lundi 18 octobre 2021

Pachinko / Pachinko de Min Jin Lee

Au début des années 1930, la Corée fait partie de l'empire colonial japonais. Sunja vit alors sur une petite île proche de Busan avec sa mère Yangjin, veuve qui tient une modeste pension pour essayer de survivre pendant une période d'occupation économiquement difficile. Un soir, la famille accueille et sauve Isak, un jeune pasteur missionnaire à la santé fragile, originaire de Pyongyang, qui fait étape avant de rejoindre son frère au Japon pour s'occuper de la congrégation coréenne chrétienne d'Osaka. Une fois remis sur pied, Isak va sortir Sunja de la situation embarrassante dans laquelle elle se trouve - elle est enceinte et ne veut pas devenir la maîtresse entretenu de Hansu, son amant qui lui avait caché être déjà marié et père de trois filles - en lui offrant le mariage et un nom pour son enfant à naître. 
 
Au travers de l'histoire de ce couple originaire de Corée, de sa famille et de sa descendance - Noa le studieux, Solomon le pragmatique - Min Jin Lee nous offre une fresque familiale sur quatre générations, des années 1930 à nos jours, illustrant sans généralisation réductrice le destin complexe et souvent douloureux des "Zainichi*" du Japon [Zainichi : "étrangers résidents au Japon"]. Cette Américaine d'origine Coréenne qui a elle-même vécu plusieurs années d'expatriation à Tokyo, aborde avec intelligence et sensibilité la situation si particulière de cette communauté auprès de laquelle elle s'est longuement documentée.
 
Un livre riche et dense, tant sur le plan historique et sociologique que romanesque. Le contexte initial est celui d'une Corée sous l'emprise coloniale japonaise qui, une fois la guerre terminée, se retrouve "libérée" mais divisée entre un nord et un sud nécessitant un choix de rattachement arbitraire, absurde et un peu ubuesque pour les zainichi ; une histoire complexe pour les Coréens qui se sont installés au Japon où ils constituent une "sous-classe" méprisée et mal vue. Au delà du racisme lattent, cette saga familiale aborde de nombreux sujets tels que la guerre, la pauvreté, la religion, l'éducation, l'homosexualité, les yakuzas (la mafia japonaise) ou le monde des Pachinko (salles de machines à sous) offrant une voie opaque mais alternative à la pauvreté.
 
Un livre dont j'ai aimé les personnages qui veulent avancer et surmonter les difficultés envers et contre tout, pour s'en sortir par le travail et/ou l'éducation, portés par la solidarité familiale, leurs épreuves et leurs espoirs. Ils offrent une large palette de destins permettant d'éviter l'écueil d'une réduction trop simpliste de la question des Zainichi.
Une lecture agréable et instructive, je recommande.

Extraits du texte :
"Absorbe tout le savoir que tu pourras. Remplis ton cerveau de connaissances - c'est la seule forme de pouvoir que personne ne pourra jamais te reprendre." Hansu ne lui disait jamais d'étudier mais plutôt d'apprendre, et Noa se rendait compte qu'il y avait une véritable différence. L'apprentissage était un jeu, pas un travail.

La plupart des Coréens au Japon ne pouvaient pas voyager. Pour obtenir un passeport japonais, il fallait devenir un citoyen japonais - ce qui était presque impossible (...) Sinon, pour voyager, on pouvait mettre la main sur un passeport sud-coréen en passant par la Mindan, mais peu de gens voulaient être affiliés à la République de Corée depuis que le pays appauvri était dirigé par un dictateur. Les Coréens affiliés à la Corée du Nord ne pouvaient partir nul part, hormis les rares autorisés à se rendre à Pyongyang. Même si tous ceux qui y étaient retournés en souffraient, il y avait encore bien plus de Coréens au Japon dont la citoyenneté était affiliée au Nord plutôt qu'au Sud.

Tu ne peux rien y faire. Le pays ne va pas changer. Les Coréens comme moi, on ne peut pas partir. Où voudrais-tu qu'on aille ? Mais au pays, les Coréens ne changent pas non plus. A Séoul, on me traite de bâtard japonais, et au Japon, je ne suis qu'un sale Coréen parmi les autres. J'ai beau gagner une fortune et me montrer d'une gentillesse à toute épreuve, ça ne change rien. Alors qu'est-ce-que tu veux y faire ? Tous ceux qui rentrent ua Nord y crèvent de faim ou meurent de trouille.

Les Coréens nés au Japon après 1952 avaient obligation de s'inscrire au registre de leur municipalité le jour de leur quatorzième anniversaire pour la demande de permis de résidence au Japon. Tous les trois ans, Solomon devrait renouveler cette démarche, à moins qu'il ne décide de quitter le pays pour de bon.
 
Aux États-Unis, Zainichi du Sud et du Nord, ça n'existe pas. Pourquoi devrais-je m'identifier à l'une ou l'autre des Corées ? C'est absurde ! Je suis née à Seattle, et mes parents sont arrivés en Amérique à l'époque où il n'y avait qu'une seule Corée (...) Et pourquoi le Japon s'obstine-t-il à faire la distinction des deux pays pour des résidents coréens qui sont là depuis quatre générations ? Tu es né ici. Tu n'es pas un étranger ! C'est de la folie. Ton père est né ici. Pourquoi vous avez des passeports sud-coréens ? C'est n'importe quoi. 
Elle savait aussi bien que lui qu'après la division de la péninsule, les Coréens du Japon avaient chacun choisi leur camp, et que cela avait souvent eu des conséquences sur leur statut de résidents. Il était encore difficile pour un Coréen d'obtenir la citoyenneté japonaise, et nombre d'entre eux voyaient même cette démarche comme une honte - devenir citoyen de l'oppresseur de son peuple. Quand elle avait raconté à ses amis new-yorkais les bizarreries de cette anomalie historique et ce biais ethnique envahissant, ils n'imaginaient pas que les japonais si sympathiques et bien élevés parmi leur connaissances puissent la percevoir comme une délinquante paresseuse, corrompue, ou agressive - le stéréotype négatif associé aux Coréens au Japon. 
 
Le Japon refuse encore que les Coréens soient profs, policiers ou infirmières. Tu n'as même pas pu louer ton propre appartement à Tokyo et ce n'est pas faute d'argent. On est en 1989 (...) J'ai longtemps vécu aux States et en Europe ; ce que les Japonais ont fait aux Coréens et aux Chinois nés ici est révoltant. 
 
Le Pachinko est un plus gros business au Japon que l'industrie automobile. 
 
Zainichi, mot utilisé pour désigner les Coréens du Japon ayant émigré durant la période coloniale, ainsi que leur descendants. Certains Coréens au Japon ne souhaitent pas être qualifiés de Zainichi, parce que le terme signifie littéralement "étranger résidant au Japon", ce qui n'a aucun sens dans la mesure où ils y vivent depuis trois, quatre, voire cinq générations ininterrompues. Beaucoup de Coréens d'origine sont maintenant des citoyens Japonais, même si la naturalisation n'est pas une démarche facile. Une partie d'entre eux se sont aussi mariés avec des Japonais, créant une génération avec un patrimoine commun partiel. Malheureusement, il existe un long passif de discrimination sociale et institutionnelle à l'encontre de ceux dont les origines ethniques sont entièrement ou en partie coréenne. Au point que certains choisissent de ne jamais divulguer leur héritage culturel, même si leur identité ethnique peut encore être retracée sur leur papiers d'identité et sur les registres du gouvernement.
 
Titre français : Pachinko
Titre anglais : Pachinko
Auteur : Min Jin Lee
Première édition : 2017

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire