Maroc - Fin des années 1940 / début des années 1960
C'est à la fin de la seconde guerre mondiale, dans son Alsace natale où elle l'a rencontré que Mathilde épouse Amine Belhaj, officier traducteur marocain de son régiment. Une fois la guerre terminée et Amine démobilisé, la jeune française rejoint son mari au Maroc où il veut mettre en valeur une terre achetée par son père décédé trop tôt. Très vite, la jeune femme comprend que sa vie sera très différente de ce qu'elle avait connu jusque là.
"Ici, c'est comme ça."
Cette
phrase, elle l'entendrait souvent. À cet instant précis, elle comprit
qu'elle était une étrangère, une femme, une épouse, un être à la merci
des autres.
Au début, Mathilde s'installe avec la famille d'Amine au cœur de la médina de Meknès. Française éduquée, Mathilde y est traitée avec déférence par sa belle-mère Mouilala ; elle sympathise et apprend la langue avec sa jeune belle-sœur Selma encore écolière en se désespérant de sa coquetterie et de son manque d'intérêt pour les études, et cohabite sans heurt avec ses beaux-frères, l'un ténébreux, Omar, l'autre handicapé cloitré. Elle passe beaucoup de temps à arpenter les rues et à écrire des lettres remplies d'exotisme à sa sœur Irène en arrangeant la réalité et en taisant l'essentiel. Elle comprend très vite que quoi qu'elle fasse, au Maroc elle aura toujours une place à part : pour la population marocaine elle restera une étrangère et pour la communauté des colons, son mariage avec un "indigène" la disqualifie, elle est considérée avec méfiance et/ou mépris et est infréquentable.
Viendront la naissance de Aïcha et celle de Sélim et leurs années à la ferme où la famille s'installe dès la maison construite, au cœur d'une propriété isolée. Des années à compter chaque dépense pendant lesquelles Amine s'investit corps et âme dans son projet non sans quelques erreurs et déconvenues, des années difficles de doute puis d'acceptation pour Mathilde qui se résigne à sa condition de mère au foyer, aux tensions avec son mari, au poids de la solitude et de l'isolement, aux heures passées au "dispensaire" où elle prodigue des soins de base aux ouvrières en leur offrant une oreille attentive et des conseils.
Une saga familiale dont je me suis régalée, un peu déçue que l'histoire s'arrête au moment de tourner la dernière page ... jusqu'à ce que je réalise qu'il existe déjà une suite formant une série dans laquelle l'auteur raconte son histoire familiale : ce premier volume est consacré à la génération de ses grand-parents et à l'enfance de sa mère médecin. On y découvre la timide Aïcha grandissant en sauvageonne à la ferme et fréquentant l'école des sœurs où elle subit l'ostracisme lié à sa condition de métis sans que cela l'empêche d'être une élève brillante habitée d'une touche de mysticisme. On cerne les difficultés, les compromis et conciliations nécessaires pour que le couple bi-culturel formé par ses grands-parents résiste car si l'amour en est le ciment initial, l'édifice à parfois du mal à tenir entre l'alsacienne-française-catholique et le marocain-musulman-ancien soldat devenu agriculteur entrepreneur ... parfois, un geste vient ranimer et renforcer leurs liens, comme un certain Noël où Amine va voler un arbre chez sa voisine pour offrir un sapin à sa famille.
Enfin, si Mathilde refuse de suivre les informations dans la presse ou à la radio, l'actualité qui tisse l'histoire moderne du Maroc s'immisce malgré tout entre les lignes alors que le pays glisse doucement de la gestion sous mandat français vers l'indépendance avec les divisions et les violences qui l'accompagnent.
Un texte authentique sonnant juste, lu presque d'une traite, très bien écrit, un régal.
Prête à dévorer la suite !
Titre : le pays des autres
Auteur : Leïla Slimani
Première édition : 2020
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