite l'idée que les garçons sont des mâles et que le masculin, c'est la force et la dureté.(...) 
Je crois que la "masculinité" est quelque chose que les enfants acquièrent au cours de leur développement. Ils ne naissent pas avec. Il s'agit d'une construction sociale. Le petit garçon s'y glisse en grandissant, comme s'il enfilait des couches et des couches de vêtements.
 
Plus je voyage, plus j'apprends, plus je me rends compte que la douleur issue des violences sexuelles exercées sur les femmes est la même, que ce soit dans les zones de conflits ou dans les pays en paix, et quelles que soient leur culture, leur langue ou leurs croyances religieuses.
 
Partout où des femmes sont nommées, elles aident à briser les normes masculines historiques.
 
Je rêve d'une société où les mères sont reconnues comme les héroines qu'elles sont, où les filles issues de notre maternité sont autant considérées que les garçons, où les femmes grandissent sans craindre les violences
Je souhaite un monde où les femmes ont les mêmes opportunités professionnelles, les mêmes joies et les mêmes sources de satisfaction que les hommes, où le pouvoir politique est partagé à égalité. J'attends avec impatience le jour où nos entreprises et institutions publiques reflèteront la diversité de la société. J'imagine aussi un avenir où les agressions sexuelles seront vues comme des méfaits d'une époque certes brutale mais révolue. 
Je crois fermement que tout ce que j'ai énoncé est désirable et possible. Je crois qu'en tant qu'individu et collectifs, nous pouvons œuvrer à cette réalisation. Je crois en la force des femmes.
 
Titre : La force des femmes
Auteur : Denis Mukwege
Première édition : 2021

samedi 13 novembre 2021

Le mur, le kabyle et le marin de Antonin Varenne

 
Paris, début des années 2000. 
Georges, alias Le Mur, est policier et boxeur poids lourd en fin de course, dont les gains sur le ring lui donnait jusque là les moyens de se payer les services de prostituées à qui il raconte ses combats. Il sait qu'il ne pourra bientôt plus compter sur ces compléments financiers et se laisse entraîner dans une combine "sans risque" pour gagner facilement quelques centaines d'euros : une enveloppe déposée dans sa boîte aux lettres, remplie de billets et d'une carte avec un nom et une adresse, il n'a plus qu'à secouer suffisamment le type désigné pour lui faire passer l'envie de tromper sa femme.
De l'argent facile pour des missions qui se succèdent sans aucune plainte ni retombées, jusqu'à ce que l'une dégénère et finise par faire la Une des journaux. Le Mur comprend alors qu'il a été manipulé et entraîné dans une sale affaire qui n'a rien à voir avec des infidélités ... De puissants intérêts sont en jeu, comment va-t-il s'en sortir ?
 
1957-1959
Pascal Verini est un jeune ouvrier de Nanterre, curieux, avide de lectures et rêvant de voyages. Comme les autres appelés de son âge, sa vie va être mise entre parenthèses pendant plus de deux ans pour effectuer son service militaire. Il aurait aimé éviter l'Algérie mais ses plans pour y échapper se retournent contre lui et il se retrouve affecté dans un DOP (Dispositif Opérationnel de Protection) de la région d'Oran. Un DOP, c'est un centre de renseignement où on ne lésine pas sur les moyens, y compris la pratique la torture. Même s'ils y sont fortement incités, les appelés ne sont pas obligés de "participer"...
 
Les chapîtres de ce roman noir alternent entre l'histoire de Georges et celle de Pascal, des personnages et des époques sans aucun liens apparents ; un milieu un peu douteux d'un côté et deux ans d'une jeunesse sacrifiés "au service de la France et de la paix en Algérie" de l'autre.
 
Sans doute pas de la grande littérature mais une fiction bien enlevée, inspirée à l'auteur par les confidences d'un père avant de mourir, qui résonne comme un témoignage maquillé en roman. Une façon pour moi de compléter une série de lectures touchant de façon réaliste au sujet douloureux des appelés du contingent en Algérie (avec Papa, qu'as-tu fait en Algérie ? de Raphaëlle Branche et Des hommes de Laurent Mauvignier).

