lundi 30 décembre 2019

La femme en vert / Silence of the Grave d'Arnaldur Indridason

Alors que la ville de Reykjavik s'étend, des ossements sont découverts sur un chantier à l'arrêt. Ils datent de l'époque de la seconde guerre mondiale, entourés d'un mystère que l'inspecteur Erlandur et ses deux assistants vont tenter d'élucider. À cette époque, l'endroit était isolé, une colline avec un chalet aujourd'hui disparu et quelques barraquements d'une base battant pavillon anglais puis américain. Les pistes se brouillent autour d'un amoureux épleuré après la disparition de sa fiancée et d'une famille de 3 enfants subissant la violence domestique du père...
Sur le plan personnel, Erlandur est préoccupé par l'état de sa fille Eva Lind à qui il se confie lors de visites quotidiennes à l'hopital alors que la guérison de la jeune toxicomane plongée dans le coma est incertaine.

La réputation d'Arnaldur Indridason n'est pas à faire ; une plongée dans ses polars est la garantie d'un bon moment d'évasion dans une ambiance islandaise. Un scénario bien ficelé tant sur le plan de l'enquête que des personnages récurrents dont on suit l'évolution d'un épisode à l'autre.

La femme en vert/Silence of the grave est une valeur sûre.

Du même auteur, voir aussi :
La cité des Jarres / Jar City (1)
Les nuits de Reykjavik / Reykjavik Nights

Titre français : La femme en vert
Titre anglais : Silence of the Grave
Série Enquête du commissaire Erlendur Sveinsson / A Reykjavik Murder Mystery (2)  
Auteur : Arnuldur Indridason
Première édition : 2002

samedi 28 décembre 2019

La cité des Jarres / Jar City d'Arnaldur Indridason


Un vieil homme assassiné dans un appartement sordide et un message énigmatique laissé par le meurtrier : "je suis LUI"... Nous voici lancés dans une drôle d'enquête aux côtés du commissaire Erlendur et de son équipe qui n'ont comme indices pour démarrer qu'une collection de film pornographiques et la vieille photographie d'une tombe d'enfant. Une piste parsemée de petits cailloux nommés viols, flics ripoux, conservation d'organes ou encore héritage génétique alors que sur le plan personnel, Erlandur apprend la cohabitation avec sa fille toxicomane, enceinte, Eva Lind.

Quitte à se (re)-plonger dans les enquêtes islandaises du commissaire Erlandur Sveinsson, je les reprends dans l'ordre. Ce premier opus publié en 2'000 avait reçu le prix Clé de verre du roman noir scandinave et, presque 20 ans après, il n'a aucunement perdu de son attrait : on se laisse prendre par les méandres de l'histoire qui ne cherche pas tant à résoudre le crime d'une crapule peu sympathique mais plus à rendre justice à ses victimes passées.

Ambiance islandaise et un très bon polar.

Du même auteur, voir aussi :
Les Nuits de Reykjavik / Reykjavik Nights

Titre français : La cité des Jarres 
Titre anglais : Jar City 
Série Enquête du commissaire Erlendur Sveinsson / A Reykjavik Murder Mystery (1)
Auteur : Arnuldur Indridason 
Première édition : 2000

vendredi 20 décembre 2019

À la grâce des hommes / Burial Rites de Hannah Kent

Islande, 1828-1829

Agnès a été condamnée à mort pour meurtre. En attendant l'exécution de sa sentence, elle est assignée au domicile d'un officier de sécurité de la vallée de Kornsa, Jon. Elle partage désormais son quotidien avec la famille de son gardien : Margaret, sa femme, et ses deux filles âgées d'une vingtaine d'années, Steina et Lauga. Inspirant initialement la peur, le dégoût, la méfiance, voire la fascination, la présence de la meurtrière est subie, à peine supportée à son arrivée, juste une paire de bras supplémentaires bien utiles, avec laquelle le foyer s'interdit toutes interactions verbales.
Pour sa rédemption et le salut de son âme, elle reçoit toutefois les visites d'un jeune assistant révérend, Thorvardur Jonsson, qui, pour essayer de la comprendre et de l'atteindre, lui fait raconter son histoire. À l'approche de l'hiver, les rapports évoluent alors que les personnages se retrouvent confinés dans la maison de tourbe, sans intimité possible.

Une histoire romancée à partir du personnage historique d'Agnès, dernière criminelle condamnée à la peine capitale et exécutée en Islande en 1829. Les chapitres sont introduits par des documents originaux d'époque, traduits et adaptés, alors que le reste est laissé à l'imagination de l'auteur qui a su traduire la solitude et l'isolement de certaines fermes d'Islande ainsi que les conditions de vie si difficiles de l'époque (insalubrité des maisons de tourbe, la pièce de vie unique, la moisson, les conditions climatiques extrêmes et changeantes, l'organisation sociale, etc.). Les rapports sociaux, la place des femmes, les commérages, la place bien déterminée de chacun dans la communauté sont des données importantes pour comprendre la psychologie de chacun qui s'affine au fil des pages alors que s'humanisent des rapports non choisis.

L'auteur, Australienne, a vécu une expatriation en Islande et elle a parfaitement su traduire le ressenti de l'isolement en s'appuyant sur sa propre expérience. Une histoire d'une autre époque, abordée avec sensibilité et réalisme. J'ai particulièrement apprécié les éléments de la vie courante dans lesquels j'ai retrouvé, contextualisés, beaucoup des thèmes développés dans le petit livre des islandais du temps jadis lu récemment.

Un roman comme je les aime, bien écrit, dépaysant et enrichissant. ❤️

Titre français : À la grâce des hommes
Titre anglais : Burial rites
Auteur : Hannah Kent
Première édition : 2013

lundi 16 décembre 2019

Cartel / The cartel de Don Winslow

People don't run the cartel; the cartel runs people.

2004-2012, Mexique.

Après la Griffe du chien/The Power of the dog, nous retrouvons Art Keller cherchant la sérénité dans un monastère et Adan Barrera servant son temps dans une prison américaine. À la mort de sa fille chérie, le trafiquant obtient son extradition vers une prison fédérale mexicaine en "échange" de quelques informations choisies sur ses rivaux, désormais bien décidé à reprendre le contrôle de son empire. Le jeu du chat et de la souris peut reprendre entre les deux ennemis jurés alors que de nouveaux protagonistes (Les Zetas, les frères Tapia, Magda, Crazy Eddie Ruiz, Chuy, Pablo, etc), font leur apparition en apportant dans leur sillage une vague de violence sans précédent, dépassant l'imaginable, n'épargnant rien, ni personne. Le trafic de drogue n'est plus que le rouage presque anecdotique d'une machine infernale et totalement folle entraînant dans son mécanisme chantage, extorsions, kidnappings, prostitution, meurtres, tortures, viols, terreur, etc.: seul un pacte avec le diable pourra peut-être arrêter son emballement.

Le deuxiėme tome de cette trilogie de la griffe du chien nous emporte dans un rythme encore plus endiablé que le premier volume qui paraîtrait presque fade à la lecture de ce nouvel opus. Certaines scènes sont d'une violence tellement insoutenable et incroyable que je me suis parfois interrogée sur l'imagination de l'auteur et la "vérité" de certains épisodes. Quelques recherches rapides montrent qu'elles ne sont malheureusement souvent que le reflet de la réalité, la reprise de faits débordants sur le quotidien de "civils" mexicains innocents, les plus pauvres, les plus démunis, des victimes collatérales au service des intérêts de l'argent et du pouvoir. Ainsi, et pour ne donner que quelques exemples, ont véritablement existés :
- les redoutables "Zetas" (anciens des troupes d'élite reconvertis dans les trafics en tous genres),
- la guerre sanguinaire des gangs pour le contrôle de Juarez,
- l'attentat du casino Royale de Monterrey et ses 53 morts,
- ou encore le blog dénonçant les atrocités des narcotrafiquants ("Blog del Narco" dans la réalité).
Certains éléments historiques mis en scène dans le livre, comme l'élection présidentielle de Calderon sont également facilement vérifiables : un président issu d'un scrutin controversé qui a amené la population à manifester et à demander un recomptage des voix.

L'auteur a donc su composer avec la réalité pour nous livrer ce thriller d'une intensité rare, une véritable plongée dans l'univers absolu du mal. Il nous donne quelques indications sur ses sources dans ses remerciements et dédie ce "roman" aux journalistes assassinés pour avoir voulu dénoncer les crimes liés à cette guerre des gangs sans merci : trois pages non exhaustives de noms, un hommage bien troublant... Et un livre tout aussi troublant au regard d'une certaine actualité, sueurs froides garanties.

Extraits du texte :
The so-called Mexican drug problem isn't the Mexican drug problem. 
It's the American drug problem. 
There's no seller without a buyer.

Mexico, the land of pyramids and palaces, deserts and jungles, mountains and beaches, markets and cobblestoned streets, 
broad plazas and hidden courtyards, is now known as a slaughter ground.
And for what?
So North American can get high.

As of the end of 2010, there have been 7'000 people killed in Juarez, 10'000 businesses closed, 
130'000 jobs lost, and 250'000 people "displaced". (...) 
The final tally of drug-related deaths in Mexico in 2010 came to 15'273.

When you ask people, "what's America's longest war? “They usually answer" Vietnam" or amend that to "Afghanistan", 
but it's neither.
America's longest war is the war on drugs.
Forty years and counting.

You say "narco" anymore in D. C. outside the hallways of DEA, you get a yawn. 
You say "narcoterrorism", you get a budget. A free hand and a blind eye.

Voir aussi :
La griffe du chien / The Power of the Dog

Titre original : The Cartel
Titre français : Cartel
Deuxième volume de la trilogie "La griffe du chien" 
Auteur : Don Winslow
Première édition : 2015

vendredi 13 décembre 2019

Le petit livre des islandais / The little book of the Icelanders d'Alda Sigmunsdottir

Au travers de 50 sujets qui font chacun l'objet d'un court chapitre, des maisons de tourbe au rôle de l'espoir, Alda Sigmunsdottir nous fait découvrir des éléments qui ont façonné son pays, l'Islande, aux temps anciens. Sur un ton léger et humoristique l'auteur partage la résilience, l'inventivité, les règles sociales, l'alimentation, l'hygiène, les croyances et les superstitions, les us et coutumes d'un peuple qui a vécu dans la misère et sous le joug de l'église et de puissances lointaines pendant la plus grande partie de son histoire.
Des historiettes sur ce qui rythme la vie de la naissance à la mort, plus ou moins folkloriques, qui n'ont pour la plupart plus vraiment cours dans la société moderne qu'est devenue l'Islande mais qui n'en restent pas moins des marqueurs de l'identité nationale et de la tradition avec des traces encore visibles ici et là, dans des expressions du langage par exemple.

Un livre à la fois léger et documenté, bourré d'anecdotes, qui constitue une introduction amusante mais non moins sérieuse à l'histoire, la sociologie et le folkrore islandais. Facile à lire même si la traduction française laisse parfois à désirer et ne rend sans doute pas justice au texte d'origine - par moments, on dirait du "Google traduction" sans subtilité... Alors sachant que l'auteur a publié plusieurs autres "petits livres", je choisirai plutôt l'anglais, sa langue d'expression, si j'en viens à lire un autre ouvrage de la série.

Nota : Écrivain, journaliste, bloggeuse, Alda Sigmunsdottir est une islandaise qui a vécu plusieurs années à l'étranger (Canada, Chypre, Royaume Unis et Allemagne) ; de 2004 à 2010 elle a tenu un blog populaire sur son pays, The Iceland Weather Report, qui fait toujours référence.
Le site d'Alda Sigmunsdottir ICI

Extraits du texte :
Apprendre à lire aux enfants n'était pas une option, tout du moins pas au XVIIIe siècle en Islande. L'église nationale décrétait que tout le monde devait apprendre à lire, et ce pour une raison spécifique : afin d'être brillamment capable d'embrasser ses enseignements religieux. (...) L'application de ce décret en Islande était la responsabilité du pasteur local. Celui-ci faisait régulièrement le tour des humbles demeures de ses paroissiens et interrogeait les enfants pour savoir s'ils avaient le niveau. S'il trouvait qu'ils en manquaient, il était autorisé par la loi à les retirer à leurs parents et à les placer dans une autre ferme où leur éducation serait plus attentivement prise en charge. 

 Pour les islandais de jadis [les histoires] étaient un anti-dépresseur. C'est pourquoi les gens s'y accochaient, et par extension se sont accrochés à la tradition littéraire. Les Islandais comptaient sur ces histoires, les intériorisaient, les racontaient encore et encore, les vivaient. Elles leur apportaient l'espoir. (...) Dans espoir, il y a fatalisme(...) Les gens apprenaient à se soumettre à quelque chose de bien plus grand et d'immensément plus puissant qu'eux. Cette soumission est l'essence même de l'humanité. 
(...)
Le passé d'une nation est toujours inextricablement lié à son présent. Toutes ses expériences deviennent une part de son identité collective et de son âme. Aujourd'hui les islandais comptent toujours parmi les peuples les plus heureux de la Terre. Enquête après enquête, ils déclarent être généralement optimistes et se contenter de leur lot, pourquoi ? (...) Se pourrait-il que ce contentement, cet optimisme, se soit imprégné dans l'âme profonde du peuple islandais à travers des siècles de vie rude, quand chacun devait avoir l'espoir de survivre, même si c'était complètement illogique ? J'aime à le penser. Comme j'aime à penser que la puissante tradition littéraire de l'Islande provient des veillées, ou que les problèmes face aux engagements proviennent de siècles de vie aléatoire dans un climat capricieux.

Titre français : Le petit livre des islandais du temps jadis
Titre anglais : The Little Book of the Icelanders in the old days
Auteur : Alda Sigmundottir
Première édition : 2014

mardi 10 décembre 2019

Les nuits de Reykjavik / Reykjavik Nights d'Arnaldur Indridason

Jeune policier en uniforme affecté aux rondes de nuit, Erlandur est fasciné par les cas de disparitions non élucidées. Ainsi, après la routine nocturne avec ses coéquipiers - accidents de la route, bagarres, ivrognes et sans abris - Erlandur s'interroge et en vient à mener une enquête en solitaire, toute personnelle, sur la noyade, a priori accidentelle, d'un SDF qu'il a ramassé à plusieurs reprises. Une mort un peu négligée et éclipsée depuis un an par la disparition mystérieuse d'une jeune femme survenue la même nuit. Rien ne peut le laisser supposer ... mais ... et si les deux affaires avaient un lien ?

Pour qui s'intéresse un tout petit peu à la littérature islandaise, Arnaldur Indrason est un incontournable du domaine "série noire", l'un des auteurs les plus traduits et les plus connus à l'international, tout comme son personnage-enquêteur d'Erlandur : plus de 30 titres disponibles en français, dont la moitié environ mettant en scène cet enquêteur. J'avais déjà eu l'occasion de lire L'homme du lac, excellent, et j'ai retrouvé avec plaisir Erlandur dans ces nuits de Reykjavik, alors qu'il n'est pas encore affecté à la brigade criminelle, simple policier de patrouille débutant.

Un roman de série noire agréable à lire ; on entre dans le monde des longues nuits si particulières de la capitale islandaise avec des personnages à la dérive, psychologiquement tourmentés ; un bon polar qui ne manque pas de rebondissements, nous menant d'une hypothèse à l'autre en passant par quelques voies sans issues jusqu'au dénouement final.
Un bon moment de détente assuré, sans prise de tête ; une pierre indispensable pour les aficionado d'Erlandur afin de connaître le personnage et sa psychologie à ses débuts.

Titre anglais : Reykjavik Nights 
Titre français : les nuits de Reykjavik
Auteur : Arnuldur Indridason
Première édition : 2012

dimanche 8 décembre 2019

La brodeuse de Winchester / A single Thread de Tracy Chevalier

A single thread can make quite a difference. 

Angleterre, 1932.

Violet fait partie de cette génération de femmes "en excédant" par rapport aux hommes qui ont été fauchés par la première guerre mondiale, comme l'ont été son frère aîné ou son fiancé. À 38 ans, deux ans après le décès de son père, saisissant l'opportunité d'une mutation dans l'entreprise d'assurance qui l'emploie comme dactylo, la "vieille fille" décide de s'émanciper et de quitter la maison familiale de Southampton, et surtout sa mère aigrie et acariâtre, pour travailler à Winchester, la ville voisine.
Avec son maigre salaire, les temps sont durs mais Violet commence à trouver ses marques et à se construire une vie bien à elle, en périphérie de la cathédrale : elle rejoint un groupe de brodeuses qui œuvrent à créer des coussins de prière et elle découvre le monde des sonneurs de cloches.

Tracy Chevalier est une de mes auteures fétiches dont j'achète les nouveaux livres les yeux fermés, sans attendre, dès publication, parce qu'elle sait aborder avec beaucoup de justesse une grande variété de sujets, et rendre l'ambiance d'une époque en nous offrant toujours des histoires de femmes enrichissantes... ce nouveau roman ne fait pas exception et je l'ai tout simplement dévoré, une lecture presque d'une seule traite !

Côté "petite histoire", on découvre, "en action" l'univers de la broderie, ses points, ses motifs, et celui des sonneurs de cloches, une activité prenante et très organisée. Mais l'intérêt du livre c'est aussi et avant tout le rendu de l'époque, ses codes et les jugements qu'elle impose à ces "femmes sans hommes" qui doivent vivre avec des perspectives réduites et le regard suspicieux des autres qui les scrute, les juge et les limite au risque d'alimenter les ragots. Une histoire d'amitié, d'amour, de solidarité, de rivalité, de famille avec des personnages et des scènes finement rendus : la mère, toxique, est perfidement odieuse et manipulatrice, le jeune frère, Tom, et sa famille sont pleins de bonne volonté mais leur empathie réduite par les obligations de leur noyau. Les femmes de l'entourage ouvrent elles aussi un éventail de profils et de comportements différenciés qui s'affinent au fil des pages : Louise Pessel apporte sa bienveillance et veille sur les brodeuses, inspirée d'un personnage bien réel, la logeuse mène sa maison avec vigilence, Olivia et Maureen sont les deux collègues plus jeunes, un peu futiles et toujours prêtes à porter des jugements sans délicatesse et enfin, Gilda et Dorothy deviennent de vraies amies qui comptent. Un monde duquel les hommes ne sont pas totalement absents avec notamment Arthur et les sonneurs de cloche.

Finalement, un parcours de femme qui doit composer avec son temps et faire son deuil pour tourner la page et s'affranchir du qu'en dira-t-on afin de "vivre" de façon indépendante dans une société qui n'était pas faite pour les célibataires.

It was not easy to meet men, because there were two million fewer of them than women. Violet had read many newspaper articles about these "surplus women", as they were labelled, left single as a result of the War and unlikely to marry - considered a tragedy, and a threat, in a society set up for marriage. 

Du très bon "Tracy Chevalier", un plaisir à lire et à découvrir... avec un p'tit goût de "revenez-y".

Mise à jour (titre français) 29/08/2020

Titre original : A Single Thread
Titre français : La brodeuse de Winchester
Auteur : Tracy Chevalier
Première édition : 2019

vendredi 6 décembre 2019

D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds de Jon Kalman Stefansson

À quel moment donnons-nous la version correcte d'une histoire, et quelle est la juste perception du monde ? 

Après dix ans d'un exil choisi, au Danemark, Ari rentre en Islande avec une lettre de sa belle mère et un diplôme et une vieille photo envoyés par son père malade. Nous voilà plongés dans son histoire, ses souvenirs, sa mère morte alors qu'il était tout jeune, son père avec lequel il n' arrive pas à communiquer, une famille -sa femme et ses trois enfants- qu'il a quitté sur un coup de tête, dépassé par un mouvement de colère et d'humeur un matin au petit déjeuner.

Le roman "saute" d'une époque à une autre, comme des pensées, sans chercher à les relier (les périodes du retour, de l'adolescence et celle plus lointaine des grands parents Margret et Oddur), un récit "vécu" par Ari d'une part et "raconté" d'autre part par un narrateur très proche mais dont on n'arrive pas à établir le lien exact avec le personnage central.

Une histoire presque statique et sans véritablement d'action (Réflexion autobiographique ? Suite à venir dans un autre livre ?), nourrie de réflexions sur la vie, la mort, la société actuelle et plus ancienne, les rapports humains, la sexualité.
Une lecture parfois difficile, parfois déroutante ou frustrante parce qu'elle laisse un goût d'inachevé et l'envie d'en savoir plus : on reste sur sa faim avec l'impression de suivre un chemin dans le brouillard parsemé de petits cailloux mais en se demandant où tout cela va bien pouvoir nous mener sans jamais avoir de réponse.
L'écriture est belle et riche, pleine de digressions et magnifiquement évocatrice des réalités de l'Islande aussi bien historiques que sociales ou géographiques, différentes de la superficialité des images de cartes postales.

Un roman peu conventionnel et intrigant, efficace pour stimuler les méninges en couvrant un large spectre de sujets de réflexion liés à la condition humaine.
"Challenging"!

Extraits du texte :
La mort est la fin de tout, elle est celle qui nous impose le silence, nous arrache le crayon au milieu d'une phrase, éteint l'ordinateur, masque le soleil, la mort est une impasse absolue, nous ne saurions porter aucun commencement à son crédit ; cela, nous devons nous l'interdire. Elle est l'argument ultime de Dieu, née lorsque, de désespoir sans doute, ce dernier à combiné cruauté et absence, confronté à l'échec manifeste de sa Création. Pourtant, chaque mort porte en son sein une vie nouvelle-

Les souvenirs sont de gros blocs de pierre que je traîne derrière moi. Est-il donc pesant de se souvenir ? (...) Non, ça ne vaut que pour les choses que tu regrettes ou que tu aimerais oublier-ce sont les regrets qui pèsent le plus lourd. 

La poésie est importante, ce que n'est pas son auteur. 

Ari regarde les cartes postales (...) ces cartes ne sont aucunement l'Islande réelle, mais la vision fantasmé que nous en avons, elles font abstraction du vent, des déchaînements du climat, de ses caprices, ne montrent pas l'humidité, ne montrent pas les chevaux ruisselants de pluie, ni les bourrasques, les averses de neige, les jours gris (...) 

Les choses qu'on tait entrent toujours plus facilement dans nos cœurs et il faut plus d'efforts pour les en extirper alors qu'il est plus facile de protester et de s'élèver contre des choses dites ou écrites afin de leur imposer le silence. 
Nous pouvons faire taire les mots, mais pas nos doutes. 

Nous n'agissons que peu, sans doute parce que nous sommes trop heureux : les gens qui ne manquent de rien n'ont aucune raison de partir en guerre pour changer le monde. Ceux qui s'emploient à diriger nos existences le savent (...) leur objectif est simplement de faire perdurer cette situation. Ou bien, si tu préfères, d'entretenir le principe d'absurdité.

Quelle est notre nature profonde, quel est le point de vue adéquat, cette nature profonde est-elle une illusion, peut-être ne sommes-nous rien de plus qu'un récipient rempli à ras bord de pensées dominantes, de points de vue consensuels, peut-être n'entrevoyons-nous presque jamais ce qu'est une pensée libre au fil de notre vie, sauf à travers quelques fulgurances bien vite étouffées, aussitôt éteintes par les idées croupies et rances que distillent les informations, la publicité, les films, les chansons à succès (...)

Comment lutter contre ceux qui sont morts dans leur jeunesse, ceux qui reposent au creux des souvenirs, s'embellissent et se bonifient chaque année tandis que nous, les autres, vieillissons, grossissons, notre poitrine s'affaisse, notre démarche devient plus raide, notre regard perd son éclat, notre pensée sa fulgurance, nous commettons des erreurs, tenons des propos idiots ou maladroits, des mots qui blessent ou abîment ; les morts, eux, ne commettent aucun impair, ils ne sont jamais insupportables le matin, ne pètent pas à la table du petit-déjeuner, n'oublient jamais leur slip sur le bord de la baignoire, ne sont jamais de mauvaise humeur, jamais injustes, égoïstes, colériques, les morts se contentent de briller, figés dans le souvenir. 

Les poèmes ont sans doute le pouvoir de sauver le monde, mais ceux qui les lisent sont si peu nombreux, et leur nombre va diminuant : ils sont une ethnie en voie d'extinction. On devrait d'ailleurs leur accorder le statut d'espèce protégée et il faudrait que l'UNESCO pense à les inscrire au patrimoine de l'humanité.

Du même auteur :
Entre ciel et terre

Titre français : D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds
Titre anglais : Fish have no feet
Auteur : Jon Kalman Stefansson
Première édition : 2013

dimanche 1 décembre 2019

La griffe du chien / The power of the dog de Don Wislow


Premier volume d'une trilogie, Dan Winslow ne nous laisse pas un seul moment de répit avec ce thriller détonant. Côté narcotrafficants, Tio Barrera puis ses neveux Adan et Raul qui règnent en maîtres sur le Mexique, plaque tournante ou "trempoline" de la drogue venue d'Amérique latine pour alimenter le marché américain.
Côté américain, le vengeur solitaire /"seigneur de la frontière", Art Keller, ancien du Vietnam qui a un compte à régler avec les Barrera et ne lâchera pas le morceau avant de les avoir fait tomber, c'est une question personnelle. Il lui faut composer avec les services secrets de son pays qui interviennent dans les pays d'Amérique Latine sans états d'âmes et un certain cynisme, peu importe les moyens, pour lutter contre l'avancée des "rouges" plus que contre la drogue, un moyen d'influence et de contrôle plus qu'un fléau.

Une toile absolument démoniaque avec une foultitude de personnages charismatiques aux personnalités complexes comme la belle Nora, call girl de luxe qui partage une amitié improbable avec un évêque ou Callan, gangster irlandais des bas fonds new yorkais embrigadé comme homme de main des services secrets lorsqu'il lui faut se mettre au vert.

Une tension constante, des rebondissement, du machiavélisme, des mensonges, de la corruption à tous les niveaux, des morts, beaucoup de morts souvent pas très propres... Trahisons, vengeances, guerre des gangs, clergé, politiques, gangsters... C'est dense, rythmé, enlevé... On ne sait plus toujours où est le bien et le mal, on tourne les pages à perdre haleine du début à la fin, bref, du grand thriller qui satisfera tous les amateurs du genre, même les plus difficiles.

Just “woaw“!

Titre original : The Power of the dog
Titre français : La griffe du chien
Premier volet de la trilogie de la griffe du chien
Auteur : Don Winslow
Première édition : 2006

lundi 25 novembre 2019

Miss Islande de Audur Ava Olafsdottir

Je sais qu'en Islande, il est un mot pour chaque pensée qui vient au monde.

Islande, 1963.
Hekla porte le nom d'un volcan, elle est jeune et belle et sait exactement ce qu'elle veut : consacrer sa vie à l'écriture, faire partie du cercle prestigieux des écrivains et être publiée. Elle a donc quitté la ferme familiale pour Reykjavik avec sa valise, une machine à écrire et quatre manuscrits. À la capitale, elle est d'abord hébergée par son ami, Jon John, jeune homosexuel qui rêve stylisme mais qui doit cacher sa différence dans une société pas du tout prête à l'accepter ; elle retrouve aussi sa meilleure amie, Isey, qui partage sa passion des mots mais qui a perdu sa liberté de les poser sur le papier, trop occupée par les taches ménagères, son mari, son bébé et un autre à venir.

Une société islandaise minuscule et rigide, pleine de poètes et de poésie, dans laquelle chacun doit composer avec une réalité qui risque de mettre à mal ses rêves sans portant les annihiler : Hekla trouve un travail de serveuse, Jon John est employé, à  son corps défendant, sur les bateaux de pêches alors qu'Ivey est coincée dans son cocon familial.
Quels sacrifices et quels artifices faudra-t-il pour mener à bien ou renoncer aux ambitions des uns et des autres ?

Encore un livre de la littérature islandaise joliment écrit qui vient d'ailleurs de décrocher le prix Médicis du meilleur livre étranger 2019, bien mérité. Il nous croque des portraits de personnages portés par leurs rêves et la pureté de la jeunesse et à travers eux, on appréhende toute une société et une époque. Une histoire finement rendue qui réussit à combiner un réalisme grinçant à une certaine fraîcheur, des personnages qui composent pour s'approprier les codes des comportements et des attentes convenues afin de les réinventer, seule façon d'arriver à ses fins et de s'émanciper dans une société qui refuse l'homosexualité ou l'idée qu'une femme puisse écrire.

Troisième livre de la littérature islandaise... sûrement trop peu pour tirer des conclusions définitives et généraliser mais je n'en suis pas moins bluffée par la qualité d'écriture et des pages tournées jusqu'à présent. Une découverte inattendue qui ne peut que m'inciter à poursuivre : que du plaisir !

Extraits du texte :
(...) il tend le bras, je le laisse faire et je cesse de m'accrocher aux mots, demain matin ils auront disparu, j'aurai perdu mes phrases. Chaque nuit, j'en perds quatre. 

- Pour toi, l'écriture est plus importante que moi, une seule phrase a plus de poids que mon corps (...) 
Je n'arrive pas à me retenir d'aller jusqu'à la table pour noter dans mon carnet : une seule phrase a plus de poids que mon corps.

Titre : Miss Islande
Auteur: Audur Ava Olafsdottir
Première édition : 2019
Prix Médicis Étranger 2019

jeudi 21 novembre 2019

Bad blood / Bad blood de John Carreyrou

Jeune femme ambitieuse et charismatique, Elizabeth Holmes se rêvait d'être la "Steve Jobs" de sa génération. C'est ainsi qu'elle abandonna ses études à Stanford au milieu des années 2000 pour monter sa start-up, Theranos, dans la Silicon Valley, avec une vision : révolutionner le monde de l'analyse sanguine pour donner des résultats plus rapides et plus fiables avec une simple goutte de sang prélevée sans douleur au bout du doigt.
Il aura fallu moins de dix ans à la jeune femme pour atteindre le firmament et les une des journaux et magazines la comparant à son idole d'Apple : elle avait levé des millions de dollars auprès de noms des plus prestigieux américains et était à la tête d'une entreprise employant plusieurs centaines de personnes... Mais voilà, entre l'image et la réalité, il n'y avait qu'un miroir aux alouettes et un énorme scandale !

Une aventure incroyable sur laquelle John Carreyrou,  journaliste au New York Times, a enquêté malgré les bâtons qui lui ont été mis dans les roues. Le projet partait d'une ambition honorable mais elle n'a tenu que grâce à la culture du secret, la compartimentalisation, la malversation, l'à peu près, la terreur ... Un monde où seule prime l'ambition personnelle, peu importe l'éthique et la santé des patients.

Absolument passionnant et glaçant, documenté, factuel, détaillé : une histoire vraie aux relents de Thriller.

Titre original : Bad Blood, Secrets and lies in a Silicon Valley Startup
Titre français : Bad Blood, Scandale Theranos, Secrets et mensonges au cœur de la Silicon Valley.
Auteur : John Carreyrou
Première édition : 2018

lundi 18 novembre 2019

Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer

Fin de la seconde guerre mondiale.

D'un côté, une colonne de prisonniers évacuée des camps dans une course frénétique, apothéose de la folie et de la violence pour tenter de faire disparaître toutes traces des crimes perpétrés par les allemands alors que l'avancée ennemie est de plus en plus pressante. On suit le sort de nombreux personnages qui aboutissent à la dernière des leurs, Ava, petite fille mutique née dans les camps et le précieux rouleau de lettres protégées par une poche de cuir qu'elle garde avec elle : ces missives relatent l'histoire de prisonniers des camps de la mort nazis, un dernier témoignage sur ce qu'ils ont vu et subit, des lettres qui s'ajoutent les unes aux autres, de plus en plus urgentes, en passage de relais, comme un ultime cri de survie véhiculé par l'enfant pour lui rendre symboliquement la voix.
À l'origine de cette chaîne, Richard Friedlander, un père juif s'adressant à sa fille aimée qui a pourtant choisi de l'éloigner et de prendre ses distances avec lui afin d'assouvir ses ambitions.

D'un autre côté, dans Berlin bombardé et le bunker des derniers dignitaires nazis, nous suivons les derniers jours et heures de Magda Goebbles qui s'y terre avec ses six enfants. Nous découvrons son parcours, l'enfance, l'amour déçu et l'ambition froide qui en ont fait la femme la plus puissante du Reich, mère d'une famille parfaite souvent mise en scène.
Mais si tout cela n'était finalement qu'une illusion ?

Un contexte historique qui n'a certes rien de nouveau mais auquel l'auteur apporte pourtant sa marque et un nouveau souffle. Il tresse habilement ses deux trâmes sous le regard des enfants qui, d'un côté comme de l'autre, sont entraînés dans cette histoire malgré eux, innocentes victimes des événements, outils de propagande ou dépositaire de l'espoir. Une écriture très belle et travaillée, pleine de symboles et d'oppositions, entre par exemple l'affolement qui régne dans la campagne et la "paix" qui émane du personnage de Magda, ne doutant de rien, sûre d'elle et de ce qu'elle doit faire.
Une histoire absolument terrible, basée sur des faits historiques, bien connus pour toute la partie concernant le bunker, très documentée mais plus romancée pour la partie du père, Richard.

Un premier roman très réussi et un auteur à suivre.

 Extrait du texte :
Comme un certificat d'humanité. Je souffre, donc je suis. C'est la Maxime des prisonniers.

Titre : Ces rêves qu'on piétine 
Auteur : Sébastien Spitzer
Première édition : 2017

samedi 16 novembre 2019

Entre ciel et terre / Heaven and Hell de Jon Kalman Stefansson


Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires. 

Dans un fjord d'Islande, le gamin et son meilleur ami Bardur partagent l'amour des livres, un lit et le métier de pêcheurs dans une barque d'une dizaine d'hommes. Mais voilà, ce matin-là, la tête pleine d'un poème de Milton, Bardur oublie sa vareuse et meurt de froid. De retour à terre, bouleversé, le gamin récupère le précieux livre pour le rapporter à son propriétaire, un vieux capitaine aveugle. Un périple dangereux, un dernier geste quand la vie semble n'avoir plus aucune saveur...

Un livre et une histoire peu banals, portés par une langue riche, puissamment évocatrice, pleine de poésie. Un récit de quelques jours qui semblent pourtant toucher l'éternité et les questions essentielles de la vie et de la mort. Des personnages rudes et austères qui semblent calqués sur les paysages de cette Islande tellement brutale pour les hommes.
L'auteur nous fait percevoir tout un monde, la dureté de la vie des pêcheurs à la fin du XIXeme, l'isolement au fond des fjord et des villages, le froid, le manque de perspectives. Les quelques personnages sont eux aussi tout un monde, des portraits habilement croqués pour révéler des personnalité et des comportement couvrant un large spectre, de la petitesse d'esprit méprisante à l'indifférence absolue au qu'en dira-t-on.

À la découverte de la littérature islandaise, un deuxième essai réussi, je suis sous le charme, séduite par la beauté de l'écriture, l'originalité du texte et de la réflexion qu'il soulève, sans oublier l'évocation du pays.

Extraits du texte :
Nous pouvons peut-être nous passer de mots pour survivre, mais nous en avons besoin pour vivre.

Les sanglots naissent quand les mots ne sont plus que des pierres inutiles. (...) Les sanglots apaisent et soulagent, mais ils ne suffisent pas. On ne peut les enfiler les uns derrière les autres et les laisser s'enfoncer comme une corde scintillante dans les profondeurs obscures afin d'en remonter ceux qui sont morts et qui auraient dû vivre.

Du reste, n'y avait-il, en Islande, rien à voir que des montagnes, des chutes d'eau, des étendues de terre accidentée et cette lumière capable de te transpercer et de te changer en poète.

Je ne sais tout bonnement pas qui je suis. Je ne sais pas pourquoi j'existe. Et je ne suis pas sur d'avoir assez de temps pour le découvrir.

