mercredi 2 septembre 2020

Les cinq quartiers de la lune de Gilbert Sinoué

 
Si on vous explique le Moyen-Orient et que vous avez compris, ne vous réjouissez pas. 
On vous l'aura mal expliqué.
 
Après les attentats du 11 septembre 2001, l'Amérique part en guerre contre "l'axe du mal" et envahit l'Iraq, balayant au passage l'équilibre géopolitique du Moyen-Orient et de façon plus concrète, le quotidien des populations locales. Au travers du destin de deux hommes et de trois femmes en Iraq, à Gaza et Israël, en Egypte, au Liban et en France, ce troisième tome de la grande saga moyen-orientale  "inch'Allah" de Gilbert Sinoué nous plonge dans le chaos résultant d'un conflit qui a ouvert une véritable boite de Pandore et dont les conséquences continuent de se répercuter aujourd'hui : attentats, exode, espoir et désespoir, peur colère, extrêmisme...

J'avais beaucoup aimé les deux premiers volumes d'Inch'Allah- Le souffle du jasmin et Le cri des pierres - et me suis plongée sans hésiter dans ce nouvel opus, les cinq quartiers de la lune, que j'ai lu presque d'une traite. Cette grande saga romanesque extrêmement bien documentée est très riche sur le plan historique et surtout, racontée "de l'intérieur" avec un point de vue moyen-oriental.
Chaque volume peut se lire indépendemment ; j'ai le souvenir d'une trame familiale plus dense dans les deux premiers volets et ce troisième tome, aussi intéressant qu'il soit, m'a semblé peut-être un peu plus décousu et moins abouti que les précédents, sans doute parce que le recul est moindre, la proximité des éléments romancés toujours sous le coup d'une actualité changeante et inachevée.

Au final, cette trilogie est ambitieuse, riche de l'histoire contemporaine du Moyen-Orient et bien écrite : une lecture plaisante qui donne un éclairage différent, plus humain et plus complexe que celui qui peut être véhiculé par l'ignorance ou une vision parfois trop simpliste et clivante de la situation des pays du Moyen-Orient. Bref, un bon roman d'un auteur d'origine égyptienne vivant en France, qui est devenu, au fil de mes lectures, une valeur sûre. 

Extraits du texte :
 Tant que les arabes ne placeront pas l'homme et non Dieu au centre de la société, la chute ne fera que s'accélérer. 
Les nations évoluées n'ont pas besoin de croyants, mais de citoyens.

Dans cette région du monde (...) nous sommes trois peuples qui n'ont jamais repoussé la main d'un chrétien : nous les Kurdes, les Tchétchènes et les Circasiens. Parce que nous le savons, chacun donne à Dieu un nom dans sa langue. Puisque nous croyons tous à Dieu, nous ne pouvons être ennemis.(...) Ils ont tous tenté de nous asservir, notamment les Turcs et les Russes, et ils n'y sont jamais parvenus. Mais il n'y a pas que ces gens'là, qui ont essayé de nous éradiquer. En 1925, lorsque les Britanniques occupaient la région, M.Churchill a donné l'ordre à son aviation de balancer un gaz, dont j'ai oublié le nom, sur l'une de nos villes, celle de Souleimaniye. Les deux tiers de la population ont été touchés !

Ce qui se passe aujourd'hui n'est pas seulement la réaction de patriotes ou de partisans de Saddam contre les Américains. Ton pays est désormais le champ de bataille de deux parties de l'islam farouchement ennemis depuis des siècles, les sunnites et les chiites. Et la religion n'y est pour rien ou presque : les chiites sont soutenus par l'Iran ; les sunnites par l'Arabie saoudite. Tu n'as pas idée des masses d'argent que ces deux Etats déversent sur le pays pour armer les partisans.(...)
Cette guerre durera l'éternité. Elle durera tant qu'il y aura des sunnites et des chiites pour la livrer et des banquiers saoudiens et qataris pour la financer. Et nous, les Kurdes, serons pris entre deux feux.
 
Il lui revint tout à coup un poème d'un écrivain libanais, Khalil Gibran : "Vos enfants ne vous appartiennent pas. Ce sont les fils et les filles du désir de Vie. Ils arrivent à travers vous, mais non de vous." (...) Un autre passage du poète libanais remonta (...) : "Vous êtes des arcs qui projettent vos enfants comme des flèches vivantes".

Nous sommes presque tous des Kurdes. Notre religion remonte en grande partie à celle des anciens Perses, mais elle est probablement plus ancienne encore. Nous pensons que c'est bien Dieu qui a créé le monde, mais qu'il ne s'en occupe pas. Il en a laissé la gestion à sept anges dont le chef est Malek Taous, qui est représenté par un paon. Il y a très longtemps, des juifs son venus dans la région et ils ont préché leur religion. Comme elle n'était pas très différente de celle qu'ils pratiquaient déjà, les Yézidis l'ont adoptée et ils ont même accepté des rites juifs, comme la circoncision. C'est depuis lors qu'ils sont tous circoncis, comme d'ailleurs tous les hommes Kurdes. Mais ils ont conservé l'idée que c'est Malek Taous et ses anges qui gouvernent le monde. Quand les missionnaires chrétiens sont arrivés ici, vers les IVème siècle, ils nous ont sermonnés et affirmé que, puisqu'il gouvernait le monde, ce Talek Taous ne pouvait être que l'esprit du Mal et que c'était donc Satan. 
C'est ainsi qu'on nous a collé l'étiquette "d'adorateurs du diable". 
 
Du même auteur, voit aussi :
 
Titre : Les cinq quartiers de la lune
3ème volume de la saga Inch'Allah
Auteur : Gilbert Sinoué
Première édition : 2016

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