Tirés du texte :
La France tourne aux trois-huit et arme le béton du plein emploi. Un rêve est en marche, d'une juste rétribution de l'effort national. Les fruits de la Reconstruction. Droit au travail, à la reconnaissance, de vivre dans un logement décent ou de ne pas crever de faim. 
En 1957, chacun travaille à ses ambitions. 
L'effort, la fierté, l'avenir, tout est national. Le pétrole algérien, le Sahara français et les essais nucléaires. La France a besoin de ses dernières colonies, de leurs terres, de leurs sous-sols et de leurs hommes pour construire et avancer. La contradiction d'un empire colonial, dans une nouvelle ère de modernité, n'a pas encore frappé les esprits. L'Algérie est à feu et à sang depuis trois ans. 
En février 1957, le service national est rallongé à trente mois, la classe 55 est rappelée. 
En avril, deux cent vingt mille appelés sont sous les drapeaux. Et deux cent mille engagés, dont une bonne partie revenue d'Indochine les oreilles basses. Le nom de De Gaulle réapparaît dans les discussions et les journaux. La censure et la propagande ne suffisent plus. Il y a des morts, des bombes. Il y a Palestro, la bataille d'Alger et les premiers rapports accablants. Tortures. Exécutions sommaires. La guerre sans nom est déjà sale. 
Le grand rêve national est mort debout, pourri de l'intérieur par un cancer politique. La IVe République agonise, on appelle à une nouvelle constitution. Les chefs du FLN sont en Égypte, en Tunisie, en Allemagne et en France, l'impôt révolutionnaire est levé auprès des musulmans immigrés, les collecteurs arment les fellaghas depuis les banlieues ouvrières, messalistes et frontistes s'affrontent dans les rues de la capitale ; des bombes explosent dans des cafés maures, des hommes sont abattus en pleine rue, des policiers aussi. Des Algériens disparaissent, la police envahit les rues, les usines et les ghettos. 
Dans les bidonvilles, les certitudes s'envolent. Les communautés se rétractent et s'épient. Chacun est sommé de tenir sa place sans faire de vagues. Des terroristes, de l'autre côté de la Méditerranée, font entendre leur voix. Aux exhalation des usines se mêlent d'autres fumées plus lointaines de villes en flammes. D'autres combats, pour une autre rétribution. Indépendance. 
La bataille d'Alger fait rage et la guerre psychologique des paras de Massu exporte ses méthodes à la métropole. Les arrestations se multiplient, et les cris en lettres blanches sur les murs des usines et des rues. "Indépendance. FLN. Paix en Algérie."
 
La guerre ne forme pas la jeunesse, elle la viole.

Engagement volontaire par devancement d'appel. Battaza avait signé pour deux ans. On lui avait laissé le choix des armes (...) Verini ne serait majeur qu'en novembre, cinq mois après son incorporation. Son père devait donner son accord pour la procédure d'EVDA. La  veille, il avait jeté les papiers au visage de son fils.  Pas d'engagé dans la famille. (...) Un pacifiste enragé qui condamne son fils à la guerre.(...) La pacification, c'est lui qui va la faire. Est-ce qu'il doit crever pour donner raison à son père ? 
 
Déserter  ? Dans l'Humanité, quelques infos sur les insoumis. Comment faire ? Où se cacher ? La Suisse est loin pour un fils de Nanterre. S'enfuir et partir d'ici, il s'en fout ; mais risquer la prison ou un départ pour Marseille menottes aux poignets ? Ses vingt ans lui échappent.
 
Les appelés ont l'esprit bravache, entre colonie de vacances et internat ; ils jouent les durs. Il entend des choses surprenantes, le soir, autour des tables de belote. "on va casser du bougnoule. On leur laissera pas l'Algérie à ces bicots."
 
La France n'est pas en guerre. Les journaux le disent. Il n'y a que les militaires qui sont en guerre. La France est au travail. Nos fils vont maintenir la paix en Algérie. Quelques bougnoules qui posent des bombes. Deux cent vingt mille appelés. 
Il n'y a pas de guerre en 1957, la France est moderne. Où est parti Verini ?
 
La guerre. Une fois encore. 
Un hurlement plus long que le premier. Un homme, pas un animal. Un cri de douleur et d'impuissance. Qui lui soulève l'estomac, traverse la cour de la maison méridionale jusqu'au milieu des orangers. 
La guerre que tout le monde fait semblant d'ignorer. 
Il l'a trouvée. 
Il ne veut pas la faire. À qui doit-il le dire ? 

On organise une cérémonie pour le départ du corps. Lever du drapeau, discours de Perret, condoléances de la nation. Les parents ne sauront jamais ce que leur fils a fait en Algérie : il y est mort, et dans ses lettres il écrivait que tout allait bien. 

Tant qu'il reste une minute à passer sur le sol algérien, il ne se réjouit pas. Il faut moins d'une minute pour mourir. 

