dimanche 16 avril 2023

Pour que chantent les montagnes / The Mountains Sing de Nguyen Phan Que Mai

 
Vietnam 
 
En 1972, Hong (surnommée Goyave) a 12 ans quand Ha Noi est bombardée et sa maison détruite alors qu'elle a trouvé refuge dans les montagnes avec sa grand-mère qui l'élève. La guerre et la violence, c'est son quotidien, le monde dans lequel elle grandit, alors, après les bombardements, la vie reprend ses droits et son cours en ville où il faut (sur)vivre avec l'espoir de voir un jour sa famille réunie : reverra-t-elle sa mère, médecin, partie à la recherche de son père disparu, ses oncles et ses tantes dont on est sans nouvelles, dispersés ou divisés politiquement ? Et lorsque ceux qui reviennent sont meurtris dans leur chair et/ou dans leur âme, comment recréer les liens et redéfinir une normalité ? 
Par sa voix, c'est toute l'histoire de la famille, intimement imbriquée à celle du Vietnam moderne, qui est racontée, des années 1970 à nos jours. 
 
Et lui faisant écho, il y a l'autre voix, celle de sa grand-mère Dieu Lan qui a 52 ans au moment des bombardements d'Hanoi, sorte d'évènement pivot dans l'énoncé du récit. Elle, c'est l'histoire d'avant qu'elle rapporte, des années 1920 aux années 1970. Cela commence avec des temps heureux dans une famille aisée de propriétaires terriens avant la seconde guerre mondiale, des mariages, des naissances, une vie bien réglée ... Puis les premières violences arrivent, associées à l'occupation japonaise. Plus tard, c'est la réforme agraire et une fuite éperdue avec ses six enfants pour échapper au Viet Minh... La vie d'une femme balotée par les événements qui a du s'adapter, se réinventer plusieurs fois et se battre pour vivre, pour elle, pour ses enfants et pour sa petite-fille.
 
Une saga familiale qui retrace et illustre toute l'histoire du Vietnam au vingtième siècle — colonisation, occupation, guerres, Viet Minh, division du territoire, etc. — avec ses épreuves à répétitions qui emportent dans leur sillage toute la structure traditionnelle de la société et les individus qui la composent, en perte de repères, à la dérive. Une famille éparpillée et mise à mal qui doit faire des choix difficiles, soumise au regard, à l'envie ou à la désapprobation des autres.
 
Une histoire qui peut sembler d'abord un peu "fouillie", livrée "par morceaux", comme dans un puzzle, chaque pièce nécéssitant de se raccrocher aux autres avant de pouvoir dévoiler, progressivement, une cohérence d'ensemble. Une construction qui peut décontenancer ceux qui ne sont pas familiers de l'histoire du Vietnam, mais que j'ai appréciée parce qu'elle est en phase avec la trâme du récit et un reflet de la complexité des choses, de la violence et de la rapidité avec laquelle les vies peuvent basculer et voler en éclats. 
Les événements mettent les individus et leur humanité à l'épreuve, la vie continue mais pour survivre il faut parfois décider vite et "au moins pire", réajuster priorités et valeurs. 

Une histoire de souffrance et de résilience, celle d'une famille vietnamienne qui a traversé le vingtième siècle. J'ai aimé ces deux voix, celle de Hong qui grandit dans un monde chaotique, celle de Dien Lan, survivante et témoin d'un passé qui n'est plus ; et puis comment oublier les membres de cette famille qu'elles évoquent, les personnages cabossés et traumatisés, écartelés par les démons qui les hantent et les empêchent parfois d'exprimer un amour qu'ils n'arrivent plus à donner. Un roman porté par l'écriture d'une auteure vietnamienne à suivre, douloureux comme l'histoire de ce pays mais qui, malgré tout, est porté par la puissance de l'amour et de l'espoir de ces deux femmes qui agissent comme une colle puissante capable de recoller les morceaux. 
 
J'ai retrouvé dans ce roman des échos d'humanité similaires à ceux du livre de Parinoush Saniee sur lequel j'ai récemment fait une revue sur ce blog, "ceux qui sont partis, ceux qui sont restés". Dans les deux cas, il s'agit d'une histoire de famille éprouvée par les événements dans son pays d'origine (au Vietnam dans un cas, en Iran dans l'autre), des familles éclatées, dispersées, divisées et finalement reconstituées. 
Des romans de femmes qui donnent voix à des femmes et montrent la puissance de résilience qu'elles portent, canalisée par l'amour, l'espoir et la vie, face à la violence de l'histoire et à la politique qui brisent les familles. ❤️

Titre français : Pour que chantent les montagnes
Titre anglais : The Mountains Sing
Auteur : Nguyen Phan Que Mai
Première édition : 2020

mercredi 8 mars 2023

Le dernier Lapon de Olivier Truc

 
Petite envie d'ailleurs et de lecture facile ...
Et hop, un polar sans prise de tête pour plonger dans une ambiance semi-nocturne au sein de la brigade des rennes opérant en Laponie norvégienne : dépaysement garanti en plus d'apprendre plein de choses sur les sami, "dernier peuple aborigène d'Europe" dont la région traditionnelle est située à cheval sur la Norvège, la Suède et la Finlande (et même la Russie).

Klemet et sa jeune collègue Nina travaillent en équipe dans cette "brigade des rennes" basée à Kautokeino à partir de laquelle ils parcourent des milliers de kilomètres à moto-neige dans des conditions extrêmes pendant l'hiver, à travers des paysages glacés, pour régler les différents entre éleveurs de rennes : ils faut dire que rivalités et conflits sont nombreux et la rancune tenace, alimentés par les problèmes de délimitation des frontières et de découpage des territoires ancestraux et par les attentes des uns, soucieux du respect des traditions, et celles des autres, avides de modernisation.
Sous les ordres de leur chef Tor Jensen, grand amateur de réglisse, ils collaborent aux deux enquêtes qui secouent la communauté à quelques jours d'intervalle : d'abord, le vol d'un mystérieux tambour traditionnel envoyé au musée Juhl monté par un Allemand, puis le meurtre de Mattis, un éleveur de rennes à la dérive qu'ils sont les derniers à avoir vu vivant. 
Les deux affaires sont-elles liées ? Quel rapport tout cela peut-il avoir avec l'expédition de Paul Émile Victor en Laponie en 1939 ? 
 
Une intrigue dans laquelle nos deux héros doivent louvoyer entre un collègue raciste et ripou, un vieux paysan politicien manipulateur, sournois et tyrannique, un géologue sans foi ni loi, l'activiste et le pasteur de service, et toute une galerie de personnages issus de la communauté locale, Berit Kutsi, taiseuse usée avant l'âge, fidèle des luthériens fondamentalistes laestadiens, l'oncle de Klemet poète anticonformiste spécialiste des chants traditionnels (joiks) avec sa virevoltante et étonnante compagne chinoise, etc. Une histoire de malédiction sur fond d'exploitation minière attisant la cupidité et menaçant des modes de vie. 
 
Sans doute rien de remarquable au niveau du style, pas de super suspense ou de psychologie alambiquée - quoi que... - mais une virée culturelle passionnante au cœur des grands espaces du nord de l'Europe. L'auteur est un journaliste spécialiste qui sait de quoi il parle et le livre parfaitement documenté ; Olivier Truc nous ouvre sur les réalités du monde des samis plus compliqué et plus humain que l'image romantique très superficielle de l'imaginaire associé à la "laponie", merci !
 
Me voilà bien accrochée avec une nouvelle "série à suivre" !

Titre : le dernier Lapon
Série "la police des Rennes"- 1
Auteur : Olivier Truc
Première édition :

lundi 6 mars 2023

La vie clandestine de Monica Sabolo

Dans ce roman présenté comme autobiographique, la narratrice, l'auteure, cherche au départ un sujet de livre. Une émission de radio l'oriente sur l'assassinat en 1986 de l'ancien P. D. G. de Renault,  Georges Besse, exécuté par des membres d'Action Directe ; elle pense tenir quelque chose qui sera à la fois "facile et spectaculaire à traiter" et "très éloigné d'elle". Elle s'intéresse alors aux deux femmes du commando, condamnées en 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité, Nathalie Ménigon et Joëlle Aubronet, et commence à rassembler des informations, de la documentation et des témoignages qui doivent l'aider à donner corps et vie à ses personnages. 
 
Au fil des pages, elle livre au lecteur les éléments bruts et objectifs de ses recherches en nous révèlant que le secret et les zones d'ombres rencontrées au cours de son enquête ont des conséquences tant sur le plan professionnel que personnel. D'une part, elle a beau accumuler des renseignements, elle bloque sur l'écriture de son roman parce qu'elle n'arrive pas à cerner la psychologie de ses personnages ; cela l'amène à tirer sans cesse de nouveaux fils pour essayer de saisir, en vain, ce qui lui échappe. D'autre part, ces investigations réveillent des souvenirs d'enfance très intimes, profondément enfouis, qui refont progressivement et de plus en plus précisément surface. 

