lundi 1 juin 2020

Les femmes du braconnier de Claude Pujade-Renaud

Libres, les mots galopent vers leur vérité. À ras du vide.

Avec les femmes du braconnier, Claude Pujade-Renaud nous offre un roman polyphonique magnifiquement orchestré pour rendre vie à trois personnages ayant marqué la poésie anglophone de l'après la seconde guerre mondiale, un triangle amoureux maudit formé par Sylvia Prath, Ted Hughes et Assia Wevill.

Le focus porte d'abord sur le couple Sylvia-Ted, l'américaine et le britannique alors qu'Assia, la survivante juive des camps n'apparaît qu'en second plan. Le focus s'inverse dans la seconde partie du livre pour faire porter l'éclairage sur la relation Assia-Ted alors que Sylvia passe dans l'ombre sans jamais totalement disparaître.

Sylvia est une surdouée profondément tourmentée, orpheline trop tôt d'un père adoré d'origine allemande, migrant renié par sa famille pour s'être détaché de Dieu, une "écorchée" à la fois proche et éloignée de sa mère qui l'a faite internée après une tentative de suicide. Sa rencontre avec Ted est intense, animale. Ils se marrient, voyagent, créent, s'encouragent, ont une petite fille, quittent Londres pour une maison du Devon, ont un deuxième enfant, un garçon. La créativité de Sylvia se nourrie de ses grossesses, c'est une mère de famille attentive, une ménagère perfectionniste et bien organisée qui trouve toujours du temps pour l'écriture, pleine du énergie débordante mais hantée par une touche d'ombre qui l'enveloppe et la dévore à intervale régulier.

Ted est le "braconnier" avec un côté rustique et primitif, un amoureux de la nature en connexion avec la vie animale, un séducteur qui ne peut se satisfaire d'une vie monogamique à long terme. Même si le couple qu'il forme avec Sylvia fascine et devient mythique, celui-ci ne résiste pas à sa complexité sous-jacente et à la relation qui va naître avec Assia.
Lorsque le couple Assia-Ted prend le dessus, il sera bien difficile à Assia, après le suicide de Sylvia, de trouver la plénitude et de tracer sa propre voie, tourmentée par le fantôme de celle qui n'est plus là mais occupe encore le terrain et la mémoire des lieux et de ceux qu'elle a touché...

Toujours extrêmement bien documentés et étayés d'extraits des œuvres des personnages auxquels ils redonnent vie, les romans de Claude Pujade-Renaud que j'ai pu lire sont à chaque découverte des petits bijoux d'orfèvrerie, parfaitement montés, Le braconnier ne fait pas exception. La multiplicité des voix permet de varier les points de vue et de donner toute la mesure de l'humanité, de la psychologie et de la complexité de chacun des personnages. On les découvre dans leur quotidien et au travers de leurs écrits qui les dévoilent dans toute la profondeur de leur être avec leurs aspirations et leurs tourments, leurs failles, leurs liens, leur héritage ou encore le contexte de leur époque.

Un texte et une langue parfaitement maîtrisés, une lecture prenante, agréable et instructive.  Je ne connaissais pas ces poètes aux destins tragiques, la malédiction se poursuivant jusqu'à la génération suivante si bien que si le texte est essentiellement concentré aux années 1950-1960 il se poursuit jusqu'aux années 2000. Un très bon roman.

Jamais déçue par Claude Pujade-Renaud, une valeur sûre.

Du même auteur, voir aussi :
Tout dort paisiblement sauf l'amour

Titre : Les femmes du braconnier
Auteur : Claude Pujade-Renaud 
Première édition : 2010

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