vendredi 26 juin 2020

Dans le grand cercle du monde / The Orenda de Joseph Boyden

Ce conte est en apparence l'histoire de notre passé.

Au Canada au 17ème siècle, les nations européennes ont pris pied dans le "Nouveau Monde" alors que les Hurons et les Iroquois se livrent une guerre sans merci dont l'issue sera fortement influencée par les nouveaux arrivants qui changent le rapport de forces avec les maladies et les armes apportées dans leur sillage.
Trois personnages nous font découvrir la société huronne et ses transformations irrémédiables alors qu'évolue la vision qu'ils ont des uns et des autres : Oiseau, le guerrier Huron, formidable chef de guerre, Chute-de-neige sa fille adoptive enlevée aux Iroquois après le massacre de sa famille et Christophe Corbeau, jésuite français chargé de l'évangélisation des indigènes dont il apprend la langue et partage le quotidien. Profondément humains et pleins d'interrogations, les trois narrateurs sont entourés d'une foultitudes de figures secondaires plus attachantes les unes que les autres dont Renard, l'ami indéfectible d'Oiseau ou Petite Oie, la guérisseuse dont les croyances traditionnelles se confrontent à celles prêchées par le Corbeau. 

Au fil des pages, modes de vie, aspirations, moeurs, croyances, traditions et autres éléments constituant la trâme d'une société puissante prennent véritablement vie autour du "village" d'Oiseau abritant plusieurs milliers d'âmes. Une vie semi-nomade, rythmée par les saisons, la culture des trois soeurs - maïs, courge, haricot - le respect de la nature et de ses esprits (l'orenda) sans pour autant être exempte d'une violence inouïe, notamment dans ses rapports avec l'ennemi.
Formidables commerçants, les Hurons étaient amis des français avec lesquels ils traitaient lors d'expéditions estivales qui les obligeaient à traverser des territoires ennemis et qui les ont amené à accepter la présence de missionaires dans leurs rangs ...

Le texte de cette fresque épique est riche et magnifiquement évocateur, dénué d'angélisme ou d'idéalisation, respectueux des points de vues et des réalités historiques sans chercher à faire peser la "faute" de la disparition d'une société aussi importante que la confédération Wendat (les Hurons) sur les uns ou les autres ;  une chute pourtant inéluctable pliant sous la fatalité historique ...

Joseph Boyden que j'avais déjà découvert dans Le chemin des âmes / Three Days Road, m'a une nouvelle fois passionnée avec ce récit et ces personnages portés par un souffle romanesque qui m'ont transportée en d'autres lieux et d'autres temps pour en rendre toute les dimensions humaines, sociétales et historiques.
Un roman comme je les aime ♥.

Tirés du texte :
Bien qu'on puisse traverser l'Huronie en quelques jours, j'ai appris que cinq nations différentes et néanmoins unies, chacune ayant son propre nom, peuple ce territoire fertile. Celle chez qui je suis s'appelle Our et les autres, Rocher, Corde, Marais et Cerf. Leurs ennemis jurés, les iroquois, sont également divisés en cinq nations, mais il semble que dans leur langue, les hurons leur attribuent collectivement le nom de Haudenosanees.  
Les Hurons, comme Champlain l'a dûment consigné (...) sont les marchands les plus influents au sein de cette vaste contrée, et ils veillent sur leurs affaires avec un oeil de banquier. (...) Ils constituent réellement la clé de l'économie de ce Nouveau Monde. 

(...) le nom de Hurons - ceux qui ont une hure - en raison de la tête des hommes hérissée comme celle de cochons sauvages.

Il m'expliquait que pour arriver à maîtriser leur langue, il fallait d'abord que je comprenne le monde naturel autour de moi. 
Les hurons (...) ne vivent pas au-dessus du monde naturel mais en tant qu'élément de celui-ci. 
Posséder la clé de la langue, c'est établir le lien entre l'homme et la nature. 

En matière d'esprit, ces sauvages croient qu'il existe en nous tous une force vitale similaire, pourrait-on dire, 
à ce que nous, catholiques, croyons être l'âme. 
Cette force vitale, ils l'appellent l'orenda. C'est le côté fascinant. 
Le côté épouvantable, c'est que ces pauvres créatures égarées croient que non seulement les êtres humains, 
mais aussi les animaux, les arbres, les étendues d'eau et jusqu'aux pierres possèdent une orenda. 
En réalité, pour eux la moindre chose dans leur monde contient son propre esprit, sa propre force vitale. 

Les épidémies ont commencé à affecter ces gens-là au cours des dernières années. 
Il ne peut s'agir que d'un signe de Dieu, un message divin. 
Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour savoir que d'importants changements s'annoncent 
et que les faibles et les dépravés souffriront. Mais les convertis survivront. 

On en apprend beaucoup en observant la manière dont les gens s'acquittent d'une tâche qui leur déplaît. 
C'est indispensable pour connaître leur caractère. 

Renard appelle les nouveaux des bois-charbons. "ils sont tellement lourds et tellement bêtes", dit-il en regardant deux d'entre eux essayer sans conviction de ramer dans le canoë qui les a accueillis. Avec leurs robes noires toutes neuves, si noires qu'elles absorbent la lumière de cette fin d'été, je trouve parfait le surnom que Renard leur a donné. Pourtant, je continuerai à les appeler des Corbeaux en raison de la façon dont ils sautillent et becquettent les choses mortes ou agonisantes. 
  
Les humains sont les seuls dans ce monde à avoir besoin de tout ce qu'il contient (...). 
Or ce monde ne contient rien qui ait besoin de nous pour survivre. 
Nous ne sommes pas les maîtres de la terre. Nous en sommes les serviteurs.  

Du même auteur :
Le chemin des âmes / Three Days Road

Titre original : The Orenda
Titre français : Dans le grand cercle du monde
Auteur : Joseph Boyden
Première édition : 2013

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