Les mots ont parfois le pouvoir des trolls et ils sont capables d'abattre les dieux, ils peuvent sauver des vies et les anéantir. Les mots sont des flèches, des balles de fusil, des oiseaux légendaires lancés à la poursuite des héros, les mots sont des poissons immémoriaux qui découvrent un secret terrifiant au fond de l'abîme, ils sont un filet assez ample pour attraper le monde et embrasser les cieux, mais parfois, ils ne sont rien, des guenilles usées, transpercées par le froid, des forteresses caduques que la mort et le malheur piétinent sans effort. 

Il ne veut vraiment pas mourir. Le désir de vivre habite les os, il coule, porté par le sang, vie, qu'es-tu donc ? Interroge-t-il en silence, à des lieues de toute réponse, ce qui n'a rien d'étrange, nous n'en détenons aucune, qui avons pourtant vécu et sommes aujourd'hui défunts, qui avons traversé la frontière que nul ne voit et qui est cependant la seule qui compte. Vie, qu'es-tu donc ? Peut-être la réponse se love-t-elle au creux de la question, de l'étonnement qu'elle recèle.

Titre français : Entre ciel et terre
Titre anglais : Heaven and Hell
Auteur : Jon Kalman Stefansson
Première édition : 2007

jeudi 14 novembre 2019

La lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson

Ce livre est une lettre à cœur ouvert adressée à Helga, la seule femme que Bjarni Gisladon de Korkustadir a vraiment aimé et pour laquelle, l'homme, à 90 ans passés, retrace sur le papier avant de mourrir toute une vie en relation avec cette femme ; c'est une lettre d'amour, la réponse tardive à une autre lettre.

Un roman épistolaire qu'on lit presque d'une traite, plein de poésie et de la richesse de cette vie d'homme qui ne trouve son sens que dans la nature et sa communauté, une ôde magnifique à l'Islande rurale, une réflexion intelligente sur l'homme et sa nature.
C'est beau, c'est riche, c'est poétique, c'est émouvant et déchirant.

À la découverte de la littérature islandaise : une magnifique introduction. ❤️

Extraits du texte :
Littérature et culture générale semblaient n'être pour elle qu'un luxe superflu qu'on devait avoir honte de s'offrir puisque le temps qu'on y passait était volé au travail. 

Croire au progrès et se l'approprier est une chose, mais c'en est une autre que de mépriser le passé. 

Les foyers d'aujourd'hui sont sacrément pauvres du point de vue de notre culture. Les objets qu'on y trouve viennent des quatre coins du monde, le plus souvent sans la moindre indication de leur lieu d'origine. Or qu'elle est la différence entre un objet fabriqué maison et un autre qui sort de l'usine ? Le premier a une âme, l'autre non. 

Y-a-t-il rien de plus terrible que d'attendre que la vie s'écoule ? 

Le pire dans la plus grande affliction, c'est qu'elle est invisible à tous sauf à celui qu'elle habite. 

Titre : la lettre à Helga
Auteur : Bergsveinn Birgisson
Première édition : 2010

lundi 11 novembre 2019

La soeur du soleil / The sun sister de Lucinda Riley

Sixième et avant dernier volet de la saga des sept soeurs qui commence presque comme les autres et se termine en annonçant le suivant...

Cette fois, nous voici partis à la découverte du destin d'Électra, la plus jeune des sœurs d'Aplièse, toutes adoptées aux quatre coins de la planète par Pa, leur père charismatique et énigmatique, dont le décès marque le point de départ de chacune des histoires. Pour ce qui est d'Électra, jeune femme sculpturale et top modèle de renommée internationale, ce décès reste un moment de confusion lié à l'abus de substances, alcool et drogues ; elle porte encore le poids de la déception qu'elle pense avoir causé à son père et beaucoup de colère qu'elle va devoir apprendre à comprendre et à contrôler.

Dans ce roman ambitieux, l'auteur nous promène dans l'univers d'Électra, l'argent qui coule à flôt, l'hyper médiatisation, l'abus des substances et les centres/ traitements pour s'en détacher. La jeune femme est à la croisée des chemins et doit réagir pour éviter de se perdre, axée sur elle-même. L'histoire de ses origines lui sera rapportée par sa grand-mère qui la retrouve et elle nous fera voyager dans le temps, entre États-Unis et Kenya, des milieux nantis new-yorkais d'avant-guerre aux luttes afro-américaines des droits civiques des années soixante, en passant par le Kenya colonial et l'évocation des tribus Masaï. Il est aussi question de ségrégation, de racisme, de drogue, de SIDA...

Alors même si l'écriture reste comme toujours très agréable et pleine de bons sentiments, à vouloir couvrir autant de sujets en même temps, je trouve que l'auteur en perd en efficacité si bien que j'ai été moins emportée par ce volet que par les précédents. Je reste toutefois fidèle à la série dont j'attends bien sûr le dénouement, rendez-vous en 2020 ! ...2021 ?

Du même auteur, voir aussi :
La soeur de la lune / The moon sister
Les sept soeurs / The seven sisters

Mise à jour 22/2/2021

Titre original : The Sun Sister
Titre français : La soeur du soleil (juin 2020)
Tome 6 de la saga de sept soeurs
Auteur : Lucinda Riley
Première édition : 2019

samedi 9 novembre 2019

Le gang des rêves de Luca di Fulvio


Malgré les précautions prises par sa mère pour la protéger, la jolie Cetta Luminata est violée dans un champ de la campagne italienne et se retrouve mère d'un petit garçon qu'elle prénomme Natale. Mais Cetta a de la volonté et pour échapper à une vie de quasi esclavage, sans issue, la jeune fille décide de s'enfuir et de tenter sa chance en Amérique en payant de sa personne le prix de la traversée.

À son arrivée à Ellis Island, le bébé est enregistré sous le nom anglicisé de "Christmas", un petit blond "au nom de nègre" auquel Cetta n'aura de cesse de donner un meilleur avenir, celui d'un "Américain". À la fois résignée, pragmatique et volontaire, Cetta se retrouve placée sous la protection de Sal qui la fait travailler chaque nuit comme prostituée dans un bordel avant de la reconduire chaque jour dans son quartier auprès de son fils.
C'est ainsi que Christmas grandit, dans la pauvreté, auprès des immigrants italiens de l'East side New Yorkais et d'une mère attentive, se rêvant caïd et chef de bande à l'adolescence.

Une nuit, il ramasse dans la rue une jeune fille ensanglantée qu'il porte jusqu'à l'hôpital, c'est Ruth : la jeune fille juive de bonne famille vient de vivre un calvaire, battue, violée et mutilée par Bill, le jardinier qui a pris la fuite... Mais pour Christmas, les yeux verts de Ruth ouvrent son cœur à un amour inconditionnel.

Ainsi commence cette fresque qui nous plonge dans la frénésie de l'Amérique des années 1920, portée par le rêve américain et le bagou irrésistible de Christmas. C'est l'époque de la prohibition, des gangsters, des quartiers grouillants où se retrouve parqués les immigrants à New York, de la radio, du cinéma qui devient parlant ...

On retrouve certains ressorts utilisés dans les enfants de Venise (ou inversement) : l'amour de deux adolescents d'origines différentes, une séparation et la promesse de se retrouver, l'éducation sentimentale. Les personnages "secondaires" sont plus truculents les uns que les autres, remarquablement travaillés par l'auteur qui a su leur donner une vraie substance : outre les deux héros, j'ai aimé la détermination et la dignité de Cetta et adoré le côté macho-bourru de son protecteur, Sal, j'ai aussi aimé le grand-père de Ruth, les copains de Christmas... On arrive à s'attacher à certains personnages plus faibles et même les  "méchants" ont du relief...
L'ensemble est super rythmé, drôle, enlevé comme un film, avec parfois des impressions de "Il était une fois en Amérique", entre tragédie et comédie.

Un "pavé" dont on tourne les pages en regrettant d'arriver à la dernière tant les personnages restent avec nous... bref, l'assurance d'une belle évasion romanesque.
❤️❤️❤️

Du même auteur, voir aussi :
Les enfants de Venise

Titre : le gang des rêves 
Auteur : Luca Di Fulvio
Première édition : 2016

mercredi 6 novembre 2019

Ma très chère grande sœur de Gong Ji-young

Bongsun était la seule et unique personne qui me prenait dans ses bras quand je me sentais triste et abandonnée. Elle était pour moi une mère, une grande sœur, en même temps qu'une amie et le premier être humain que j'ai vu en arrivant au monde. 

A priori, un roman autobiographique.
Dans ce livre, Jiang-a est écrivain et évoque ses souvenirs de Bongsu, sa "très chère grande soeur", enfant battue"généreusement" recueillie par ses parents mais dont la position au sein de la famille n'en était pas moins ambiguë et inégale, entre parent pauvre et bonne-garde d'enfant chargée de surveiller la petite dernière.

Au travers de cette histoire, sous un regard de Jiang-a petite fille, on entre dans l'intimité d'une famille et sa transformation sociale alors que ses conditions de vie s'améliorent. Une histoire d'enfance plutôt triste mais pleine d'émotion et de lucidité.

Une lecture intéressante et facile à lire.
Encore un excellent roman coréen qui nous permet, au travers de cette histoire particulière, de découvrir une époque et certains éléments sociologiques de ce pays fascinant.

