samedi 20 novembre 2021

Afterlives de Abdulrazak Gurnah

Début du XXè siècle / épilogue au début des années 1960, après l'indépendance. 
Une ville portuaire d'Afrique de l'Est et son arrière-pays ; colonie sous domination allemande puis sous mandat anglais.
 
Il y a d'abord Khalifa, issu d'une famille pauvre, de père indien originaire du Gujarati et de mère africaine. Il travaille comme comptable pour Amur Biashara un commerçant indien qui ne s'encombre pas de scrupules ; celui-ci lui fait d'ailleurs épouser sa nièce Asha après l'avoir déposédée.
 
Il y a ensuite Ilyas qui arrive en ville avec une lettre d'introduction auprès d'un marchand allemand. Il a été enlevé par les schutztruppe (troupes coloniales) quand il était enfant puis éduqué dans une mission allemande. Il devient ami avec Khalifa. Sous son impulsion, il retrouve sa sœur Afiya abandonnée petite dans une famille qui l'exploite, il la fait venir en ville et l'éduque puis l'abandonne de nouveau lorsqu'il s'engage dans l'armée allemande où va son allégeance lorsque la guerre éclate.
En attendant le retour d'Ilyas qui disparaît sans donner de nouvelles, Afiya est recueillie par Khalifa et Asha chez qui elle grandit. 

Enfin, il y a Hamza. Jeune recrue de l'armée allemande. Il dégage une aura particulière et s'attire les faveurs de l'officier du régiment qui le prend sous son aile et noue avec lui une relation un peu étrange lui permettant d'apprendre à parler et à lire l'allemand. Nous voilà plongés dans le quotidien des redoutables schutztruppe et de ses féroces askari, un régiment qui va combattre dans une guerre épouvantable entre puissances impériales qui déportent et reproduisent en Afrique le conflit qui fait rage en Europe (première guerre mondiale) . Dans un acte de vengeance, Hamza sera grièvement blessé, recueilli et soigné par des missionnaires avant de rejoindre la ville portuaire où son destin va croiser celui de Khalifa, Asha et Afiya.
 
Un des ouvrages les plus récents du prix Nobel de littérature 2021. Né à Zanzibar (Tanzanie) mais vivant aujourd'hui en Angleterre où il enseigne la littérature, Abdulrazak Gurnah nous fait découvrir le quotidien des habitants d'une Afrique de l'Est à l'époque coloniale. 
Une histoire en forme de boucle, de la disparition de Ilyas que tout le monde attend jusqu'au dénouement permettant de connaître son sort en fin de livre.
 
Ce roman change par rapport au discours de la littérature occidentale parce qu'il n'adopte pas le regard des puissances dominantes écrivant l'histoire (Allemagne puis Royaume Unis) mais celui de la population locale auprès de laquelle les blancs ne sont que des seconds rôles. Il ne s'agit pas d'un roman anti-colonial pour autant, la question n'est pas vraiment là, mais il oriente les projecteurs sur les individu constituant la trame de la société, en leur donnant forme et humanité, avec leurs imperfections, leurs habitudes, dans leur quotidien. C'est donc la vie qui continue, plus ou moins immuable et indifférente, dans un brassage d'ethnies, de croyances, de cultures, montrant un peuple aux multiples facettes avec sa propre histoire, qui cohabite pacifiquement en marge des affaires coloniales. Et puis il y a toutes ces guerres au service desquelles beaucoup d"indigènes" sont entraînés : les guerres de pacification pour le contrôle des territoires, contre les tribus qui résistent et les guerres entre puissances coloniales elles-mêmes. Les forces vives constituent le gros des troupes, organisées selon un système hiérarchique très efficace, qui ne donne pas le même prestige ou les mêmes privilèges selon l'affectation, entre soldats et porteurs notamment, autant de moyens pour assurer allégeance et contrôle... Mais au final, de la chair à canon dont la vie n'a pas la même valeur que celle des européens qui les contrôlent. 
 
Je me suis attachée à cette galerie de personnages plus ou moins fatalistes et résilients, entrouvrant avec simplicité la porte de leur quotidien dans cette cité portuaire grouillante d'activité et de vie. La fin arrive un peu comme une verrue, courte et sans trop de détails ; une petite frustration qui pourtant illustre bien le peu de cas apporté par les puissances coloniales aux colonisés.  
J'ai aimé toutes ces voix qui me donnent envie de poursuivre la découverte de cet auteur comptant une dizaine de romans à son actif - trois seulement traduits de l'anglais en français (mais on peut sans doute espérer d'autres traductions à l'avenir du fait de son prix Nobel).

Tirés du texte :
That was how that part of the world was at the time. Every bit of it belonged to Europeans, at least on a map: British East Africa, Deutsch-Ostafrica. Africa Oriental Portuguese, Congo Belge.
 
They did not know that they were to spend years figthing across swamps and mountains and forests and grasslands, in heavy rain and drought, slaughtering and being slaughtered by armies of people they knew nothing about : Punjabis and Sikhs, Fantis and Akans and Hausas and Yorubas, Kongo and Luba, all mercenaries who fought the European's war for them, the German's shutztruppe, the British with their King's African Rifles and the Royal West African Frontier Force and their Indian troops, the Belgian with their Force Publique. 

The askari left the land devastated, its people starving and dying in the hundreds of thousands, while they struggled on in their blind and murderous embrace of a cause whose origins they did not know and whose ambition were vain and ultimately intended for their domination. (...) Later these events would be turned into stories of absurd and nonchalant heroics, a sideshow to the great tragedies in Europe, but for those who lived through it, this was a time when their land was soaked in blood and littered with corpses.
 
The German civilians were treated with the courtesies befitting citizens of an enlightened combattant nation and were taken away to Rhodesia or British East Africa or Blantyre in Nyasaland where they could be interned by other Europeans until the end of hostilities. It would not do to have Europeans watched over and restrained by unsupervised Africans. The local Africans, who were neither citizens nor members of a nation nor enlightened, and who were in the path of the belligerents, were ignored or robbed and, when necessity required, forcibly recruited into the carrier corps.

We lied and killed for this empire and then called it our Zivilsierungmission

Some of the stories in the Standard provided compelling discussion material for the three sages, especially the heated exchanges between settlers who wanted to remove all Africans from Kenya and make it what they called A White Man's Country, and those who wanted to remove all Indians and only allow in Europeans but keep the Africans as labourers and servants, with a sprinkling of some savage pastoralists in a reserve for spectacle. The propositions and their defenders sounded so strange that it was as if the settlers were living on the moon

Titre anglais : Afterlives
Pas (encore) de traduction française
Auteur : Abdulrazak Gurnah
Première édition :

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