lundi 16 mars 2020

Soudain, seuls d'Isabelle Autissier


Ludovic et Louise sont jeunes, amoureux et ont quitté leur vie parisienne douillette pour entreprendre le tour de l'Atlantique à la voile, le temps d'une année sabbatique.

Leur but, se sortir de la torpeur de bureaux parisiens qui risquaient de les engloutir dans une confortable mollesse 
et les laisser sur le bord de leur vie.

Un périple idyllique qui leur ouvre le monde...

 Chaque matin est une aventure, chaque jour différent, chaque soir les laisse repus de leurs découvertes et de leur liberté. Ce voyage n'est pas seulement de grandes vacances, ils y trouvent une exultation qui tourne en exaltation. Canaries, Antilles, Brésil, Argentine, plus ils avancent, plus le monde leur apparaît comme un magnifique terrain de jeu, complexe, étrange, émouvant et jubilatoire.

Il y a tant de bons jours et si peu de mauvais. L'indécence de leur bonheur au regard du reste du monde ne les effleure pas.

... Jusqu'au jour où, un peu trop sûrs d'eux, ils font une erreur et se retrouvent Robinson sur une île des mers australes au bout du bout du monde, loin des routes maritimes, sans moyen de communication ni ressources, avec pour unique refuge les ruines d'une ancienne station baleinière abandonnée depuis plus d'un demi-siècle : ils ont voulu faire une excursion sur une île sanctuaire sur laquelle ils n'auraient légalement pas dû aborder, ont été surpris par une tempête qui a emporté leur voilier et personne ne sait où ils sont.

 Leur seul bien, le sac à dos, paraît minuscule, posé entre eux deux. Ils en connaissent exactement l'inventaire : deux piolets, deux paires de crampons, 20 mètres de corde, trois coinceurs au cas où, deux couvertures de survie, la gourde, le briquet, une boîte d'allumettes de survie, deux polaires, l'appareil photo, trois barres de céréales et deux pommes restant de leur dîner d'hier. 
Voilà tout ce qui les relie au monde d'avant. 

 Louise aurait peut-être pu s'en rendre compte, mais ils arrivent exactement au point que l'on sait dangereux en escalade ; 
quand on en connaît assez pour tout tenter, mais pas assez pour se tirer de tous les mauvais pas.

Cette île est une prison, une prison sans autre gardien que des milliers de kilomètres d'océan.

Soudain seul, le couple va devoir faire face pour survivre avec la faim qui ronge et le désespoir qui gagne : la solidité, l'amour et la solidarité s'épuisent vite face aux épreuves et le temps, l'unité de départ ne peut qu'exploser pour laisser place à l'esprit de survie individuel. Chacun puise dans les ressources de son histoire, lui, le garçon gâté au physique d'athlète, enfant unique à l'optimisme contagieux, elle, "la petite" d'une famille de trois enfants, la "quantité négligeable" passionnée de montagne.

Ils ne sont pas seulement abandonnés sans feu ni lieu, ils sont condamnés l'un à l'autre, l'un avec l'autre, ou l'un contre l'autre. 
Quel couple résisterait à ce genre d'enfermement ? 

Ce drame fait d'eux des êtres différent. lls le sentent, ils le découvrent. 

Fini de jouer, fini le couple moderne et dynamique, il n'y a plus que deux êtres
 et la mort qui couve à petit feu devant eux. 

Liberté, sécurité, responsabilité sont les trois pointes d'un impossible triangle (...) 
Plus que la solitude, c'est l'éloignement du monde civilisé qui les dévaste.

Il y a le pendant et puis il y a l'après aussi....

[G. Orwell/1984] 
"Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé." 

Soudain, seuls est le troisième roman d'Isabelle Autissier que je dévore. Si tous ont un lien avec la mer, c'est avant tout les personnages qui restent au cœur de chaque histoire, cette fois un couple confronté à une épreuve extrême, rapportée par Louise. Un récit prenant, fascinant, parfois morbide ; à l'abri de notre petit confort de lecteur, l'auteur arrive à nous entraîner dans la violence déshumanisante de ce cauchemar ; alors, une boule au creux du ventre, on essaye de ne pas perdre totalement espoir, en se demandant comment tout cela pourra bien finir. Louise est un personnage plein de ressources dont on vit la transformation, les sentiments et le contrôle du départ laissant progressivement place à l'instinct de survie et la part animale.
Un roman très complet avec aussi la réalité / brutalité de la nature et celle intrinsèque aux personnages, le regard des autres, les comptes à rendre, les sentiments qu'il faut trier pour se retrouver, la culpabilité, la résilience, le prix de la liberté...

 J'ai aimé la richesse et la profondeur de ce livre, la leçon de vie qu'il porte alors que l'idée d'un roman "à la Robinson Crusoë" m'attirait peu ; je suis finalement contente d'avoir fait confiance à Isabelle Autissier qui traite ce sujet avec brio et réalisme, la plume sûre, juste et incisive. Une valeur sûre.

Du même auteur, voir aussi :
Seule la mer s'en souviendra
L'amant de Patagonie

Titre : Soudain, seuls
Auteur : Isabelle Autissier
Première édition : 2015

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