samedi 16 novembre 2019

Entre ciel et terre / Heaven and Hell de Jon Kalman Stefansson


Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires. 

Dans un fjord d'Islande, le gamin et son meilleur ami Bardur partagent l'amour des livres, un lit et le métier de pêcheurs dans une barque d'une dizaine d'hommes. Mais voilà, ce matin-là, la tête pleine d'un poème de Milton, Bardur oublie sa vareuse et meurt de froid. De retour à terre, bouleversé, le gamin récupère le précieux livre pour le rapporter à son propriétaire, un vieux capitaine aveugle. Un périple dangereux, un dernier geste quand la vie semble n'avoir plus aucune saveur...

Un livre et une histoire peu banals, portés par une langue riche, puissamment évocatrice, pleine de poésie. Un récit de quelques jours qui semblent pourtant toucher l'éternité et les questions essentielles de la vie et de la mort. Des personnages rudes et austères qui semblent calqués sur les paysages de cette Islande tellement brutale pour les hommes.
L'auteur nous fait percevoir tout un monde, la dureté de la vie des pêcheurs à la fin du XIXeme, l'isolement au fond des fjord et des villages, le froid, le manque de perspectives. Les quelques personnages sont eux aussi tout un monde, des portraits habilement croqués pour révéler des personnalité et des comportement couvrant un large spectre, de la petitesse d'esprit méprisante à l'indifférence absolue au qu'en dira-t-on.

À la découverte de la littérature islandaise, un deuxième essai réussi, je suis sous le charme, séduite par la beauté de l'écriture, l'originalité du texte et de la réflexion qu'il soulève, sans oublier l'évocation du pays.

Extraits du texte :
Nous pouvons peut-être nous passer de mots pour survivre, mais nous en avons besoin pour vivre.

Les sanglots naissent quand les mots ne sont plus que des pierres inutiles. (...) Les sanglots apaisent et soulagent, mais ils ne suffisent pas. On ne peut les enfiler les uns derrière les autres et les laisser s'enfoncer comme une corde scintillante dans les profondeurs obscures afin d'en remonter ceux qui sont morts et qui auraient dû vivre.

Du reste, n'y avait-il, en Islande, rien à voir que des montagnes, des chutes d'eau, des étendues de terre accidentée et cette lumière capable de te transpercer et de te changer en poète.

Je ne sais tout bonnement pas qui je suis. Je ne sais pas pourquoi j'existe. Et je ne suis pas sur d'avoir assez de temps pour le découvrir.

Les mots ont parfois le pouvoir des trolls et ils sont capables d'abattre les dieux, ils peuvent sauver des vies et les anéantir. Les mots sont des flèches, des balles de fusil, des oiseaux légendaires lancés à la poursuite des héros, les mots sont des poissons immémoriaux qui découvrent un secret terrifiant au fond de l'abîme, ils sont un filet assez ample pour attraper le monde et embrasser les cieux, mais parfois, ils ne sont rien, des guenilles usées, transpercées par le froid, des forteresses caduques que la mort et le malheur piétinent sans effort. 

Il ne veut vraiment pas mourir. Le désir de vivre habite les os, il coule, porté par le sang, vie, qu'es-tu donc ? Interroge-t-il en silence, à des lieues de toute réponse, ce qui n'a rien d'étrange, nous n'en détenons aucune, qui avons pourtant vécu et sommes aujourd'hui défunts, qui avons traversé la frontière que nul ne voit et qui est cependant la seule qui compte. Vie, qu'es-tu donc ? Peut-être la réponse se love-t-elle au creux de la question, de l'étonnement qu'elle recèle.

Titre français : Entre ciel et terre
Titre anglais : Heaven and Hell
Auteur : Jon Kalman Stefansson
Première édition : 2007

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