Par une alternance de chapitres qui passent de l'histoire, des acteurs, des motivations et des secrets d'Action Directe à ceux de sa famille, l'auteure construit un roman un peu atypique, une sorte de livre-enquête qui tourne à l'introspection personnelle, voire à la thérapie par l'écriture. Malgré les qualités indéniables de cette écriture, j'avoue avoir eu du mal à m'intéresser aux tenants et aboutissants du livre, en me demandant longtemps ce que les réminiscences de l'auteur pouvaient bien faire là et où tout cela allait nous mener. 
 
Alors bien sûr, on peut se dire que l'auteure est courageuse de nous livrer ce qui ressemble finalement à un témoignage intime très fort, plein d'humanité et riche en éléments de réflexion : elle se met à nu et tout cela traite de la difficulté de l'écriture, de la façon dont celle-ci influe et est influencée par l'expérience personnelle de celui qui tient la plume, il est aussi question d'humanité, de bien et de mal, de secrets, de traumatismes, de refoulement, de reconstruction, de redemption, de pardon... mais voilà, malgré une empathie inévitable et toute cette rationalisation, je ne peux pas dire que j'ai aimé ce livre. 
La façon dont le lecteur est mis en position de témoin un peu voyeur m'a génée ; impossible de me laisser entraîner par les émotions et le cheminement menant à l'apaisement partagé par cette auteure que je ne connaissais pas ... Et même un vrai soulagement de tourner la dernière page puis de boucler cette chronique afin de ne plus y revenir. 
Comme un rendez-vous raté avec Monica Sabolo !

Titre : La vie clandestine
Auteur : Monica Sabolo
Première édition : 2022

lundi 27 février 2023

The Joy and Light Bus Company de Alexander McCall Smith

 
Vingt-deuxième rendez-vous à Gaborone, capitale du Botswana, avec Mma Ramotswe et sa célèbre agence de détective, la "Number One Ladies' Detective Agency"

Dans ce nouvel opus dont ne peuvent que se délecter tous les aficionado dont je fais partie, nous retrouvons les personnages centraux de la série avec une attention plus particulière portée sur M. J. L. B. Matekoni, mari de la détective, propriétaire-garagiste de Tlokweng Speedy Motors. Au cours d'un séminaire organisé par la chambre de commerce pour les entrepreneurs soucieux de développer leurs affaires, celui-ci retrouve T. K. Molefi, un ancien camarade d'école perdu de vue depuis bien longtemps, qui lui propose de s'associer afin de créer une nouvelle compagnie de bus. Un projet qui l'enthousiasme mais nécessitant un emprunt auprès de la banque, conditionné à une hypothèque sur le garage et ses annexes-dont les bureaux de l'agence de détective. Mma Ramotswe n'en dort plus et s'en ouvre à son amie Mma Potowski -la directrice de l'orphelinat- puis à sa collègue Mma Makutsi qui pensent comme elle : il serait très imprudent et bien risqué de se lancer dans ce type d'investissement... Alors, il faut trouver un moyen de faire capoter l'affaire tout en ménageant les sentiments de M. J. L. B. Matekoni, une résolution bien délicate à mener. 

Dans le même temps, l'agence se voit confier une mission qui va créer un cas de conscience à nos détectives. Leur nouveau client soupçonne l'infirmière qui s'occupe depuis plus de dix ans de son père âgé d'avoir manipulé le vieil homme pour hériter de sa maison. S'agit-il d'un abus de faiblesse ou d'un vrai geste de reconnaissance ? Est-ce une enquête mandatée avec sincérité ou par cupidité et comment la traiter avec probité ? 
 
Et puis, s'ajoute encore le trouble de Mma Ramotswe affectée par l'histoire d'une nouvelle pupille accueillie à l'orphelinat de Mme Potowski. C'est une petite victime d'esclavagisme moderne qui a échappé à une famille richissime et influente de la capitale agissant en toute impunité. S'il est difficile de prouver leurs malversations, peut-être y a-t-il tout de même moyen de trouver une faille qui permettrait de sauver deux autres enfants vulnérables que l'on sait tombés entre leurs griffes ?
 
Le roman ne serait bien sûr pas complet sans une apparition de Violet Sepotho, une rencontre avec Mma Ramotswe et Mma Potowski au supermarché au cours de laquelle la jeune femme qui ne manque ni d'aplomb ni de culot laissera les deux amies bien embarassées...