Du même auteur :
Nos jours heureux

Titre : ma très chère grande soeur
Auteur : Gong Ji-young
Première édition : 1998

mardi 5 novembre 2019

Nos jours heureux de Gong Ji-Young


Comme cette pluie hivernale qui tombe uniquement dans la lueur des phares,
 il existe ici-bas tant de choses qu'on ne voit pas tellement elles sont sombres.

Issue d'une famille nantie avec laquelle elle entretient des rapports difficiles, menant une vie débridée et sans filtre, ancienne chanteuse populaire, Yujeong est une jeune femme mal dans sa peau, enfermée dans son mal vivre depuis un viol subi à l'adolescence et qui, la trentaine passée, fait une 3ème tentative de suicide.

Seule parente qu'elle respecte et qu'elle n'a pas vue depuis 10 ans, sa tante Monica, religieuse et visiteuse des prisons auprès des condamnés à morts lui impose alors de l'accompagner pour rencontrer Yunsa qui attend son exécution à la prison de Séoul.

À part l'âge et peut-être un sentiment morbide, tout semble séparer Yujeong et Yunsa mais un étrange "parler vrai" va pourtant s'établir entre ces deux êtres perdus en les transformant pour leur donner un nouveau regard sur le monde.

Un roman intense et profond, riche en émotions, des plus noires aux plus lumineuses. Il est question de souffrance, d'incompréhension, de pauvreté, de religion, de haine, d'amour, de rédemption, de pardon. L'auteur alterne habilement les chapîtres entre le récit et les pages d'un "cahier bleu" sur lesquelles Yunsa relate son histoire. Avec le "parler vrai", l'auteur nous fait "vivre" l'aspect thérapeutique de la parole comme celle de l'écriture.

Le livre est adroitement construit et aborde la question de la peine de mort avec intelligence, d'abord sous l'emprise émotionnelle et absolue des sentiments puis d'une façon plus apaisée, épurée et libérée du pathos.

La Corée du Sud est à la mode si bien que sa littérature devient beaucoup plus accessible avec nombre de romans de qualité enfin traduits en français, comme celui ci. À lire, tout simplement.

Nota : la peine de mort existe toujours en Corée du Sud qui compte 57 condamnés en attente d'exécution même si dans les faits elle n'est plus appliquée (les dernières exécutions remontent à 1997).

Extraits du texte :
Il n'y a qu'une chose qui est pire que de ne pas pouvoir sentir. 
C'est de ne pas savoir qu'on ne sent rien. 
(Charles Fred Alford, What Evils Means to us) 

Se faire traiter comme un enfant, c'est le plaisir secret des adultes. 

Il était déjà au delà de tout système établi par l'homme pour châtier d'autres hommes. Il se moquait éperdument de l'absurdité de ces systèmes qui réduisent toutes les violences ayant précédé le meurtre au seul meurtre.

Être gentil, ce n'est pas stupide. La compassion, ce n'est pas de la faiblesse.
 Pleurer pour les autres, avoir le cœur déchiré à cause des erreurs qu'on a commises, c'est peut-être du sentimentalisme, 
mais c'est quelque chose de beau, un bon sentiment.
 Être blessé après s' être donné autant, ce n'est pas quelque chose de honteux.
 (...) tu sais, savoir ce n'est rien en soi. C'est même pire que de ne pas savoir.
 S'il y a une différence entre savoir et comprendre, c'est parce que pour comprendre, il faut une certaine souffrance.

Ce n'est pas parce qu'on est habitué à être trahi qu'on ne souffre pas à chaque trahison, 
ce n'est pas parce qu'on tombe souvent qu'on se relève facilement une fois encore. 

Le sens d'un acte naît avant même que l'acte se produise. (...)
 C'est toujours l'acte qui détermine la vérité, alors que c'est plutôt la vérité qu'à l'acte qu'on devrait porter l'attention... 

Quand on a été témoin d'un meurtre, on devient partisan de la peine de mort, 
quand on a été témoin d'une exécution, on devient partisan de l'abolition de la peine de mort.

 J'ai découvert que seuls ceux qui ont reçu l'amour peuvent aimer, que seuls ceux qui ont reçu le pardon peuvent pardonner.

Titre : nos jours heureux
Auteur : Gong Ji-young
Première édition : 2005

dimanche 3 novembre 2019

Parce que je déteste la Corée de Chang Kang-myoung

C'est peut-être ridicule mais c'est ainsi : la seule raison pour laquelle les jeunes viennent en Australie, 
c'est qu'ils veulent être traités avec dignité.

Kyena est une jeune Coréenne issue des classes moyennes. Elle partage sa chambre avec ses deux soeurs dans l'appartement familial situé en périphérie de Séoul, est dîplomée d'une université de Séoul et travaille depuis quelques années déjà.
Avec ses économies, elle veut poursuivre ses études en Australie avec le projet d'y émigrer. C'est ainsi qu'elle part, pleine d'espoirs en laissant derrière elle son monde, ses amies, son petit ami avec lequel elle rompt et sa famille.

Elle nous raconte son parcours, sa vie passée et la nouvelle, l'apprentissage de la différence, les comparaisons culturelles entre son pays d'origine et l'Australie ou d'autres nationalités qu'elle vient à fréquenter.
La jeune femme a aussi l'occasion de revenir en Corée mais ses séjours ne font que conforter son besoin de partir définitivement face à une société coréenne immuable, rigide et codifiée qui ne lui convient pas et dans laquelle elle ne peut se résoudre à se fondre.

Voilà un livre qu'on dévore, très intéressant parce qu'il nous permet de percevoir tout ces poids qui entravent et pèsent sur la société sud-coréenne : des rapports sociaux convenus qui se reproduisent d'une génération à l'autre, ultra hiérarchisés, dénoncés par l'auteur au travers de ce récit, et auxquels j'ai pu être sensibilisée pendant quatre années passées dans ce pays.

Le personnage de Kyena est frais, drôle et attachant ; une personnalité qui ne supporte pas les carcans, prête à s'expatrier pour assumer ses rêves et sa liberté. Le titre est brutal mais sans doute à l'image de la dureté des attentes et des codes imposés à la jeunesse de ce pays d'Asie du nord.

Un excellent roman de la littérature coréenne, à la fois léger - parfois presque une comédie - et profond, bourré d'anecdotes, à découvrir.

Extraits du texte :
Pourquoi je suis partie ? En deux mots, c'est "parce que je déteste la Corée". 
Et en trois, c'est "parce que je ne peux pas vivre dans ce pays". 
(...) si je ne peux pas vivre dans mon pays... c'est parce qu'en Corée, je ne suis pas quelqu'un de compétitif. 
Je suis un peu comme un animal victime de la sélection naturelle. Je ne supporte pas le froid ; je suis incapable de me battre de toutes mes forces pour atteindre un but ; et je n'ai hérité ni n'hésiterai jamais d'aucun patrimoine. 
Mais tout ça ne m'empêche pas d'avoir le culot d'être salement exigeante : je veux travailler près de chez moi, 
qu'il y ait suffisamment d'infrastructures culturelles dans mon quartier, 
que mon boulot me permette de m'accomplir personnellement, etc. 

Parmi les femmes que je croisais, aucune n'était plus mince que moi. Plus de 90% des Australiennes ont une stature carrée. 
Il n'est pas rare non plus de voir des femmes obèses à un niveau qu'on ne peut même pas imaginer en Corée.
 Tu sais, jusque là, j'avais toujours eu des complexes à cause de mes fesses et de mes cuisses un peu dodues, 
or, ici, mes fesses étaient d'une taille idéale, toutes petites et mignonnes. 
Je me suis dit que je n'avais plus besoin d'essayer de les cacher avec des hauts un peu longs
 et que je pouvais même mettre des vêtements que je n'aurais jamais osé porter avant. 

J'ai pas d'avenir en Corée. Je ne suis pas sortie d'une grande université, je ne viens pas d'une famille riche,
 je ne suis pas aussi belle que Kim Tae-hui. Si je reste en Corée, je finirai ramasseuse de détritus dans le métro. 

J'ai demandé à Jae-in pourquoi il était venu vivre en Australie. 
- Parce que je ne veux pas faire mon service militaire, m'a-t-il répondu fièrement. 

Les garçons font des avances et les filles choisissent, c'est ainsi que ça fonctionne. 
Proportionnellement, le nombre de filles venues étudier ici est moindre que le nombre de garçons, 
et les filles coréennes sont très populaires auprès des garçons d'autres nationalités et des Australiens.

Pourquoi détestes-tu autant la Corée ? C'est un pays sympa, tu sais. 
Si on se rapporte au  PIB par habitant, la Corée est dans les vingt premiers, presque au même niveau qu'Israël ou que l'Italie. 
(...) Je m'en fous de connaître le classement de la Corée sur le plan du bien-être de ses habitants, 
ou du pouvoir d'achat, ou de je ne sais quoi encore. 
J'ai envie d'être heureuse, moi, et ici c'est impossible. 