Tu sais, le livre que j'ai essayé d'écrire, c'était une sorte de roman d'aventures, qui se passait pendant la guerre. Mais je n'ai jamais réussi à lui donner la forme que je voulais. Je supportais pas d'en faire une fiction, et je ne suis pas non plus historien. Mais surtout, je ne voulais pas devenir un témoin. Un témoin est impuissant et on peut toujours douter de lui. Quand j'ai essayé d'écrire, j'ai compris que c'était comme ça que je me sentais là-bas.

Titre : le Mur, le kabyle et le marin
Auteur : Antonin Varenne
Première édition : 2011

mardi 9 novembre 2021

La Panthère de Stéphanie Des Horts


Je suis Jeanne Toussaint, la panthère de Cartier. Je porte en moi le symbole du Gai Paris, des Années folles, de la passion et de l'élégance.
 
Dans Paris occupé par les Allemands, Jeanne Toussaint, directrice de la création chez Cartier, est arrêtée pour les oiseaux en cages dont elle a délibérement décoré les vitrines du célèbre joallier, geste interprété comme un défi et comme un signe de résistance par l'occupant. Pendant que les Allemands enquêtent sur ses justifications avant de statuer sur son sort, Jeanne, surnommée "la panthère", est enfermée et se rappelle la façon dont elle est arrivée jusque là, elle, modeste petite belge originaire de Charleroi... 
 
C'est ainsi que Stéphanie de Horts nous entraîne, à la première personne, sur les traces de la Panthère, égérie de Cartier née en 1887 à Charleroi, ancienne "cocotte" du demi-monde de la belle époque, amie de Coco Chanel, maîtresse d'hommes puissants qui lui ont permis de tracer son chemin et de sortir son épingle du jeu par le travail, le talent et l'amour des belles choses. Au travers de ce destin d'exception, ce n'est pas seulement une vie qui est racontée mais aussi celle de la maison Cartier. C'est également l'évocation d'époques (Belle époque, Années Folles, première et deuxiéme guerre mondiale) et de modes de vie d'une certaine société évoluant dans l'élégance et le luxe, avec ses femmes entretenues couvertes de bijoux, leur capital pour l'avenir, une façon pour les grandes familles soucieuses de préserver apparences et privilèges de compartimenter passion et raison.
On y croise beaucoup de grands noms et la création d'objets et de bijoux mythiques, une bague trois anneaux, la première montre bracelet Tank / Pershing, les parfums Channel numéro 5 ou Arpège, etc.
 
Un portrait très intéressant qui montre aussi la capacité d'adaptation et de résilience de femmes qui ne se laissent pas réduire par les règles et les circonstances imposées par la société de leur époque et qui savent au contraire les exploiter pour en tirer liberté, pouvoir et reconnaissance, en laissant leur empreinte pour la postérité.
 
Finalement, un roman très documenté, bourré d'anecdotes et plaisant à lire, combinant habilement éléments romancés, biographiques, historiques et sociologiques ; une panthère symbole du luxe et du savoir-vivre à la française offrant au lecteur une touche de frivolité et de légèreté.
 
Tirés du texte :
Le mariage de toute façon, n'a rien à voir avec les sentiments, c'est bien connu, on épouse des femmes de bien, on aime des femmes de rien. 
 
Les courtisanes de la Belle Époque sont devenues les aristocrates des Années folles.

Titre : La Panthère 
Auteur : Stéphanie Des Horts
Première édition : 2010


dimanche 7 novembre 2021

Silence is a Sense de Layla Alammar

  
De sa fenêtre d'une cité anglaise anonyme où elle se calfeutre, une jeune réfugiée syrienne observe ses voisins : l'homme dans le noir, le père, le vieux couple, le buveur de jus... Traumatisée sur le chemin de l'exil, elle a perdu l'usage de sa voix. Ancienne étudiante d'anglais, elle lit beaucoup et rédige des articles publiés dans un journal local, signés sous le pseudonyme "voiceless/sans voix", dans lesquels elle traite de la condition des musulmans vivant en Angleterre. Son éditrice, avec laquelle elle communique uniquement par mail, essaye de la faire témoigner de son expérience de réfugiée mais elle élude parce qu'elle est dans l'impossibilité de le faire. Au fil des pages et de ses interactions avec la communauté locale, on va toutefois finir par en apprendre un peu plus, par bribes et fragments. Et puis son handicap et sa conscience sont mis à l'épreuve lorsqu'elle est témoin d'une scène de violence et d'une autre éclairant un crime raciste ; elle va aussi se rendre compte qu'elle n'est pas la seule à observer les autres ... 
 
La plume est efficace, réaliste et pleine de sensibilité. Le roman donne voix à cette réfugiée mutique ne demandant qu'à reprendre discrètement le cours de sa vie pour se fondre dans son nouvel environnement alors que le passé n'est que chaos et fragments difficiles à réconcilier ; elle a trouvé asile mais la paix de l'âme et du cœur sont plus exigeants, hantés par le passé et soumis à l'imperfection des hommes et du monde qui les entoure. 
Les regards et les points de vue se croisent en touchant la question des réfugiés, de l'immigration, de l'intégration, de la tolérance, de l'acceptation des différences culturelles et/ou religieuses mais aussi et plus largement du vivre-ensemble et de la condition humaine. 
Et puis derrière tout ça, il y a aussi toutes ces vies brisées par des traumatismes (pas seulement de guerre mais parfois aussi les violences familiales qui peuvent se produire chez le voisin) sur lesquels il est impossible de mettre des mots et qui transforment ceux qui les subissent et se cachent dans le silence, l'évitement, la honte et/ou la peur.
 
Aller au-delà des apparences et des différences, une belle leçon d'humanité et de tolérance par une jeune auteur à suivre, élevée au Koweït et éduquée au Royaume Unis où elle a posé ses valises.
 
Tirés du texte :
The thing is, when you can't speak, people assume you can't hear either. 
 
I don't know how to explain to her that I am cornered by memories, caged in by recollections. 
I feel persecuted by the things I remember and by what my mind chooses to hide from me. (...) 
The human need for stories is itself an obstacle to memory. (...) 
There is a kind of deceit to memories, where you're never entirely sure something happened the way you remember. (...) can you absolutely be sure it's your memory and not one you've claimed from stories you heard? 

It seems to me that complicit in the very idea of memory is the act of forgetting. 
 
It's not difficult to know what people want. At the root of it we all want the same thing: freedom, happiness, safety. I want to write what I want to write without the fear of a knock at the door and an interrogation room. I want to love who I want to love without the fear of death or corrective rape. I want to wear what I want to wear without the worry that men will see my skirt or the buttons on my shirt as an invitation. That's it. The freedom to live how we want to live.

Religious conflict is sexy. It's easy to sell (...) It's easy for news producers and politicians to frame it in terms of a cosmic war being waged in a land far, far away. But it isn't real. This isn't a religious conflict - or if it is now, it certainly didn't start out that way initially, in those private salons all across Damascus, with that statement of 99, that intellectual fount of all Springs, it was about freedom. It was about the right to live with dignity, the right to think without fear, the right to exist outside a state of emergency. It was about rising unemployment rates among a restless youth and free-market policies that benefited the few rather than the many. It was about the rains that never came, the migration and the cities straining under the weight of all the people they held but could do nothing with. 

When I first came here, that was the hardest thing to get used to, this reality where everyone is in your personal space all the time. (...) 
It isn't like that where I'm from. There, you have your boundary and I have mine and if the lines are crossed, it means that a fucking disaster has occurred. (...) 
In that other place, my other life, there are limits everywhere. (...) 
And when I first arrived, I couldn't assimilate-there's that word for you, Jose-I couldn't reconcile myself to the notion that I was free to go anywhere. So I set invisible borders that I abided by for a good, long while.

There's this idea that if only you bombard bigots with enough facts and data and statistics, you can cure them. This notion that their hatred comes from a place of ignorance is one people have a hard time shaking. It's not a lack of education (...) it's fear, fear of the unknown, the Other, fear that things are changing in ways he can't predict or control. Fear doesn't waver in the face of facts. 
 
At a time when access to data is quite literally limitless, ignorance cannot be anything other than a choice, and I wonder how many of the people those BBC and Guardian and Independent pieces are targeting actually watch/read/follow them? (...) 
They call it an echo chamber but it seems to me it's more of a cage, limiting your views and experiences to the extent that nothing unexpected or unsolicited ever crosses your path. And what other outcome can a device like that have but reduced tolerance? (...) 
They said globalisation would make the world better, but instead the world has become some hysterical shorthand for anything that threatens the status quo. They said the Internet would bring us close together, that it would turn the world into a little village, but it hasn't. Instead we have splintered, split off into islands drifting further and further away. After all, the Internet that elected the first black US president and set the Arab Spring ablaze is also the Internet which ripped the UK from Europe and elected Dr Strangelove over in America.
 
Democracy is not, nor should it be, the ultimate goal of all modern nations. Democracy rarely works as it should and most often does not work at all. For a democracy to function, you need an informed electorate. In order to get one, you need a free and fair and responsible press. Not even America, the freest nation on earth, has that. How is Egypt supposed to? How is Iraq? How are any of the others? 

It has always struck me as odd, to take such fervent pride in something you had no part in claiming. You don't choose where you're born. You don't choose the nation or the religion or the caste or sect or class. You choose none of it, and yet you're expected to fight for and be proud of this label to the exclusion of all others. It becomes entangled in your identity. I am Iranian. I am American. I am French. I am a Muslim, or Jewish, or Hindu.
 I am all these things that I did not choose to be.(...) 
 
A nationalist may crow freedom and prosperity, or values and piety, or modernity and skyscrapers, but at the end of the day, the bedrock of why his country is better than yours is simply that he was born into it. There is, on a fundamental level, no other reasons. (...) 
They call themselves patriots, but they're not. A patriot is one who loves, a nationalist is one who hates.
 
You came to this country for the same reason I did, I think. For safety, security. This was our big error, you see? (...) There is no safety. It's useless to search for it here or there or anywhere. (...) Your safety will come later. Much later, Allah willing. It will come for you in the afterlife.

Our blood runs everywhere, down the streets of Aleppo, of Damascus, of Homs, of Calais, of Chios, of Bicske. All these people. All these lives. Not numbers and figures and pie charts. People.

Titre original : Silence is a Sense
Pas (encore) de traduction française
Auteur : Layla Alammar
Première édition : 2021 

jeudi 4 novembre 2021

The Good Sister de Morgan Jones

 Yesterday she was a child. (...) Now she's a terrorist.
 
Abraham est originaire d'Égypte, copte, et pharmacien à Londres après avoir abandonné la fin de ses études de médecine pour s'occuper de sa femme Ester, malade de longue durée, et de sa Fille Sofia. C'est un homme brisé qui a sombré dans l'alcool et la drogue. Mais lorsque sa fille disparaît, rien ne l'arrête, il est prêt à tout pour la retrouver et la ramener. 

Convertie à l'islam, Sofia s'est enfuie pour rejoindre Raqqa en Syrie et le califat islamique, convaincue qu'il est en lutte pour construire un monde plus juste, en phase avec les commandements du Coran. C'est une jeune fille de 17 ans intelligente, instruite, lumineuse et idéaliste qui trouve du réconfort et du sens dans la religion alors qu'elle a rompu un dialogue devenu impossible avec son père. Elle est prête à faire tout ce qu'on lui demandera car ce seront autant de tests pour mettre sa foi à l'épreuve : mariage, intégration d'une brigade de femmes, enseignante auprès de femmes qu'il faut convertir, etc.
 
Dans un jeu d'alternance narrative, entre la voix du père et celle de la fille, on suit le parcours marqué d'épreuves et de souvenirs de ces deux personnes exposés à tous les dangers, poussés aux pires extrémités sans certitude que la salvation sera au bout du chemin. Un rythme de thriller soutenu, sans répi, avec son lot de noirceur, de violences, de sacrifices, de manipulations, de corruption, de cruauté, d'absurdités, de la frontière turque jusqu'au cœur de la Syrie islamiste ; des personnages déterminés, complexes, torturés, désespérés.

Un roman bien construit et prenant, dont l'authenticité laissera une marque profonde et certainement indélébile au fond de ma mémoire. Elle est inoubliable cette histoire de famille portée par l'amour d'un père pour sa fille, obligé de transcender toutes ses peurs, illuminée aussi par la lumière de celle-ci et sa dévotion à une cause qui l'aveugle et puis en arrière-plan il y a bien sûr le sujet brûlant de la religion et de l'extrêmisme, prétexte et justification à tous les excès.
Brûlant  ! 

Extraits du texte :
 For every soul there is a guardian (The Koran, 86:4)
 
 The West is a house with no foundation and no walls, a paper house, it will blow away and it will burn.
 
You are one of the good ones, and they are the worst. Fuck your idea of good. It is a Western thing, corrupt. There is no "fair" in sharia. Only justice.
 
That was the problem with families now, they had shrunk. (...) When someone died or fell ill others should take their place. But here was this man and this girl, expected to make a family on their own? It was like a piano with two strings. No music could come from it.
 
When I was a girl we didn't know life existed, and maybe that was better. 
A cage is not a cage if you cannot see beyond the bars.
 
The bad people will always hurt the good. But without them how would we have good to do ?
 
Titre original : The Good Sister
Pas (encore) de traduction française
Auteur : Morgan Jones
Première édition : 2018