C'est dans le souvenir que se trouve le plus beau refuge.
L'amitié de Pietro et de Bruno nait à Grana, dans les montagnes italiennes du val d'Aoste, lorsqu'ils ont onze ans. Le premier est un garçon de la ville qui passe tous ses étés dans ce coin perdu avec ses parents, il est celui qui vient et qui part. Le second est le dernier des enfants de ce village oublié plus ou moins à l'abandon, un enfant de la montagne, celui qui reste.
Chaque année, ils se retrouvent, courent, explorent la montagne, ses forêts, ses torrents, ses alpages, ses galeries de mines abandonnées, un espace infini de découverte et de liberté. Et puis, comme un rituel, le père de Pietro les emmène chaque été sur un glacier ; c'est un grand marcheur, taiseux, toujours en quête de nouveaux sentiers et de sommets, qui a besoin de se ressourcer dans ces montagnes après ses mois passés à l'usine milanaise qui l'emploie.
Sa mère aussi aime cette période estivale même si elle préfère le niveau de la forêt aux sommets ; elle est assistante sociale et se bat toujours pour le bien des autres, notamment pour l'éducation de Bruno qu'elle a pris sous son aile.
Peut-être ma mère avait-elle raison, chacun en montagne a une
altitude de prédilection,
un paysage qui lui ressemble et dans lequel il
se sent bien.
Une fois étudiant, Pietro s'affranchit de sa famille, de son père surtout car il reste proche de sa mère avec laquelle il correspond très régulièrement.
C'était ma mère qui nous donnait des nouvelles l'un de l'autre,
habituée qu'elle était à vivre parmi les hommes qui ne se parlaient pas.
Le temps passe et ce n'est finalement que vingt ans plus tard, après la mort de son père que Pietro revient à Grana où il retrouve Bruno et reçoit en héritage un refuge abandonné, isolé sur les hauteurs, au bord d'un lac ...
Organisé en trois parties - Montagne d'enfance, La maison de la réconciliation, L'hiver d'un ami - ce roman iniatique emporte le lecteur au coeur de la montagne dont l'auteur, déploie toute la richesse, la diversité, la beauté mais aussi sa rudesse parfois implacable ou imprévisible : la forêt et les alpages, verdoyants l'été, couverts de neige l'hiver, les torrents, les sources et les lacs aux couleurs changeantes, l'univers minéral des roches et des glaciers, les animaux sauvages... Si Grana est un village imaginaire, la région alpine du Mont Rose ne l'est pas et constitue l'élément central autour duquel gravitent les personnages.
Ce roman initiatique et de filiation nous livre une histoire presque sans histoire ... mais tellement belle et tout simplement bouleversante !
Un texte rare, magnifiquement évocateur, plein de ses montagnes, plein du fossé père-fils, plein de cette amitié indissoluble, jouant avec nos émotions, des joies et de l'innocence de l'enfance à une tristesse infinie, une douleur indicible. ♥♥♥
De mon père j'avais appris, longtemps après avoir arrêté de la suivre
sur les sentiers, que dans certaines vies il existe des montagnes
auxquelles il est impossible de retourner. Que dans les vies comme la
mienne ou la sienne, il est impossible de retourner à la montagne qui
est au centre de toutes les autres, et au début de l'histoire de chacun.
Et qu'il ne reste qu'à errer sur les huit montagnes à celui qui, comme
nous, sur la première et la plus haute, a perdu un ami.
Tirés du texte :
Si l'endroit où tu te baignes dans un fleuve correspond au présent, pensai-je, dans ce cas l'eau qui t'a dépassé, qui continue plus bas et va là où il n'y a plus rien pour toi, c'est le passé. L'avenir, c'est l'eau qui vient d'en haut, avec son lot de dangers et de découvertes. Le passé est en aval, l'avenir en amont. Voilà ce que j'aurais dû répondre à mon père. Quel que soit notre destin, il habite les montagnes au-dessus de nos têtes.
Ce qui est beau avec les lacs alpins, c'est qu'on ne s'attend jamais à les trouver si on ne sait pas qu'ils sont là, on le les voit pas tant que l'on n'a pas fait le dernier pas, on dépasse la berge et là, sous les yeux, c'est un paysage nouveau qui s'ouvre.
J'avais déjà intégré ce que mon père n'avait jamais voulu accepter, à savoir que nul ne peut faire comprendre les sensations éprouvées là-haut à celui qui n'est pas sorti de chez lui.
L'avenir m'éloignait de cette montagne d'enfance, c'était triste, et beau, et inévitable.
J'avais appris à poser les questions des adultes, en demandant une chose pour en savoir une autre.
Je commençais à comprendre ce qui arrive à quelqu'un qui s'en va : les autres continuent de vivre sans lui.
Si je vais vivre dans les bois, personne ne me dira rien. Si une femme le fait, on la traitera de sorcière. Si je me taisais, quel problème ça ferait ? Je ne serais qu'un homme qui ne parle pas. Une femme qui ne parle plus est forcément à moitié folle.
C'est bien un mot de la ville, ça, la nature. Vous en avez une idée si abstraite que même son nom l'est. Nous, ici, on parle de bois, de torrrent, de roche. Autant de choses qu'on peut montrer du doigt, qu'on peut utiliser. Les choses qu'on ne peut pas utiliser, nous, on ne s'embête pas à leur chercher un nom, parce qu'elles ne servent à rien.
Il faut faire ce que la vie t'a appris à faire. Si t'es très jeune, à la rigueur, tu peux peut-être encore changer de route. Mais à un moment donné, il faut arrêter de se dire : bon, ça je suis capable de le faire, ça pas. Et je me suis deandé : de quoi je suis capable, moi ? Moi, je sais vivre en montagne. QU'on me mette là-haut tout seul, et tu verras que je m'en sors. C'est pas rien quand même, non ? Eh bien il m'a fallu attendre quarante ans avant de comprendre que ça n'était pas donné à tout le monde.
Titre : Les huit montagnes
Auteur : Paolo Cognetti
Première édition : 2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire