mercredi 15 février 2023

À ceux qui sont partis, à ceux qui sont restés de Parinoush Saniee

 
Cela fait trente ans que la révolution iranienne les a séparés et qu'ils ne se sont pas revus. Le temps des retrouvailles et des vacances est venu pour la famille Yousefi réunie autour de Mère, pour dix jours, sur une île turque, dans une grande maison louée pour l'occasion. La fratrie qui se retrouve comprend trois fils et deux filles, avec leurs conjoints, et la plupart des petits-enfants de Mère dont Dokhi, la petite-fille orpheline qu'elle éleve.
Du côté de "ceux qui sont restés" et qui n'ont jamais quitté l'Iran, Mohsen et Miryam, Mère et Dokhi. 
Du côté de "ceux qui sont partis", Mohammad venu des États-Unis, Mehdi de Suède et Mahnaz de France. 
 
La joie de se revoir et le partage des souvenirs rythment les premières heures et le début du séjour mais rapidement les tensions émergent parce que l'amertume, la jalousie et les non-dits ne sont pas loin mais que chacun tient à préserver Mère en évitant les sujets qui fâchent. Pourtant l'évitement est malsain et pour trouver l'apaisement en recréant des liens durables il va falloir affronter la vérité et crever les abcès, une démarche indispensable quand les images fantasmées par les uns sur les autres cachent de toutes autres réalités souvent bien douloureuses.
Pour ceux qui sont partis, il va falloir comprendre que "la chance de ceux qui sont restés" ne l'est que par rapport à un Iran qui n'existe plus, suspendu dans le temps et figé par les souvenirs, en oubliant que des transformations et des événements ont eu lieu sans eux, que ce soit sur le plan familial ou sociétal, les parents qui vieillissent, le poids de la politique qui s'immisce partout, le curseur de la position et de l'aisance familiale qui bouge, etc. 
Pour ceux qui sont restés, les" étrangers" ont eu la chance qui ne leur a pas été offerte, celle de la facilité et de "privilégiées" vivant dans des "pays de cocagne" sans même imaginer les difficultés qui ont dû être traversées en termes financiers, de renoncements, d'adaptation et d'intégration. 

Et puis il y aussi la nouvelle génération qui cristalise les espoirs et les tensions avec à son centre Dokhi, la fille d'Habib, disparu tragiquement, habitée par des cauchemars récurrents, préservée d'une histoire qu'elle ne connaît pas alors qu'elle voudrait tellement connaître la vérité sur ses parents.
 
Un huis-clos familial poignant sous forme de roman chorale pour faire tourner les points de vues, tous légitimes et compréhensibles tant que les zones d'ombres qui leur échappent ne sont pas explorées. Il nous fait plonger au cœur d'une famille meurtrie par l'histoire qui tente de raccommoder sa trame abîmée par la séparation dans l'espace et le temps. Tout y passe, les réussites comme les échecs, les épreuves, la souffrance, la jalousie, l'amertume et les rancœurs, la politique, les choix, les failles, les regrets et les espoirs. Et quand les masques tombent et que les secrets les plus profonds sont enfin révélés à l'issu d'une véritable thérapie familiale, la vérité que l'on croyait ne jamais pouvoir connaître finit par se dessiner pour laisser finalement place à l'essentiel.

Du même auteur, j'avais déjà beaucoup aimé Le voile de Téhéran ; avec ce roman, même régal tant sur le plan de l'écriture que celui de la trame traitée avec beaucoup de justesse. Si on perçoit l'histoire contemporaine de l'Iran en l'arrière plan, plus comme déclencheur que comme sujet même si elle reste toujours là, on reste avant tout sur une histoire de famille avec des personnages féminins centraux ; un récit basé sur des éléments finement observés et rendus, à valeur universelle qui fait écho à d'autres lectures et même à ma propre expérience d'expatriée sur les tensions qui peuvent naître de l'ignorance entre "ceux qui partent" et "ceux qui restent". 
Une valeur sûre !
 
Du même auteur, voir aussi :

Titre : À ceux qui sont partis, à ceux qui sont restés 
Auteur : Parinoush Saniee
Première édition : 2017

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