lundi 25 novembre 2019

Miss Islande de Audur Ava Olafsdottir

Je sais qu'en Islande, il est un mot pour chaque pensée qui vient au monde.

Islande, 1963.
Hekla porte le nom d'un volcan, elle est jeune et belle et sait exactement ce qu'elle veut : consacrer sa vie à l'écriture, faire partie du cercle prestigieux des écrivains et être publiée. Elle a donc quitté la ferme familiale pour Reykjavik avec sa valise, une machine à écrire et quatre manuscrits. À la capitale, elle est d'abord hébergée par son ami, Jon John, jeune homosexuel qui rêve stylisme mais qui doit cacher sa différence dans une société pas du tout prête à l'accepter ; elle retrouve aussi sa meilleure amie, Isey, qui partage sa passion des mots mais qui a perdu sa liberté de les poser sur le papier, trop occupée par les taches ménagères, son mari, son bébé et un autre à venir.

Une société islandaise minuscule et rigide, pleine de poètes et de poésie, dans laquelle chacun doit composer avec une réalité qui risque de mettre à mal ses rêves sans portant les annihiler : Hekla trouve un travail de serveuse, Jon John est employé, à  son corps défendant, sur les bateaux de pêches alors qu'Ivey est coincée dans son cocon familial.
Quels sacrifices et quels artifices faudra-t-il pour mener à bien ou renoncer aux ambitions des uns et des autres ?

Encore un livre de la littérature islandaise joliment écrit qui vient d'ailleurs de décrocher le prix Médicis du meilleur livre étranger 2019, bien mérité. Il nous croque des portraits de personnages portés par leurs rêves et la pureté de la jeunesse et à travers eux, on appréhende toute une société et une époque. Une histoire finement rendue qui réussit à combiner un réalisme grinçant à une certaine fraîcheur, des personnages qui composent pour s'approprier les codes des comportements et des attentes convenues afin de les réinventer, seule façon d'arriver à ses fins et de s'émanciper dans une société qui refuse l'homosexualité ou l'idée qu'une femme puisse écrire.

Troisième livre de la littérature islandaise... sûrement trop peu pour tirer des conclusions définitives et généraliser mais je n'en suis pas moins bluffée par la qualité d'écriture et des pages tournées jusqu'à présent. Une découverte inattendue qui ne peut que m'inciter à poursuivre : que du plaisir !

Extraits du texte :
(...) il tend le bras, je le laisse faire et je cesse de m'accrocher aux mots, demain matin ils auront disparu, j'aurai perdu mes phrases. Chaque nuit, j'en perds quatre. 

- Pour toi, l'écriture est plus importante que moi, une seule phrase a plus de poids que mon corps (...) 
Je n'arrive pas à me retenir d'aller jusqu'à la table pour noter dans mon carnet : une seule phrase a plus de poids que mon corps.

Titre : Miss Islande
Auteur: Audur Ava Olafsdottir
Première édition : 2019
Prix Médicis Étranger 2019

jeudi 21 novembre 2019

Bad blood / Bad blood de John Carreyrou

Jeune femme ambitieuse et charismatique, Elizabeth Holmes se rêvait d'être la "Steve Jobs" de sa génération. C'est ainsi qu'elle abandonna ses études à Stanford au milieu des années 2000 pour monter sa start-up, Theranos, dans la Silicon Valley, avec une vision : révolutionner le monde de l'analyse sanguine pour donner des résultats plus rapides et plus fiables avec une simple goutte de sang prélevée sans douleur au bout du doigt.
Il aura fallu moins de dix ans à la jeune femme pour atteindre le firmament et les une des journaux et magazines la comparant à son idole d'Apple : elle avait levé des millions de dollars auprès de noms des plus prestigieux américains et était à la tête d'une entreprise employant plusieurs centaines de personnes... Mais voilà, entre l'image et la réalité, il n'y avait qu'un miroir aux alouettes et un énorme scandale !

Une aventure incroyable sur laquelle John Carreyrou,  journaliste au New York Times, a enquêté malgré les bâtons qui lui ont été mis dans les roues. Le projet partait d'une ambition honorable mais elle n'a tenu que grâce à la culture du secret, la compartimentalisation, la malversation, l'à peu près, la terreur ... Un monde où seule prime l'ambition personnelle, peu importe l'éthique et la santé des patients.

Absolument passionnant et glaçant, documenté, factuel, détaillé : une histoire vraie aux relents de Thriller.

Titre original : Bad Blood, Secrets and lies in a Silicon Valley Startup
Titre français : Bad Blood, Scandale Theranos, Secrets et mensonges au cœur de la Silicon Valley.
Auteur : John Carreyrou
Première édition : 2018

lundi 18 novembre 2019

Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer

Fin de la seconde guerre mondiale.

D'un côté, une colonne de prisonniers évacuée des camps dans une course frénétique, apothéose de la folie et de la violence pour tenter de faire disparaître toutes traces des crimes perpétrés par les allemands alors que l'avancée ennemie est de plus en plus pressante. On suit le sort de nombreux personnages qui aboutissent à la dernière des leurs, Ava, petite fille mutique née dans les camps et le précieux rouleau de lettres protégées par une poche de cuir qu'elle garde avec elle : ces missives relatent l'histoire de prisonniers des camps de la mort nazis, un dernier témoignage sur ce qu'ils ont vu et subit, des lettres qui s'ajoutent les unes aux autres, de plus en plus urgentes, en passage de relais, comme un ultime cri de survie véhiculé par l'enfant pour lui rendre symboliquement la voix.
À l'origine de cette chaîne, Richard Friedlander, un père juif s'adressant à sa fille aimée qui a pourtant choisi de l'éloigner et de prendre ses distances avec lui afin d'assouvir ses ambitions.

D'un autre côté, dans Berlin bombardé et le bunker des derniers dignitaires nazis, nous suivons les derniers jours et heures de Magda Goebbles qui s'y terre avec ses six enfants. Nous découvrons son parcours, l'enfance, l'amour déçu et l'ambition froide qui en ont fait la femme la plus puissante du Reich, mère d'une famille parfaite souvent mise en scène.
Mais si tout cela n'était finalement qu'une illusion ?

Un contexte historique qui n'a certes rien de nouveau mais auquel l'auteur apporte pourtant sa marque et un nouveau souffle. Il tresse habilement ses deux trâmes sous le regard des enfants qui, d'un côté comme de l'autre, sont entraînés dans cette histoire malgré eux, innocentes victimes des événements, outils de propagande ou dépositaire de l'espoir. Une écriture très belle et travaillée, pleine de symboles et d'oppositions, entre par exemple l'affolement qui régne dans la campagne et la "paix" qui émane du personnage de Magda, ne doutant de rien, sûre d'elle et de ce qu'elle doit faire.
Une histoire absolument terrible, basée sur des faits historiques, bien connus pour toute la partie concernant le bunker, très documentée mais plus romancée pour la partie du père, Richard.

Un premier roman très réussi et un auteur à suivre.

 Extrait du texte :
Comme un certificat d'humanité. Je souffre, donc je suis. C'est la Maxime des prisonniers.

Titre : Ces rêves qu'on piétine 
Auteur : Sébastien Spitzer
Première édition : 2017

samedi 16 novembre 2019

Entre ciel et terre / Heaven and Hell de Jon Kalman Stefansson


Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires. 

Dans un fjord d'Islande, le gamin et son meilleur ami Bardur partagent l'amour des livres, un lit et le métier de pêcheurs dans une barque d'une dizaine d'hommes. Mais voilà, ce matin-là, la tête pleine d'un poème de Milton, Bardur oublie sa vareuse et meurt de froid. De retour à terre, bouleversé, le gamin récupère le précieux livre pour le rapporter à son propriétaire, un vieux capitaine aveugle. Un périple dangereux, un dernier geste quand la vie semble n'avoir plus aucune saveur...

Un livre et une histoire peu banals, portés par une langue riche, puissamment évocatrice, pleine de poésie. Un récit de quelques jours qui semblent pourtant toucher l'éternité et les questions essentielles de la vie et de la mort. Des personnages rudes et austères qui semblent calqués sur les paysages de cette Islande tellement brutale pour les hommes.
L'auteur nous fait percevoir tout un monde, la dureté de la vie des pêcheurs à la fin du XIXeme, l'isolement au fond des fjord et des villages, le froid, le manque de perspectives. Les quelques personnages sont eux aussi tout un monde, des portraits habilement croqués pour révéler des personnalité et des comportement couvrant un large spectre, de la petitesse d'esprit méprisante à l'indifférence absolue au qu'en dira-t-on.

À la découverte de la littérature islandaise, un deuxième essai réussi, je suis sous le charme, séduite par la beauté de l'écriture, l'originalité du texte et de la réflexion qu'il soulève, sans oublier l'évocation du pays.

Extraits du texte :
Nous pouvons peut-être nous passer de mots pour survivre, mais nous en avons besoin pour vivre.

Les sanglots naissent quand les mots ne sont plus que des pierres inutiles. (...) Les sanglots apaisent et soulagent, mais ils ne suffisent pas. On ne peut les enfiler les uns derrière les autres et les laisser s'enfoncer comme une corde scintillante dans les profondeurs obscures afin d'en remonter ceux qui sont morts et qui auraient dû vivre.

Du reste, n'y avait-il, en Islande, rien à voir que des montagnes, des chutes d'eau, des étendues de terre accidentée et cette lumière capable de te transpercer et de te changer en poète.

Je ne sais tout bonnement pas qui je suis. Je ne sais pas pourquoi j'existe. Et je ne suis pas sur d'avoir assez de temps pour le découvrir.

Les mots ont parfois le pouvoir des trolls et ils sont capables d'abattre les dieux, ils peuvent sauver des vies et les anéantir. Les mots sont des flèches, des balles de fusil, des oiseaux légendaires lancés à la poursuite des héros, les mots sont des poissons immémoriaux qui découvrent un secret terrifiant au fond de l'abîme, ils sont un filet assez ample pour attraper le monde et embrasser les cieux, mais parfois, ils ne sont rien, des guenilles usées, transpercées par le froid, des forteresses caduques que la mort et le malheur piétinent sans effort. 

Il ne veut vraiment pas mourir. Le désir de vivre habite les os, il coule, porté par le sang, vie, qu'es-tu donc ? Interroge-t-il en silence, à des lieues de toute réponse, ce qui n'a rien d'étrange, nous n'en détenons aucune, qui avons pourtant vécu et sommes aujourd'hui défunts, qui avons traversé la frontière que nul ne voit et qui est cependant la seule qui compte. Vie, qu'es-tu donc ? Peut-être la réponse se love-t-elle au creux de la question, de l'étonnement qu'elle recèle.

Titre français : Entre ciel et terre
Titre anglais : Heaven and Hell
Auteur : Jon Kalman Stefansson
Première édition : 2007

jeudi 14 novembre 2019

La lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson

Ce livre est une lettre à cœur ouvert adressée à Helga, la seule femme que Bjarni Gisladon de Korkustadir a vraiment aimé et pour laquelle, l'homme, à 90 ans passés, retrace sur le papier avant de mourrir toute une vie en relation avec cette femme ; c'est une lettre d'amour, la réponse tardive à une autre lettre.

Un roman épistolaire qu'on lit presque d'une traite, plein de poésie et de la richesse de cette vie d'homme qui ne trouve son sens que dans la nature et sa communauté, une ôde magnifique à l'Islande rurale, une réflexion intelligente sur l'homme et sa nature.
C'est beau, c'est riche, c'est poétique, c'est émouvant et déchirant.

À la découverte de la littérature islandaise : une magnifique introduction. ❤️

Extraits du texte :
Littérature et culture générale semblaient n'être pour elle qu'un luxe superflu qu'on devait avoir honte de s'offrir puisque le temps qu'on y passait était volé au travail. 

Croire au progrès et se l'approprier est une chose, mais c'en est une autre que de mépriser le passé. 

Les foyers d'aujourd'hui sont sacrément pauvres du point de vue de notre culture. Les objets qu'on y trouve viennent des quatre coins du monde, le plus souvent sans la moindre indication de leur lieu d'origine. Or qu'elle est la différence entre un objet fabriqué maison et un autre qui sort de l'usine ? Le premier a une âme, l'autre non. 

Y-a-t-il rien de plus terrible que d'attendre que la vie s'écoule ? 

Le pire dans la plus grande affliction, c'est qu'elle est invisible à tous sauf à celui qu'elle habite. 

Titre : la lettre à Helga
Auteur : Bergsveinn Birgisson
Première édition : 2010

lundi 11 novembre 2019

La soeur du soleil / The sun sister de Lucinda Riley

Sixième et avant dernier volet de la saga des sept soeurs qui commence presque comme les autres et se termine en annonçant le suivant...

Cette fois, nous voici partis à la découverte du destin d'Électra, la plus jeune des sœurs d'Aplièse, toutes adoptées aux quatre coins de la planète par Pa, leur père charismatique et énigmatique, dont le décès marque le point de départ de chacune des histoires. Pour ce qui est d'Électra, jeune femme sculpturale et top modèle de renommée internationale, ce décès reste un moment de confusion lié à l'abus de substances, alcool et drogues ; elle porte encore le poids de la déception qu'elle pense avoir causé à son père et beaucoup de colère qu'elle va devoir apprendre à comprendre et à contrôler.

Dans ce roman ambitieux, l'auteur nous promène dans l'univers d'Électra, l'argent qui coule à flôt, l'hyper médiatisation, l'abus des substances et les centres/ traitements pour s'en détacher. La jeune femme est à la croisée des chemins et doit réagir pour éviter de se perdre, axée sur elle-même. L'histoire de ses origines lui sera rapportée par sa grand-mère qui la retrouve et elle nous fera voyager dans le temps, entre États-Unis et Kenya, des milieux nantis new-yorkais d'avant-guerre aux luttes afro-américaines des droits civiques des années soixante, en passant par le Kenya colonial et l'évocation des tribus Masaï. Il est aussi question de ségrégation, de racisme, de drogue, de SIDA...

Alors même si l'écriture reste comme toujours très agréable et pleine de bons sentiments, à vouloir couvrir autant de sujets en même temps, je trouve que l'auteur en perd en efficacité si bien que j'ai été moins emportée par ce volet que par les précédents. Je reste toutefois fidèle à la série dont j'attends bien sûr le dénouement, rendez-vous en 2020 ! ...2021 ?

Du même auteur, voir aussi :
La soeur de la lune / The moon sister
Les sept soeurs / The seven sisters

Mise à jour 22/2/2021

Titre original : The Sun Sister
Titre français : La soeur du soleil (juin 2020)
Tome 6 de la saga de sept soeurs
Auteur : Lucinda Riley
Première édition : 2019

samedi 9 novembre 2019

Le gang des rêves de Luca di Fulvio


Malgré les précautions prises par sa mère pour la protéger, la jolie Cetta Luminata est violée dans un champ de la campagne italienne et se retrouve mère d'un petit garçon qu'elle prénomme Natale. Mais Cetta a de la volonté et pour échapper à une vie de quasi esclavage, sans issue, la jeune fille décide de s'enfuir et de tenter sa chance en Amérique en payant de sa personne le prix de la traversée.

À son arrivée à Ellis Island, le bébé est enregistré sous le nom anglicisé de "Christmas", un petit blond "au nom de nègre" auquel Cetta n'aura de cesse de donner un meilleur avenir, celui d'un "Américain". À la fois résignée, pragmatique et volontaire, Cetta se retrouve placée sous la protection de Sal qui la fait travailler chaque nuit comme prostituée dans un bordel avant de la reconduire chaque jour dans son quartier auprès de son fils.
C'est ainsi que Christmas grandit, dans la pauvreté, auprès des immigrants italiens de l'East side New Yorkais et d'une mère attentive, se rêvant caïd et chef de bande à l'adolescence.

Une nuit, il ramasse dans la rue une jeune fille ensanglantée qu'il porte jusqu'à l'hôpital, c'est Ruth : la jeune fille juive de bonne famille vient de vivre un calvaire, battue, violée et mutilée par Bill, le jardinier qui a pris la fuite... Mais pour Christmas, les yeux verts de Ruth ouvrent son cœur à un amour inconditionnel.

Ainsi commence cette fresque qui nous plonge dans la frénésie de l'Amérique des années 1920, portée par le rêve américain et le bagou irrésistible de Christmas. C'est l'époque de la prohibition, des gangsters, des quartiers grouillants où se retrouve parqués les immigrants à New York, de la radio, du cinéma qui devient parlant ...

On retrouve certains ressorts utilisés dans les enfants de Venise (ou inversement) : l'amour de deux adolescents d'origines différentes, une séparation et la promesse de se retrouver, l'éducation sentimentale. Les personnages "secondaires" sont plus truculents les uns que les autres, remarquablement travaillés par l'auteur qui a su leur donner une vraie substance : outre les deux héros, j'ai aimé la détermination et la dignité de Cetta et adoré le côté macho-bourru de son protecteur, Sal, j'ai aussi aimé le grand-père de Ruth, les copains de Christmas... On arrive à s'attacher à certains personnages plus faibles et même les  "méchants" ont du relief...
L'ensemble est super rythmé, drôle, enlevé comme un film, avec parfois des impressions de "Il était une fois en Amérique", entre tragédie et comédie.

Un "pavé" dont on tourne les pages en regrettant d'arriver à la dernière tant les personnages restent avec nous... bref, l'assurance d'une belle évasion romanesque.
❤️❤️❤️

Du même auteur, voir aussi :
Les enfants de Venise

Titre : le gang des rêves 
Auteur : Luca Di Fulvio
Première édition : 2016

mercredi 6 novembre 2019

Ma très chère grande sœur de Gong Ji-young

Bongsun était la seule et unique personne qui me prenait dans ses bras quand je me sentais triste et abandonnée. Elle était pour moi une mère, une grande sœur, en même temps qu'une amie et le premier être humain que j'ai vu en arrivant au monde. 

A priori, un roman autobiographique.
Dans ce livre, Jiang-a est écrivain et évoque ses souvenirs de Bongsu, sa "très chère grande soeur", enfant battue"généreusement" recueillie par ses parents mais dont la position au sein de la famille n'en était pas moins ambiguë et inégale, entre parent pauvre et bonne-garde d'enfant chargée de surveiller la petite dernière.

Au travers de cette histoire, sous un regard de Jiang-a petite fille, on entre dans l'intimité d'une famille et sa transformation sociale alors que ses conditions de vie s'améliorent. Une histoire d'enfance plutôt triste mais pleine d'émotion et de lucidité.

Une lecture intéressante et facile à lire.
Encore un excellent roman coréen qui nous permet, au travers de cette histoire particulière, de découvrir une époque et certains éléments sociologiques de ce pays fascinant.

Du même auteur :
Nos jours heureux

Titre : ma très chère grande soeur
Auteur : Gong Ji-young
Première édition : 1998

mardi 5 novembre 2019

Nos jours heureux de Gong Ji-Young


Comme cette pluie hivernale qui tombe uniquement dans la lueur des phares,
 il existe ici-bas tant de choses qu'on ne voit pas tellement elles sont sombres.

Issue d'une famille nantie avec laquelle elle entretient des rapports difficiles, menant une vie débridée et sans filtre, ancienne chanteuse populaire, Yujeong est une jeune femme mal dans sa peau, enfermée dans son mal vivre depuis un viol subi à l'adolescence et qui, la trentaine passée, fait une 3ème tentative de suicide.

Seule parente qu'elle respecte et qu'elle n'a pas vue depuis 10 ans, sa tante Monica, religieuse et visiteuse des prisons auprès des condamnés à morts lui impose alors de l'accompagner pour rencontrer Yunsa qui attend son exécution à la prison de Séoul.

À part l'âge et peut-être un sentiment morbide, tout semble séparer Yujeong et Yunsa mais un étrange "parler vrai" va pourtant s'établir entre ces deux êtres perdus en les transformant pour leur donner un nouveau regard sur le monde.

Un roman intense et profond, riche en émotions, des plus noires aux plus lumineuses. Il est question de souffrance, d'incompréhension, de pauvreté, de religion, de haine, d'amour, de rédemption, de pardon. L'auteur alterne habilement les chapîtres entre le récit et les pages d'un "cahier bleu" sur lesquelles Yunsa relate son histoire. Avec le "parler vrai", l'auteur nous fait "vivre" l'aspect thérapeutique de la parole comme celle de l'écriture.

Le livre est adroitement construit et aborde la question de la peine de mort avec intelligence, d'abord sous l'emprise émotionnelle et absolue des sentiments puis d'une façon plus apaisée, épurée et libérée du pathos.

La Corée du Sud est à la mode si bien que sa littérature devient beaucoup plus accessible avec nombre de romans de qualité enfin traduits en français, comme celui ci. À lire, tout simplement.

Nota : la peine de mort existe toujours en Corée du Sud qui compte 57 condamnés en attente d'exécution même si dans les faits elle n'est plus appliquée (les dernières exécutions remontent à 1997).

Extraits du texte :
Il n'y a qu'une chose qui est pire que de ne pas pouvoir sentir. 
C'est de ne pas savoir qu'on ne sent rien. 
(Charles Fred Alford, What Evils Means to us) 

Se faire traiter comme un enfant, c'est le plaisir secret des adultes. 

Il était déjà au delà de tout système établi par l'homme pour châtier d'autres hommes. Il se moquait éperdument de l'absurdité de ces systèmes qui réduisent toutes les violences ayant précédé le meurtre au seul meurtre.

Être gentil, ce n'est pas stupide. La compassion, ce n'est pas de la faiblesse.
 Pleurer pour les autres, avoir le cœur déchiré à cause des erreurs qu'on a commises, c'est peut-être du sentimentalisme, 
mais c'est quelque chose de beau, un bon sentiment.
 Être blessé après s' être donné autant, ce n'est pas quelque chose de honteux.
 (...) tu sais, savoir ce n'est rien en soi. C'est même pire que de ne pas savoir.
 S'il y a une différence entre savoir et comprendre, c'est parce que pour comprendre, il faut une certaine souffrance.

Ce n'est pas parce qu'on est habitué à être trahi qu'on ne souffre pas à chaque trahison, 
ce n'est pas parce qu'on tombe souvent qu'on se relève facilement une fois encore. 

Le sens d'un acte naît avant même que l'acte se produise. (...)
 C'est toujours l'acte qui détermine la vérité, alors que c'est plutôt la vérité qu'à l'acte qu'on devrait porter l'attention... 

Quand on a été témoin d'un meurtre, on devient partisan de la peine de mort, 
quand on a été témoin d'une exécution, on devient partisan de l'abolition de la peine de mort.

 J'ai découvert que seuls ceux qui ont reçu l'amour peuvent aimer, que seuls ceux qui ont reçu le pardon peuvent pardonner.

Titre : nos jours heureux
Auteur : Gong Ji-young
Première édition : 2005

dimanche 3 novembre 2019

Parce que je déteste la Corée de Chang Kang-myoung

C'est peut-être ridicule mais c'est ainsi : la seule raison pour laquelle les jeunes viennent en Australie, 
c'est qu'ils veulent être traités avec dignité.

Kyena est une jeune Coréenne issue des classes moyennes. Elle partage sa chambre avec ses deux soeurs dans l'appartement familial situé en périphérie de Séoul, est dîplomée d'une université de Séoul et travaille depuis quelques années déjà.
Avec ses économies, elle veut poursuivre ses études en Australie avec le projet d'y émigrer. C'est ainsi qu'elle part, pleine d'espoirs en laissant derrière elle son monde, ses amies, son petit ami avec lequel elle rompt et sa famille.

Elle nous raconte son parcours, sa vie passée et la nouvelle, l'apprentissage de la différence, les comparaisons culturelles entre son pays d'origine et l'Australie ou d'autres nationalités qu'elle vient à fréquenter.
La jeune femme a aussi l'occasion de revenir en Corée mais ses séjours ne font que conforter son besoin de partir définitivement face à une société coréenne immuable, rigide et codifiée qui ne lui convient pas et dans laquelle elle ne peut se résoudre à se fondre.

Voilà un livre qu'on dévore, très intéressant parce qu'il nous permet de percevoir tout ces poids qui entravent et pèsent sur la société sud-coréenne : des rapports sociaux convenus qui se reproduisent d'une génération à l'autre, ultra hiérarchisés, dénoncés par l'auteur au travers de ce récit, et auxquels j'ai pu être sensibilisée pendant quatre années passées dans ce pays.

Le personnage de Kyena est frais, drôle et attachant ; une personnalité qui ne supporte pas les carcans, prête à s'expatrier pour assumer ses rêves et sa liberté. Le titre est brutal mais sans doute à l'image de la dureté des attentes et des codes imposés à la jeunesse de ce pays d'Asie du nord.

Un excellent roman de la littérature coréenne, à la fois léger - parfois presque une comédie - et profond, bourré d'anecdotes, à découvrir.

Extraits du texte :
Pourquoi je suis partie ? En deux mots, c'est "parce que je déteste la Corée". 
Et en trois, c'est "parce que je ne peux pas vivre dans ce pays". 
(...) si je ne peux pas vivre dans mon pays... c'est parce qu'en Corée, je ne suis pas quelqu'un de compétitif. 
Je suis un peu comme un animal victime de la sélection naturelle. Je ne supporte pas le froid ; je suis incapable de me battre de toutes mes forces pour atteindre un but ; et je n'ai hérité ni n'hésiterai jamais d'aucun patrimoine. 
Mais tout ça ne m'empêche pas d'avoir le culot d'être salement exigeante : je veux travailler près de chez moi, 
qu'il y ait suffisamment d'infrastructures culturelles dans mon quartier, 
que mon boulot me permette de m'accomplir personnellement, etc. 

Parmi les femmes que je croisais, aucune n'était plus mince que moi. Plus de 90% des Australiennes ont une stature carrée. 
Il n'est pas rare non plus de voir des femmes obèses à un niveau qu'on ne peut même pas imaginer en Corée.
 Tu sais, jusque là, j'avais toujours eu des complexes à cause de mes fesses et de mes cuisses un peu dodues, 
or, ici, mes fesses étaient d'une taille idéale, toutes petites et mignonnes. 
Je me suis dit que je n'avais plus besoin d'essayer de les cacher avec des hauts un peu longs
 et que je pouvais même mettre des vêtements que je n'aurais jamais osé porter avant. 

J'ai pas d'avenir en Corée. Je ne suis pas sortie d'une grande université, je ne viens pas d'une famille riche,
 je ne suis pas aussi belle que Kim Tae-hui. Si je reste en Corée, je finirai ramasseuse de détritus dans le métro. 

J'ai demandé à Jae-in pourquoi il était venu vivre en Australie. 
- Parce que je ne veux pas faire mon service militaire, m'a-t-il répondu fièrement. 

Les garçons font des avances et les filles choisissent, c'est ainsi que ça fonctionne. 
Proportionnellement, le nombre de filles venues étudier ici est moindre que le nombre de garçons, 
et les filles coréennes sont très populaires auprès des garçons d'autres nationalités et des Australiens.

Pourquoi détestes-tu autant la Corée ? C'est un pays sympa, tu sais. 
Si on se rapporte au  PIB par habitant, la Corée est dans les vingt premiers, presque au même niveau qu'Israël ou que l'Italie. 
(...) Je m'en fous de connaître le classement de la Corée sur le plan du bien-être de ses habitants, 
ou du pouvoir d'achat, ou de je ne sais quoi encore. 
J'ai envie d'être heureuse, moi, et ici c'est impossible. 

 Les Coréens mettent en haut du classement les Australiens et les Occidentaux, puis viennent les Japonais et les Coréens, 
un cran en dessous les chinois, et tout en bas les habitants d'Asie du Sud. 
Mais en réalité, après les Australiens et les Occidentaux, il y a tous les asiatiques.
 Les gens d'ici ne font pas de distinction hiérarchique,
 à leurs yeux il y a seulement les Asiatiques qui parlent bien anglais et ceux qui parlent mal.

Tu connais les paroles de notre hymne national ? Qu'est ce qu'il dit ? Ce que le ciel protège, ce n'est pas moi, c'est la Corée. 
Ce qui doit vivre longtemps, ce n'est pas moi non plus, mais mon pays.
 Si j'existe, c'est seulement pour préserver mon pays le plus longtemps possible. 
Les paroles de l'hymne national australien sont très différentes,
 il commence par "Australiens, réjouissons-nous car nous sommes jeunes et libres '", 
continue avec "Sous notre rayonnante Croix du Sud, nous peinerons des cœurs et des mains", 
et se termine avec "Nous avons des plaines sans limite à partager". 
Rien à voir avec l' hymne coréen !

Titre : Parce que je déteste la Corée 
Auteur : Chang Kang-myoung
Première édition : 2015

samedi 2 novembre 2019

Zulu de Caryl Ferey

Afrique du Sud.
Début des années 2000.

À Cape Town, le corps d'une jeune femme, méconnaissable, est retrouvé dans le jardin botanique de Kirstenbosch et c'est Ali Neumann, le chef de la police criminelle d'origine Zulu qui est en charge de l'enquête. La victime est vraisemblablement la fille d'un ancien champion du monde de rugby et les investigations particulièrement sensibles alors que l'Afrique du Sud post-apartheid se prépare à accueillir la coupe du monde de football.

Avec sa touche personnelle si particulière, Caryl Férey nous emmène avec ce nouveau thriller ébouriffant à la découverte de l'Afrique du Sud en nous offrant un panorama complet couvrant son histoire et sa sociologie, ses ethnies, ses townships ; le pays à beau être passé dans le camp des démocraties, les fantômes du passés et les clivages sociaux et raciaux restent présents et la violence est partout, alimentée par la drogue, gangrenée par le sida.

Peut-être pas le meilleur des Caryl Férey à mon goût mais l'auteur possède un don véritable et rare, celui de construire des intrigues prenantes et rythmées auxquelles il mèle subtilement les données historico-socio-culturelle du pays ainsi placé au cœur du scénario si bien que chacun de ses romans est une invitation au voyage et une plongée dans la réalité d'un pays, loin des clichés touristiques.
Des romans noirs, ultra violents mais ultra documentés et au final, ultra-instructifs... On ressort plus intelligent à chaque fois, je suis devenue une inconditionnelle !

Du même auteur, voir aussi :
Saga maorie (Haka et Utu) [Nouvelle-Zélande]
Condor [Chili]
Mapuche [Argentine]

Titre : Zulu
Auteur : Caryl Ferey
Première: 2008

vendredi 1 novembre 2019

Chili 1970-1973 de Franck Gaudichaud

Reprenant les éléments d'une thèse universitaire, ce livre, Chili 1970-1973 / Mille jours qui ébranlèrent le monde, est consacré à l'étude socio-politique de l'expérience des Unités Populaires (UP) pendant les trois années qui ont précédé le coup d'état militaire du 11 septembre 1973 au Chili.

La lecture de la synthèse de ce travail de recherche est ardue ; elle permet de replonger dans le contexte d'une époque et d'essayer de comprendre des événements historiques qui ont secoué et transformé durablement ce pays d'Amérique latine.
Une étude basée sur des documents d'époque, d'autres publications universitaires mais aussi sur une large série d'interviews réalisées et analysées par l'auteur plus de trente ans après les événements afin d'apporter des éléments du vécu, de l'intérieur, donnant voix à ceux "d'en bas".

Vraiment pas un ouvrage de vulgarisation, la lecture est difficile et le sujet si complexe qu'il n'intéressera que des passionnés et initiés souhaitant véritablement s'y plonger de manière analytique et détaillée.

Dans ma série le "Chili dans les livres", un livre certainement "trop" poussé pour l'accompagnement d'un simple voyage touristique.

Titre : Chili 1970-1973, mille jours qui ébranlèrent le monde
Auteur : Franck Gaudichaud
Premiere edition : 2013