On peut être sûr qu'à la fin "tout est bien qui finit bien" dans cette série feel-good un peu simpliste et sans aucune prétention, pleine de bons sentiments et d'un bon sens d'un autre âge dans lequel ne manque portant pas de pointer une certaine modernité. Certains y verront même une touche de philosophie avec des sujets abordés touchant à la condition masculine, au temps qui passe, à la vie, à la conscience, etc.
Une p'tite lecture récréative pour retrouver de bons vieux amis, certains un peu obtus mais avec le cœur sur la main  ! 
22... Et je ne m'en lasse toujours pas...

Titre original : The Joy and Light Bus Company
Pas (encore) de traduction française
#22 de la série No1 Ladies' Detective Agency
Auteur : Alexander McCall Smith
Première édition : 2021

mercredi 15 février 2023

À ceux qui sont partis, à ceux qui sont restés de Parinoush Saniee

 
Cela fait trente ans que la révolution iranienne les a séparés et qu'ils ne se sont pas revus. Le temps des retrouvailles et des vacances est venu pour la famille Yousefi réunie autour de Mère, pour dix jours, sur une île turque, dans une grande maison louée pour l'occasion. La fratrie qui se retrouve comprend trois fils et deux filles, avec leurs conjoints, et la plupart des petits-enfants de Mère dont Dokhi, la petite-fille orpheline qu'elle éleve.
Du côté de "ceux qui sont restés" et qui n'ont jamais quitté l'Iran, Mohsen et Miryam, Mère et Dokhi. 
Du côté de "ceux qui sont partis", Mohammad venu des États-Unis, Mehdi de Suède et Mahnaz de France. 
 
La joie de se revoir et le partage des souvenirs rythment les premières heures et le début du séjour mais rapidement les tensions émergent parce que l'amertume, la jalousie et les non-dits ne sont pas loin mais que chacun tient à préserver Mère en évitant les sujets qui fâchent. Pourtant l'évitement est malsain et pour trouver l'apaisement en recréant des liens durables il va falloir affronter la vérité et crever les abcès, une démarche indispensable quand les images fantasmées par les uns sur les autres cachent de toutes autres réalités souvent bien douloureuses.
Pour ceux qui sont partis, il va falloir comprendre que "la chance de ceux qui sont restés" ne l'est que par rapport à un Iran qui n'existe plus, suspendu dans le temps et figé par les souvenirs, en oubliant que des transformations et des événements ont eu lieu sans eux, que ce soit sur le plan familial ou sociétal, les parents qui vieillissent, le poids de la politique qui s'immisce partout, le curseur de la position et de l'aisance familiale qui bouge, etc. 
Pour ceux qui sont restés, les" étrangers" ont eu la chance qui ne leur a pas été offerte, celle de la facilité et de "privilégiées" vivant dans des "pays de cocagne" sans même imaginer les difficultés qui ont dû être traversées en termes financiers, de renoncements, d'adaptation et d'intégration. 

Et puis il y aussi la nouvelle génération qui cristalise les espoirs et les tensions avec à son centre Dokhi, la fille d'Habib, disparu tragiquement, habitée par des cauchemars récurrents, préservée d'une histoire qu'elle ne connaît pas alors qu'elle voudrait tellement connaître la vérité sur ses parents.
 
Un huis-clos familial poignant sous forme de roman chorale pour faire tourner les points de vues, tous légitimes et compréhensibles tant que les zones d'ombres qui leur échappent ne sont pas explorées. Il nous fait plonger au cœur d'une famille meurtrie par l'histoire qui tente de raccommoder sa trame abîmée par la séparation dans l'espace et le temps. Tout y passe, les réussites comme les échecs, les épreuves, la souffrance, la jalousie, l'amertume et les rancœurs, la politique, les choix, les failles, les regrets et les espoirs. Et quand les masques tombent et que les secrets les plus profonds sont enfin révélés à l'issu d'une véritable thérapie familiale, la vérité que l'on croyait ne jamais pouvoir connaître finit par se dessiner pour laisser finalement place à l'essentiel.

Du même auteur, j'avais déjà beaucoup aimé Le voile de Téhéran ; avec ce roman, même régal tant sur le plan de l'écriture que celui de la trame traitée avec beaucoup de justesse. Si on perçoit l'histoire contemporaine de l'Iran en l'arrière plan, plus comme déclencheur que comme sujet même si elle reste toujours là, on reste avant tout sur une histoire de famille avec des personnages féminins centraux ; un récit basé sur des éléments finement observés et rendus, à valeur universelle qui fait écho à d'autres lectures et même à ma propre expérience d'expatriée sur les tensions qui peuvent naître de l'ignorance entre "ceux qui partent" et "ceux qui restent". 
Une valeur sûre !
 
Du même auteur, voir aussi :

Titre : À ceux qui sont partis, à ceux qui sont restés 
Auteur : Parinoush Saniee
Première édition : 2017

vendredi 10 février 2023

Flagrant déni de Hélène Machelon

Un soir au début de l'été, Juliette, 17 ans, est saisie de violents maux de ventre. Alertée, Agnès, sa mère, pense à une appendicite et la conduit en urgence à l'hôpital mais là, c'est le choc : Juliette croyait qu'elle allait mourir, elle est en train de donner la vie. 
Aucun signe de grossesse chez cette nageuse sportive de 48 kilos, des règles, un ventre plat, personne n'a rien vu venir ; un bébé qui n'était pas attendu arrive sans prévenir et par effraction, par césarienne, il s'impose comme un intru, c'est l'"Autre", innommable, et Juliette n'en veut pas. 
À la maternité, Juliette rejette l'aide de la psychologue qui lui est proposée mais avant de partir, elle est informée de ses droits, notamment du temps de réflexion que la loi lui octroie avant que l'abandon du bébé ne soit définitif. 
 
Ce que veut Juliette c'est juste rentrer chez elle et reprendre le fil de sa vie là où elle l'avait laissée mais l'insouciance de la jeune bachelière brillante prête à gagner son indépendance d'étudiante à la rentrée n'est plus tout à fait de mise quand le corps est meurtri et que l'esprit sans repos s'égare parfois jusqu'aux rivages de la folie. Nous voici plongés dans un véritable tourbillon émotionnel avec Juliette qui, comme la chenille, va d'abord s'isoler du monde avant de pouvoir déployer ses ailes ; les petits tracas de l'adolescente encore en construction deviennent bien puérils, ses certitudes volent en éclats, et il lui faut griller les étapes pour mûrir et passer directement à la case adulte.
Sa famille l'entoure de sa présence - Agnès, Rafaël son père, Chloé sa sœur cadette -, renvoyée à ses propres fractures, mais lui laisse de l'espace car c'est à Juliette qu'il revient de prendre ses décisions, seule, et elle doit le faire dans un temps contraint, celui que lui donne la loi, celui de l'été...
 
Hélène Machelon nous parachute au cœur de la famille Conti pour nous faire découvrir, en l'illustrant, le douloureux sujet du déni de grossesse. Une réalité dont la presse se fait régulièrement l'écho mais qui reste difficile à appréhender parce qu'elle touche de façon très personnelle certaines femmes à un moment de leur vie. Avec l'histoire de Juliette, la question  prend corps, devient humaine, tangible.
 
Un récit puissant et réaliste, sans angélisme ni jugement, traité avec justesse et sensibilité. Un roman magnifiquement écrit qui, pour moi, fera référence et me donne envie de lire d'autres livres de cette auteure.

Titre : Flagrant déni
Auteur : Hélène Machelon
Première édition : 2021

dimanche 5 février 2023

En chemin de Cécile Valeman

 
À cinquante ans, Cécile Valeman prend une année sabbatique qu'elle clôture sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle, un sac sur le dos pour parcourir 1'250 kilomètres à pied, de Figeac à Saint-Jacques. Marcher en suivant jusqu'au bout le chemin des pèlerins est son unique aspiration, une parenthèse hors du temps, sans autres ambitions, religieuse ou spirituelle ou sportive. Chaque soir, elle chronique le chemin parcouru et les observations / réflexions de sa journée dans un mail qu'elle envoie à un groupe de proches composé de membres de sa famille, d'amis et de collègues. 
 
Ce livre est le recueil de ces billets envoyés au jour le jour et livrés tels quels, rédigés à chaud malgré la fatigue, dans un style parfois un peu potache avec ses petites blagues familières de l'entre-soi qui m'ont souvent agacées. 
Une écriture sans style pour raconter le quotidien, les kilomètres, le mal aux pieds, les paysages (les mails étaient accompagnés de photos mais elles ne figurent pas dans le livre), les rencontres, des anecdotes, etc. 

Une lecture facile et rapide qui vaut surtout pour le témoignage... et encore... Je tourne la dernière page frustrée par cette écriture "sur le vif", brute et un peu pauvre - on peut difficilement qualifier l'ouvrage de "littéraire" - et par le fond finalement très superficiel qui ne m'a pas appris grand chose.
Déçue !

Titre : En chemin
Auteur : Cécile Valeman
Première édition : 2020