Dans cette autobiographie romancée, Isabelle Carré se livre et raconte sa drôle de famille, son enfance et le décalage persistant entre son être et son paraître, ses difficultés à vivre parfois mais aussi le chemin du salut par le cinéma et la scène.
Des souvenirs apparemment livrés avec honnêteté et sans faux-semblant, un peu comme ils viennent en suivant une trame plus ou moins chronologique égrenée de retours en arrière et de digressions faites de réminiscences ou de suppositions, complétées d'extraits de journaux tenus depuis l'enfance.
Cette chronique familiale et personnelle débute à la fin des années 1960 avec un couple parental singulier, même dans le contexte libertaire post-soixante-huitard : une mère fragile, désavouée par sa famille aristocrate "fin de race" pour une grossesse hors mariage et un père qui l'épouse et fait sien celui qui sera le grand frère de l'auteur. Un papa désigner, créatif tourmenté par son identité sexuelle, totalement déphasé par rapport à sa famille prolétaire modeste. Les enfants font le grand écart lorsqu'ils sont accueilllis par ces familles aux milieux sociaux si diamétralement opposées, une fratrie de trois enfants, Isabelle au milieu avec un grand et un petit frère.
Une enfance rêvée ou des rêves d'enfance au cours des années 1970 puis le parcours se trouble avec le temps et la tension grandissante entre les parents qui finissent par se séparer et divorcer lorsque le père fait son coming-out. Tentative de suicide, internement, indépendance à quinze ans seulement, la jeune femme discrète qui finit par sortir de la chrysalide offre une image lissée au monde, une façade qui cache beaucoup de sensibilité, de vulnérabilité et d'interrogations.
Un "livre-confession" qui fait voler en éclat retenue et discrétion apparentes, Isabelle Carré semble vouloir déchirer un voile qui l'étouffe et casser une image trop simpliste qui ne reflèterait pas son moi profond et sa complexité. Alors si ce roman se laisse lire, il n'en est pas moins dérangeant pour son côté "débalage-thérapeutique" qui met parfois le lecteur dans la position inconfortable de témoin-voyeur-thérapeute.
Je n'appartiens pas au club des cinéphiles avertis et connais à peine le visage de l'actrice alors j'avoue être peu sensible à l'aspect autobiographique de ce roman qui, pour moi, vaut finalement plus comme témoignage sur une époque et un itinéraire d'enfance. Il ne faut toutefois pas se leurrer, cette publication doit certainement plus à la notoriété de son auteur qu'aux qualités littéraires intrinsèques d'un ouvrage dont les afficionados doivent se régaler.
Tirés du texte :
L'enfant qui n'a pas possédé ce trésor ne le récupèrera jamais.
Il restera pour toujours démuni, lésé, comme tous ceux qui ont grandi sans tendresse,
et se sont rassurés seuls dans leur chambre, les genoux repliés dans des bras gelés.
On devrait trouver des moyens pour empêcher qu'un parfum s'épuise, demander un engagement au vendeur--certifiez-moi d'abord qu'il sera sur les rayons pour cinquante ou soixante ans, sinon retirez-le tout de suite. Faites-le pour moi et pour tous ceux qui, grâce à un flacon acheté dans une parfumerie ou un grand magasin, retrouvent l'odeur de leur mère, l'odeur d'une maison, d'une époque bénie de leur vie, d'un premier amour ou, plus précieux encore, quasi-inaccessible, l'odeur de leur enfance.
Tout se transforme quand on va au cinéma : la folie de Romy Schneider devient grandiose, le mal-être de Patrick Dewaere bouleversant, le filet de voix de Charlotte Gainsbourg touchant, la fébrilité de Nastassja Kinski sensuelle...
Quand la "petite voleuse" avoue à son voisin: "je vais au cinéma pour qu'on me rencontre....", c'est vrai, c'est de moi qu'elle parle.
C'est toujours vrai, je fais du cinéma pour qu'on me rencontre ou plutôt pour rencontrer des gens. (...)
Comme la Camille de Musset, je m'exerçais à travers d'autres vies à ne plus avoir peur de la mienne.
Comme la Camille de Musset, je m'exerçais à travers d'autres vies à ne plus avoir peur de la mienne.
Je rêve surtout de rencontrer des gens. Je n'ai jamais trouvé simple de faire connaissance, ailleurs que sur un plateau.
Mais on se quitte une fois le tournage ou la pièce terminé, et on ne se revoit jamais comme on se l'était promis...
Alors je m'offre une seconde chance, j'écris pour qu'on me rencontre.
Mais on se quitte une fois le tournage ou la pièce terminé, et on ne se revoit jamais comme on se l'était promis...
Alors je m'offre une seconde chance, j'écris pour qu'on me rencontre.
Je rêvais d'un cadre, un cadre qui me tienne et me rassure.
Mon récit manque d'unité, ne respecte aucune chronologie, et ce désordre est peut-être à l'image de nos vies,
en tout cas de la mienne, car il existe certainement des gens capables d'ordonner la leur.
en tout cas de la mienne, car il existe certainement des gens capables d'ordonner la leur.
Je n'ai questionné personne, j'ai seulement raconté ce que je savais, et le reste je l'ai inventé.
Parfois je tombais juste, souvent sans doute à côté, mais c'est ainsi que je me rapprochait d'eux, en laissant vivre en moi.
Parfois je tombais juste, souvent sans doute à côté, mais c'est ainsi que je me rapprochait d'eux, en laissant vivre en moi.
Je suis le fruit d'un malentendu, d'une lettre déchirée trop vite.
Ou plutôt la rencontre de deux malentendus, mon père ne pouvant s'avouer qu'elle sorte de vie il souhaitait déjà,
et ma mère jetant sa dernière chance au panier.
Le fruit de deux orgueil blessés, qui se sont réchauffés un moment.
et ma mère jetant sa dernière chance au panier.
Le fruit de deux orgueil blessés, qui se sont réchauffés un moment.
Titre : Les rêveurs
Auteur : Isabelle Carré
Première édition : 2018
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