Somalie / fin des années 1980
Dans le stade d'Hargeisa, 2ème ville du pays, la population est rassemblée pour une manifestation orchestrée dans une grande mise en scène afin d'acclamer les généraux du régime en place. Dans la foule, trois personnages :
D'abord, Deqo, une fillette de 9 ans, une petite réfugiée orpheline qui fait partie d'un groupe sorti d'un camp et amené au stade pour chanter et danser pendant la parade. Une performance avec une promesse à la clé, celle d'une toute première paire de chaussures. Mais à la suite d'un incident, la gamine va finalement s'enfuir et se retrouve à vagabonder et à devoir survivre seule dans les rues de la ville. Une enfant en mal d'affection, pleine de ressources et de bon sens mais aussi une proie facile et bien vulnérable.
Dans les tribunes ensuite, la fière Kawsar, une veuve qui a perdu sa fille unique. Pour être intervenue au cours de l'incident au stade, elle est emprisonnée au poste de police où elle est victime d'un violent passage à tabac qui la laisse grabataire, entièrement dépendante d'une amie fidèle et d'une servante. Coincée sur son lit, dans sa petite maison bleue entourée du jardin qu'elle avait jusque là amoureusement entretenu, elle va assister impuissante à la détérioration de la situation ambiante et à l'abandon de tous.
Filsan enfin, militaire ambitieuse, appartenant aux troupes qui s'occupent du bon déroulement des cérémonies. Elle est originaire de Mogadiscio, la capitale, où elle a été élevée d'une main de fer par un père aigri après son divorce, lui aussi militaire. La trentaine passée, célibataire, terriblement seule, elle souhaite faire ses preuves mais l'idéalisme qu'elle a placé dans la révolution va être mis à l'épreuve face aux réalités des violences et des mensonges de la répression contre la rébellion dans le nord.
Alors que le pays sombre dans le chaos, le destin va irrémédiablement lier les trois femmes.
En cette fin des années 1980, c'est un vent de folie qui balaye le nord d'une Somalie dont le régime est à bout de souffle, tenant à coup de mise-en-scène et de démonstrations de force, gangrené par la corruption et les brutalités. Dans ce théâtre, ce sont trois points de vue, trois visions, trois milieux, trois générations qui nous sont donnés de la situation ; trois âmes perdues qui n'ont pas été épargnées par la vie mais qui pourtant portent en elles, envers et contre tout, beauté, rêves, besoin d'amour et d'espoir.
J'ai beaucoup aimé la trame de ce roman, la force de résilience de ces trois femmes emportées par les événements, la petite flamme d'espoir qu'elles arrivent malgré tout à faire persister au fond des ténèbres. J'ai été transportée vers la Somalie, magnifiquement croquée sous la plume de Nadifa Mohamed, avec l'évocation de la vie et des ambiances d'Hargeisa ainsi que celle des paysages de cette région soumise à la chaleur et au froid, aux pluies saisonnières, aux vents.
Rude et triste mais un bon moment de lecture avec la découverte d'un pays sur un continent que je connais peu, une mise en perspective historique et une auteur à suivre dont je poursuivrai volontier la découverte.
Note sur l'auteur : Nadifa Mohamed, est née en 1981 à Hargeisa en Somalie. Elle est arrivée en Angleterre en 1986 où elle est restée avec sa famille quand leur pays s'est enlisé dans la guerre. Elle compte déjà cinq romans à son actif, multi-primés. Le verger des âmes perdues est, à ce jour, son seul roman traduit en français.
Extraits du texte :
Even in her uniform they see nothing more than breasts and a hole. He knows who her father is but still parades her like a protitute.
She has become one with the bed; from two-legged creature she has grown four metal feet, the mattress moulded to her flesh, its springs entwined with her ribs. Trapped within a skin within a bed within a house, only her two peeping eyes feel mobile, alive; they flutter about the room , settling hesitantly on her dusty possessions, the mysterious bundles and packages that litter the nests of old women.
She certainly appeared to have been diminished in some respect that day, while the other girls recovered from their circumcisions stronger than before. Whichever bitter old sorceress devised this practice back in pagan times must have convinced the others that this was the way to winnow the strong from tbe weak; that girls who could not survive this were not worth the milk it took to raise them. If a few managed to hobble along, neither dead nor properly alive, well, they could be suffered as long as they didn't get the way This philosophy had given generations of women - kept like Russian dolls one within the other- the same hardness, the same ability to not look back to whoever was left behind until eventually it was them who dallied at the rear.
She doesn't want food that prolongs her life; she only wants to sustain her soul while it remains in her body.
From desperate drought to desperate flood, it seems as if Somalia can only expect disaster.
It was the first time the young country had needed to beg the former colonial rulers, and since then the government hasn't stop asking; from floods to famines to tractors and x-rays machines, prayer mats turned to the west and knees bent in supplication.
Ever since the Italians and British had gone, the country had seemed besieged ny difficulties, whether natural or political. The Europeans must have left a bone-deep curse as they were departing, raising long-dead jinns like Oodweyne in their wake to turn everything to sand and waste.
"If you know it, teach it, if you don't know it learn it" had been the slogan, all the schools, colleges, universities emptied of students and professors for seven months so they could be sent to fight against illiteracy in every town, village and encampment.
Follow orders. Follow orders. Follow orders. That is the code they have been brought up under and it endures until the burden of guilt cracks the spine. Her father would probably explain their actions as the necessities of war, but to her they seem like the cannibals of old tales : totally ordinary yet irrevocably depraved.
As rainstorms come quick and heavy before leaving a clear sky, so do tears.
Titre français : Le verger des âmes perdues
Titre anglais : The Orchard of lost Souls
Auteur : Nadifa Mohamed
Première édition : 2013
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