Vietnam
En 1972, Hong (surnommée Goyave) a 12 ans quand Ha Noi est bombardée et sa maison détruite alors qu'elle a trouvé refuge dans les montagnes avec sa grand-mère qui l'élève. La guerre et la violence, c'est son quotidien, le monde dans lequel elle grandit, alors, après les bombardements, la vie reprend ses droits et son cours en ville où il faut (sur)vivre avec l'espoir de voir un jour sa famille réunie : reverra-t-elle sa mère, médecin, partie à la recherche de son père disparu, ses oncles et ses tantes dont on est sans nouvelles, dispersés ou divisés politiquement ? Et lorsque ceux qui reviennent sont meurtris dans leur chair et/ou dans leur âme, comment recréer les liens et redéfinir une normalité ?
Par sa voix, c'est toute l'histoire de la famille, intimement imbriquée à celle du Vietnam moderne, qui est racontée, des années 1970 à nos jours.
Et lui faisant écho, il y a l'autre voix, celle de sa grand-mère Dieu Lan qui a 52 ans au moment des bombardements d'Hanoi, sorte d'évènement pivot dans l'énoncé du récit. Elle, c'est l'histoire d'avant qu'elle rapporte, des années 1920 aux années 1970. Cela commence avec des temps heureux dans une famille aisée de propriétaires terriens avant la seconde guerre mondiale, des mariages, des naissances, une vie bien réglée ... Puis les premières violences arrivent, associées à l'occupation japonaise. Plus tard, c'est la réforme agraire et une fuite éperdue avec ses six enfants pour échapper au Viet Minh... La vie d'une femme balotée par les événements qui a du s'adapter, se réinventer plusieurs fois et se battre pour vivre, pour elle, pour ses enfants et pour sa petite-fille.
Une saga familiale qui retrace et illustre toute l'histoire du Vietnam au vingtième siècle — colonisation, occupation, guerres, Viet Minh, division du territoire, etc. — avec ses épreuves à répétitions qui emportent dans leur sillage toute la structure traditionnelle de la société et les individus qui la composent, en perte de repères, à la dérive. Une famille éparpillée et mise à mal qui doit faire des choix difficiles, soumise au regard, à l'envie ou à la désapprobation des autres.
Une histoire qui peut sembler d'abord un peu "fouillie", livrée "par morceaux", comme dans un puzzle, chaque pièce nécéssitant de se raccrocher aux autres avant de pouvoir dévoiler, progressivement, une cohérence d'ensemble. Une construction qui peut décontenancer ceux qui ne sont pas familiers de l'histoire du Vietnam, mais que j'ai appréciée parce qu'elle est en phase avec la trâme du récit et un reflet de la complexité des choses, de la violence et de la rapidité avec laquelle les vies peuvent basculer et voler en éclats.
Les événements mettent les individus et leur humanité à l'épreuve, la vie continue mais pour survivre il faut parfois décider vite et "au moins pire", réajuster priorités et valeurs.
Une histoire de souffrance et de résilience, celle d'une famille vietnamienne qui a traversé le vingtième siècle. J'ai aimé ces deux voix, celle de Hong qui grandit dans un monde chaotique, celle de Dien Lan, survivante et témoin d'un passé qui n'est plus ; et puis comment oublier les membres de cette famille qu'elles évoquent, les personnages cabossés et traumatisés, écartelés par les démons qui les hantent et les empêchent parfois d'exprimer un amour qu'ils n'arrivent plus à donner. Un roman porté par l'écriture d'une auteure vietnamienne à suivre, douloureux comme l'histoire de ce pays mais qui, malgré tout, est porté par la puissance de l'amour et de l'espoir de ces deux femmes qui agissent comme une colle puissante capable de recoller les morceaux.
J'ai retrouvé dans ce roman des échos d'humanité similaires à ceux du livre de Parinoush Saniee sur lequel j'ai récemment fait une revue sur ce blog, "ceux qui sont partis, ceux qui sont restés". Dans les deux cas, il s'agit d'une histoire de famille éprouvée par les événements dans son pays d'origine (au Vietnam dans un cas, en Iran dans l'autre), des familles éclatées, dispersées, divisées et finalement reconstituées.
Des romans de femmes qui donnent voix à des femmes et montrent la puissance de résilience qu'elles portent, canalisée par l'amour, l'espoir et la vie, face à la violence de l'histoire et à la politique qui brisent les familles. ❤️
Titre français : Pour que chantent les montagnes
Titre anglais : The Mountains Sing
Auteur : Nguyen Phan Que Mai
Première édition : 2020