 Les Coréens mettent en haut du classement les Australiens et les Occidentaux, puis viennent les Japonais et les Coréens, 
un cran en dessous les chinois, et tout en bas les habitants d'Asie du Sud. 
Mais en réalité, après les Australiens et les Occidentaux, il y a tous les asiatiques.
 Les gens d'ici ne font pas de distinction hiérarchique,
 à leurs yeux il y a seulement les Asiatiques qui parlent bien anglais et ceux qui parlent mal.

Tu connais les paroles de notre hymne national ? Qu'est ce qu'il dit ? Ce que le ciel protège, ce n'est pas moi, c'est la Corée. 
Ce qui doit vivre longtemps, ce n'est pas moi non plus, mais mon pays.
 Si j'existe, c'est seulement pour préserver mon pays le plus longtemps possible. 
Les paroles de l'hymne national australien sont très différentes,
 il commence par "Australiens, réjouissons-nous car nous sommes jeunes et libres '", 
continue avec "Sous notre rayonnante Croix du Sud, nous peinerons des cœurs et des mains", 
et se termine avec "Nous avons des plaines sans limite à partager". 
Rien à voir avec l' hymne coréen !

Titre : Parce que je déteste la Corée 
Auteur : Chang Kang-myoung
Première édition : 2015

samedi 2 novembre 2019

Zulu de Caryl Ferey

Afrique du Sud.
Début des années 2000.

À Cape Town, le corps d'une jeune femme, méconnaissable, est retrouvé dans le jardin botanique de Kirstenbosch et c'est Ali Neumann, le chef de la police criminelle d'origine Zulu qui est en charge de l'enquête. La victime est vraisemblablement la fille d'un ancien champion du monde de rugby et les investigations particulièrement sensibles alors que l'Afrique du Sud post-apartheid se prépare à accueillir la coupe du monde de football.

Avec sa touche personnelle si particulière, Caryl Férey nous emmène avec ce nouveau thriller ébouriffant à la découverte de l'Afrique du Sud en nous offrant un panorama complet couvrant son histoire et sa sociologie, ses ethnies, ses townships ; le pays à beau être passé dans le camp des démocraties, les fantômes du passés et les clivages sociaux et raciaux restent présents et la violence est partout, alimentée par la drogue, gangrenée par le sida.

Peut-être pas le meilleur des Caryl Férey à mon goût mais l'auteur possède un don véritable et rare, celui de construire des intrigues prenantes et rythmées auxquelles il mèle subtilement les données historico-socio-culturelle du pays ainsi placé au cœur du scénario si bien que chacun de ses romans est une invitation au voyage et une plongée dans la réalité d'un pays, loin des clichés touristiques.
Des romans noirs, ultra violents mais ultra documentés et au final, ultra-instructifs... On ressort plus intelligent à chaque fois, je suis devenue une inconditionnelle !

Du même auteur, voir aussi :
Saga maorie (Haka et Utu) [Nouvelle-Zélande]
Condor [Chili]
Mapuche [Argentine]

Titre : Zulu
Auteur : Caryl Ferey
Première: 2008

vendredi 1 novembre 2019

Chili 1970-1973 de Franck Gaudichaud

Reprenant les éléments d'une thèse universitaire, ce livre, Chili 1970-1973 / Mille jours qui ébranlèrent le monde, est consacré à l'étude socio-politique de l'expérience des Unités Populaires (UP) pendant les trois années qui ont précédé le coup d'état militaire du 11 septembre 1973 au Chili.

La lecture de la synthèse de ce travail de recherche est ardue ; elle permet de replonger dans le contexte d'une époque et d'essayer de comprendre des événements historiques qui ont secoué et transformé durablement ce pays d'Amérique latine.
Une étude basée sur des documents d'époque, d'autres publications universitaires mais aussi sur une large série d'interviews réalisées et analysées par l'auteur plus de trente ans après les événements afin d'apporter des éléments du vécu, de l'intérieur, donnant voix à ceux "d'en bas".

Vraiment pas un ouvrage de vulgarisation, la lecture est difficile et le sujet si complexe qu'il n'intéressera que des passionnés et initiés souhaitant véritablement s'y plonger de manière analytique et détaillée.

Dans ma série le "Chili dans les livres", un livre certainement "trop" poussé pour l'accompagnement d'un simple voyage touristique.

Titre : Chili 1970-1973, mille jours qui ébranlèrent le monde
Auteur : Franck Gaudichaud
Premiere edition : 2013

dimanche 27 octobre 2019

Les enfants de Venise de Luca di Fulvio

Venise, 1516.

Petits orphelins voleurs des rues de Rome, Mercurio, Benedetta et Zolfo doivent fuir la ville à la suite d'une escroquerie qui tourne mal. Champion du déguisement, Mercurio prend la route travesti en moine sans savoir que la victime qu'il pense laisser derrière eux a survécu et qu'elle n'aura de cesse de les poursuivre pour se venger.

De leur côté, Issaco et Giuditta ont quitté l'île où la jeune fille a été élevée par sa grand-mère. Un père et une fille appartenant à la communauté juive, qui se découvrent en cherchant un meilleur avenir.

Alors que les deux groupes convergent vers Venise, ils se retrouvent placés sous la protection du capitaine Lanzafame et sa troupe de soldats de retour, victorieux, de la bataille de Marignan : Isacco soigne les blessés et entame sa carrière de "faux médecin" alors que Mercurio soulage leurs âmes dans son rôle de "faux prêtre", deux escrocs de haut vol qui se reconnaissent au premier coup d'oeil.
Les deux partis se retrouvent séparés à leur arrivée à Venise, ville en principe fermée aux étrangers, mais Mercurio qui est tombé sous le charme de Giuditta fait la promesse quʼil la retrouvera...

Chacun va suivre son chemin et évoluer au cœur de cette trâme romanesque dense, complexe, intense, portée par les sentiments forts des uns et des autres, des uns envers les autres. Au delà de l'amour de Mercurio et Giuditta, on y retrouve un peu toutes les variations de l'amour (paternel, maternel, etc. ), la haine aussi, celle qui vient de la jalousie ou du rejet de l'autre avec l'antisémitisme, le pouvoir, l'amitié, le respect, le doute, l'assurance, etc.
On voyage dans le temps pour découvrir Venise un peu sous tous ses angles, dans la rue, les marchés ou les bordels avec les plus pauvres, dans les palais des plus riches, des plus puissants voire des plus pervers, dans le "ghetto" des juifs qui ne peuvent exercer que trois types d'activités autorisées, dans la fourmilière de l'arsenal ou le palais de justice pour un procès en sorcellerie, la République de Venise et ses rapports à la papauté avec l'inquisition qui menace...

Un monde très vivant, fascinant, admirablement mis en scène et des personnages qui nous emportent... Un roman un peu "à la Dickens" et une lecture captivante dans la plus grande tradition littéraire : juste un pur bonheur !

Extraits du texte :
 La vie est simple. Quand elle devient compliquée, ça veut dire qu'on se trompe quelque part. (...) Si la vie devient compliquée, c'est parce que c'est nous qui la compliquons. Le bonheur et la souffrance, le désespoir et l'amour sont simples. Il n'y a rien de difficile.

Ciao ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
Pour se saluer, la coutume est de dire schiavo vostro, "je suis votre esclave". Dans notre langue, schiavo se dit s-ciavo. Avec le temps, des lettres se sont perdues... On ne sait pas où ! 

L'amour nourrit et engraisse. La haine consume et creuse. L'amour enrichit, la haine soustrait.

Dans notre monde, la vérité est celle qu'écrivent les puissants. En soi, elle n'existe pas.

Titre : Les enfants de Venise
Auteur : Luca Di Fulvio
Première édition : 2017

mardi 22 octobre 2019

Une éducation / Educated de Tara Westover


What has come between me and my father is more than time or distance. It is the change in the self. 
I am not the child my father raised, but he is the father who raised her.

États-Unis.

Tara a grandi au pied des montagnes de l'Idaho dans une famille de survivalistes : une naissance non déclarée, sans certificat, une enfance sans fréquenter l'école et sans jamais voir un médecin, une mère sage-femme et herbaliste, un père Mormon qui régente tout son monde en exploitant une casse, une grande famille dont un frère manipulateur et violent, les pages de la Bible comme fondement culturel. La famille vit dans la peur d'une attaque des autorités et se prépare à la fin des temps en confectionnant et en stockant les bocaux qui assureront sa survie. Une normalité totalement hors normes.

Deux grands frères se sont déjà émancipés quand Tara décide, à 15 ans, de s'auto-éduquer pour postuler au lycée puis à l'université. Un parcours du combattant qui la ménera, contre toute attente, à Harvard et à Cambridge ; une éducation qui lui fait ouvrir les yeux sur un autre monde et sur elle même, en rupture totale avec son univers d'origine qui la rejette en lui faisant payer le prix fort. Un noyau libre qui ne connaît rien des codes de la société et un témoignage courageux et passionnant, touchant non seulement au pouvoir de l'éducation mais aussi et avant tout à l'identité, à la réalisation de soi, à la liberté individuelle et ce qu'elle vaut dans le contexte parfois complètement toxique des relations sociales et familiales.

Se lit comme un roman mais fait véritablement froid dans le dos parce ce que n'en est pas un.
Le témoignage coup de poing d'une métamorphose, absolument fascinant !

Voir aussi :
Hillbilly Élégie / Hillbilly Elegy de J. D. Vance

Extraits du texte :
Everyone sounded mad as hornets, but really they were having a lovely conversation.
 You had to listen to what they were saying, not how they were saying it. That's how Westovers talk! 

Not knowing for certain, but refusing to give way to those who claim certainty, was a privilege I had never allowed myself. 
My life was narrated for me by others. Their voices were forceful, empathic, absolute. 
It had never occurred to me that my voice might be as strong as theirs. 

"Negative liberty" (...) is the freedom from external obstacles or constraints. 
An individual is free in this sense if they are not physically prevented from taking action. "(...)" 
positive liberty is self-mastery - the rule of the self, by the self. 
To take positive liberty (...) is to take control of one own's mind; to be liberated from irrational fears and beliefs, from addictions, superstitions and all other forms of coercion."

I don't know what caused the transformation, (...) but there was something (...) 
that showed me I could admire the past without being silenced by it. 

You were my child, I should have protected you. (...) 
When my mother told me she had not been the mother to me she wished she'd been, she became that mother for the first time. 

She was inside, and emerged whenever I crossed the threshold of my father's house. 
That night I called her and she didn't answer. She left me. She stayed in the mirror. 
The decisions I made after the moment were not the ones she would have made. 
They were the choices of a changed person, a new self.
You could call this selfhood many things. Transformation. Metamorphosis. Falsity. Betrayal. 
I call it an education.

Titre original : Educated
Titre français : une éducation
Auteur : Tara Westover
Première édition : 2018

samedi 19 octobre 2019

Serving Crazy with Curry d'Amulya Malladi

 

Californie.

Après sa rupture avec son dernier petit ami en date, un homme marié, Devi est seule. Elle a en outre perdu un bébé au cours d'une grossesse gardée secrète et elle vient d'être licenciée... la jeune femme est au fond du trou et tout va si mal qu'elle ne voit pas d'autre issue que le suicide.
Elle est sauvée in extremis par sa mère Saroj, la personne qui l'exaspère le plus au monde.

Après sa sortie de l'hôpital, elle n'a pas le choix et doit réintégrer le foyer de ses parents qui ne comprennent pas le geste de leur fille, d'autant moins que Devi se tait et se terre dans le silence. Elle va toutefois prendre le pouvoir dans le domaine jusqu'alors entièrement réservé de sa mère, la cuisine, pour concocter des plats plus succulents les uns que les autres, reflets de son état d'esprit du moment, alors qu'autour d'elle, la famille pourtant disfonctionnelle fait corps... En se régalant !
Un cercle composé de :
Saroj, mère au foyer qui voudrait que tout soit toujours si parfait qu'elle en est insupportable pour tout son entourage et s'en oublie, nostalgique de son Inde natale quittée pour suivre son mari quand ses filles étaient petites.
Avi, le père, archétype de l'entrepreneur qui a réussi ; il illustre le rêve américain mais a renoncé à l'harmonie de son couple et "tient" grâce à des lettres à cœur ouvert qu'il garde pour lui.
La grand-mère maternelle en visite, ancienne complice de Devi et en conflit quasi permanent avec sa fille ; elle vit habituellement en Inde où elle a eut un parcours singulier de médecin, femme indépendante qui divorça dʼun homme violent pourtant idéalisé par Saroj qui a mal supporté de grandir comme une "enfant de divorcés" stigmatisée.
La sœur, Shobba, la "fille parfaite“ au parcours professionnel sans faute, mariée selon la tradition par présentation ; contre les apparences, elle est en réalité coincée dans un couple en souffrance et sans perspectives d'enfant du fait de sa stérilité.
Le beau-frère, Girish, professeur à Stanford, sérieux et un peu froid, il semble jouer les témoins dans cette drôle de famille.

Une sorte de huis clos à six personnages au cours duquel bien des abscès vont être crevés, la tentative de suicide agissant comme catalyseur d'une thérapie familiale jusqu'aux rebondissements finaux plutôt inattendus.

Une auteur que j'aime bien, qui commence seulement à être traduite en français pour ses deux derniers livres alors que ses romans plus anciens, comme celui-ci, peut-être plus limités à la sphère familiale, dénotent déjà d'une belle qualité d'écriture.
Une histoire à découvrir en se léchant les babines !

Du même auteur, voir aussi :
Song of the Cuckoo bird
The Mango season
Le foyer des mères heureuses / A House for Happy Mothers
Une bouffée d'air pur / A breath of fresh air

Titre original : Serving crazy with curry
Pas (encore) de traduction française. 
Auteur : Amulya Malladi
Première édition : 2004

jeudi 17 octobre 2019

Once a midwife de Patricia Hartman

La saga de la sage-femme des Appalache continue et nous retrouvons Patience à la fin de l'année 1941, pour quatre nouvelles saisons chroniquant la vie d'une communauté rurale au moment où l'Amérique, sortie de la crise, se retrouve entrainée dans la guerre après Pearl Harbor. Dans le contexte d'un grand élan patriotique, le couple Patience-Daniel est mis à rude épreuve lorsque Daniel, vétéran de la première guerre mondiale, refuse purement et simplement tout enregistrement ou engagement dans cette nouvelle guerre. Une attitude à contre courant, mal comprise, qualifiée de "lacheté" et qui singularise toute la famille...

La narration revient de nouveau à Patience car le rythme des naissances continue à faire battte le coeur de cette saga. Je ne m'en lasse pas car ces mises au monde sont des moments intimistes forts, presque toujours synonymes de "délivrance" (un mot qui prend véritablement sens), de joie ou d'espoir.
On retrouve les personnages des deux premiers tomes comme de vieux amis pour lesquels on vient aux nouvelles, content de savoir où ils en sont et par où le destin les a mené : c'est par exemple le cas avec Bitsy, l'assistante noire de Patience qui avait disparu à la fin du premier tome et qui nous revient dans ce troisième volet.
Et puis il ne faut pas oublier le contexte de l'époque que l'auteur sait si bien faire vivre, cette Amérique qui renait après dix ans de crise, portée par l'enthousiasme d'une nouvelle génération qui s'engage et part se battre la fleur au fusil, bien trop sûre d'elle.

La naissance et la mort, la vie et l'Histoire ramenée au quotidien d'une communauté ordinaire, voilà les clés de cette saga très réussie. 

Voir aussi :
La sage-femme des Appalaches / The Midwife of Hope River (tome 1)
The Reluctant Midwife (tome 2)

Titre original : Once a Midwife
Pas encore de traduction française. 
Troisième tome de la saga de la sage-femme des Appalaches
Auteur : Patricia Hartman
Première édition : 2018

mercredi 16 octobre 2019

The Reluctant Midwife de Patricia Harman

Le deuxiėme volume de la saga de la sage-femme des Appalaches nous ramène, pour un cycle de quatre nouvelles saisons, sur les rives de la rivière Hope, en 1934-1935.
Alors que l'Amérique est dévastée par la Grande Dépression, nous retrouvons notre petite ville rurale frappée par le marasme, où chacun essaye de survivre au jour le jour mais où la vie suit aussi son cours avec de nouvelles naissances à accompagner. Parience, désormais mariée au vétérinaire Daniel est elle même enceinte et immobilisée si bien que c'est Becky, l'infirmière, qui n'a pas d'autre choix que de prendre le relais afin d'assurer le rôle de sage-femme, bien malgré elle. Il faut dire que Becky a eu son lot de misères et qu'elle est de retour dans la région accompagnée du docteur Blum dont elle s'occupe, un homme brisé depuis la mort de sa femme et enfermé dans le mutisme depuis des mois.
Sage-femme à temps partiel, l'infirmière va aussi avoir l'opportunité de travailler dans un camp gouvernemental semi-militaire CCC (Civilian Conservation Corp) qui emploie de jeunes hommes pour revitaliser l'économie rurale dans le cadre d'un des tous premiers projets du New Deal lancé par le président Rossevelt afin de redresser le pays.

Un roman et une saga faciles à lire, qu'on dévore avec plaisir, plongé dans cette Amérique profonde au moment de la mise en place du New Deal. L'acte de la mise au monde reste au coeur du livre si bien que la narration est désormais relayée par Becky et non plus par Patience qui reste un personnage important, placé au second plan pour veiller au grain.Une histoire qui non seulement nous emporte mais nous enrichit pour sa part historique et humaine, réaliste, crédible et si bien rendue.

J'aime vraiment cette combinaison, alors hop, je n'attends pas : au suivant ...

Extraits tirés du texte :
Childbirth is such an intense experience (...) The moment a new person enters the world, everything changes. Everyone must move over to make room, every person, every rock, every tree, every star, and the midwife is privileged to witness the miracle.

I have lived under the presumption that there is great pain in this life and you must move carefully or you will get hurt, but I see today, that sometimes pain brings great joy, like labor contractions bring us the baby.

Voir aussi :
La sage-femme des Appalache / The Midwife of Hope River (Tome 1)
Once a Midwife (Tome 3)

Titre original : The Reluctant Midwife
Pans encore de traduction française
Deuxième volet de la saga "La sage-femme des Appalaches"
Auteur : Patricia Harman
Première édition : 2015