2018. Joséphin enteprend un voyage vers la cours internationale de La Haye où justice doit être rendue sur le cas des Chagos.
Il porte la mémoire et le combat de sa mère, Marie.
1967. Marie-Pierre Ladouceur vit à Diego Garcia dans l'archipel des Chagos. Ces îles perdues au coeur de l'océan indien sont alors rattachées à l'île Maurice, sous administration coloniale anglaise. Depuis plusieurs générations, la population locale y mène une vie simple, employée majoritairement à la plantation de cocotiers exploitée pour la fabrication d'huile. Les rares navires d'approvisionnement apportent un peu d'animation et c'est de l'un d'eux que débarque un jour Gabriel, le nouveau secrétaire de l'administrateur colonial local. Le jeune homme originaire de Port Louis a quitté sa famille, un geste de défi contre son père autoritaire et abusif refusant de le laisser partir à Londres poursuivre ses études.
Tout les sépare et pourtant l'attirance est immédiate entre le citadin mauricien et Marie qui va lui faire découvrir sa culture et la vie sur l'île ; leur idylle va toutefois être rapidement mise à l'épreuve, par le secret que chacun porte, l'un personnel, l'autre politique alors qu'à l'heure de l'indépendance de Maurice le sort des Chagos et de ses habitants fait l'objet de tractations secrètes : les anglais veulent en garder le contrôle afin de conclure un bail au profit des Etats-Unis qui vont y installer une base militaire, un contrat stipulant qu'il s'agit d'îles "inhabitées" scellant sans aucun état d'âme le sort des chagossiens. Ceux-ci sont donc "invités à partir" par différents moyens plus ou moins persuasifs avant une déportation manu-militari pour les plus récalcitrants, en 1971, dans des conditions de raffle particulièrement traumatisantes, sans aucun espoir de retour.
Il sera alors question de déracinement, d'exil, de misère, de déclassement, d'identité, d'abandon, de révolte, de manipulations, de promesses non tenues, et d'un combat pour la justice ...
Au travers de la vie romancée de Marie-Pierre, de sa soeur Josette, de Gabriel, de Suzanne, de Joséphin, de Christian et de tant d'autres personnages plus attachants les uns que les autres, Caroline Laurent nous fait découvrir ce drame historique méconnu et soigneusement vérouillé par les autorités britanniques afin de s'en affranchir et ne jamais en subir les conséquences. Alternant entre le présent de Joséphin (chapitres courts) et le passé de Marie (chapitres longs), le romanesque et l'historiques se combinent parfaitement pour nous tenir en haleine et nous faire appréhender la réalité humaine si peu considérée au moment de la décolonisation et de l'indépendance de l'île Maurice, l'archipel des Chagos réduit à un objet de tractation sans aucune considération pour les chagossiens, simples pions sur l'échiquier d'un jeu géopolitique et mercantile qui les dépasse.
Un livre bien écrit, très documenté, passionnant quand on est avide de réalités historiques, celles des êtres, des cultures et des vies. Il permet en outre de (re)donner voix à ce "petit peuple" spolié en passe d'être absorbé dans les abysses de l'oubli, analphabète il y a cinquante ans certes, mais dont la mémoire a été transmise aux nouvelles générations auxquelles appartient l'auteur comme elle l'indique en postface.
Une version moderne et bien réelle du pot de terre contre le pot de fer. A lire sans modération, édifiant !
Tirés du texte :
Je ne pars pas en touriste. Je n'ai jamais été un touriste. C'est quoi un touriste ? Un Blanc en bermuda et en tongs qui vient oublier à Maurice qu'il gagne de l'argent ?
La justice est la méchante soeur de l'espoir. Elle vous fait croire qu'elle vous sauvera, mais de quoi vous sauvera-t-elle puisqu'elle vient toujours après le malheur. Un verdict, ça ne répare rien. Ça ne console pas. Parfois tout de même, ça purge le coeur.
Le courage est l'arme de ceux qui n'ont plus le choix. Nous sommes tous, dans nos pauvres existences, courageux à un moment ou un autre. Ne soyez pas impatients.
Sauvage. Sagouin. Nègre-bois. Voleur. Crevard. Fils de rien.
Chagossien, ça voulait dire tout ça quand j'étais enfant.
Qu'est-ce qui forge une identité ? Un nom, une profession, la couleur d'un passeport, un certain alignement des planètes ?
Ce qui nous fonde, n'est-ce pas simplement l'amour qui a présidé à notre naissance, ou bien l'inverse, l'absence de tout sentiment ?
Il n'y a pas d'autre paradis que celui dont on vous donne le regret.
De même l'enfance qui nous empêche de devenir grands vient à nous manquer le jour où elle s'éloigne.
C'est la perte, c'est la douleur qui crée l'idéal.
Tout ce qui a un nom existe. les hommes, les plantes, les pays, les légendes. Un nom, c'est toujours le bourgeon d'un destin.
Un des principaux navires portugais s'appelait le Cinco Chagas. "Cinco chagas, ça veut dire les Cinq Plaies, en référence aux cinq blessures du Christ." Les mains et les pieds cloués, le flanc droit percé par le javelot. Les Chagos portent donc le nom d'un navire et d'une souffrance.
Quand on a été forcés de partir, on a perdu tout ça. On a perdu nos biens matériels et immatériels ; on a perdu nos emplois, notre tranquilité d'esprit, notre bonheur, notre dignité, et on a perdu notre culture et notre identité.
Le métissage, c'est toujours trop ou pas assez. Il n'y a pas d'équilibre. Pas de recette, pas de dosage. Quoi que vous fassiez, vous serez pris pour celui que vous n'êtes pas.
Titre : Rivage de la colère
Auteur : Caroline Laurent
Première édition : 2021
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire