It's time you grew up and learned this now: a woman is not a man (...) Fair or not, that's the way of the world.
1990
Isra a 17 ans quand elle épouse Adam, un mariage arrangé selon la tradition palestinienne. La jeune fille aime lire (en cachette) et aurait bien continué à étudier mais elle est docile et résignée, ses parents ne lui laissent de toute façon pas le choix : elle suit son époux, de Palestine à Brooklyn aux Etats-Unis où sa belle-famille a émigré vingt ans avant. Elle quitte donc la maison de ses parents pour celle de son mari sans vraiment savoir ce qui l'attend, en espérant que, peut-être, sa condition de femme s'en trouvera amélioréee et qu'elle saura gagner l'amour au sein de son nouveau foyer. Mais si le pays change, la pression culturelle reste la même: elle se retrouve aussi cloîtrée et chargée de corvées ménagères qu'auparavant, placée sous la houlette de sa belle-mère Fareeda au lieu de celle de sa mère, avec en plus le devoir, en tant qu'épouse du fils aîné, de "produire" au plus vite un héritier. Les grossesses s'enchaînent, épuisantes, et il faut s'occuper des enfants : une fille Deya, puis deux, puis trois, puis quatre, autant de "balwa/fardeaux" mais, comble de honte, pas de mâle tant attendu...
2008
Deya a dix-huit ans, elle est en dernière année de lycée et comme sa mère avant elle, elle aime la lecture ; elle souhaiterait poursuivre des études à l'université mais ses grands-parents s'y opposent ... et comme le veut la tradition pour toutes les jeunes filles de son âge, ils ont entamé la recherche d'un prétendant pour la marier et lui imposent la valse des présentations qu'elle sabote comme elle peut. Elle s'interroge sur sa condition et ses aspirations, hésitant entre soumission et révolte, respect de la tradition ou éducation sachant que ce sont ses grands-parents Khaled et Fareeda qui l'élèvent seuls avec ses trois soeurs depuis la mort de leurs parents, décédés dans un accident de la route lorsqu'elle avait 7 ans ... des parents idéalisés par la sororité mais dont les vagues souvenirs personnels de l'aînée sont en réalité emprunts de violence et de tristesse ...
Un premier roman qui serait en partie autobiographique, écrit par une jeune auteure d'origine palestino-américaine qui décline son récit à trois voix sur trois générations de femmes : celle d'Isra, celle de sa fille Deya et celle de Fareeda, belle-mère de l'une, grand-mère de l'autre. Chacune nous renvoie à une époque différente, entre Palestine et Etats-Unis mais quel que soit le contexte, la place de ces femmes arabes semble se reproduire de façon immuable : leur rôle est de se marier, de se mettre au service des hommes à la maison pour s'occuper de la cuisine, du linge, du ménage, des anciens et des enfants avec une préférence pour les garçons, futurs soutiens de famille alors que les filles ne sont qu'une charge destinée à renouveler le destin de leurs aïeules dans une autre famille. Une existence à laquelle il faut se soummetre sans rien dire, quelles que soient les différences de traitement entre les sexes, aussi injustes soient-elles, ou lorsque les violences s'immiscent parce qu'une "femme n'est pas un homme" et que "c'est comme ça et pas autrement".
Se
mèlent à ce quasi-huit-clos familial d'autres personnages féminins plus
ou moins importants dont celui de Sarah, la fille de Fareeda, Nadine,
l'autre belle-fille plus rétive, ou encore les amies voisines. Les quelques hommes de l'histoire appartiennent au foyer - beau/grand-père, mari, beaux-frères - ou viennent de l'extérieur pour être "présentés", certains ont la vie facile, d'autres portent le poids des responsabilités et des renoncements, totalement acculés et piégés par le devoir.
S'il faut se taire, obéir et préserver à tout prix les apparences et l'honneur de la famille, ces femmes en situation de dépendance et d'asservissement n'en ont pas moins chacune des aspirations, des interrogations, une façon personnelle de supporter le carcan ou de s'en affranchir ; elle portent et cachent leurs propres secrets, leurs croyances, leurs espoirs ou leurs sacrifices, leur propre individualité et leur humanité...
Une tragédie violente et troublante qui offre des portraits de femmes subtils et sensibles, porteurs d'une vraie réflexion sur leur condition, leur place dans le cycle de la vie, la maternité, l'éducation ... Une porte entrouverte qui donne voix, corps et humanité à des opprimées ignorées par le monde et la littérature même s'il ne faut surement pas en tirer des généralités sur toute une culture.
Un texte à valeur de témoignage, douloureux mais non dénué d'espoir, prenant et puissant.
Une auteure à suivre.
Extraits du texte :
Isra had learned from a very young age that obedience was the single path.
"This is all because of those books (...) Those books putting foolish ideas in your head! (...) Telle me, what are you reading for ?"
Deya folded her arms across her chest. "To learn"
"Learn what ?"
"Everything"
Fareeda shook her head. "There are things you have to learn for yourself, things no book will ever teach you."
Of course I am naive! (...) I've been stuck in the kitchen my entire life, first in Palestine and now here. How am I supposed to know anything about the world?
There is no such thing as happiness for people like us. Family duty comes first.
I can't tell you what to do. If you don't decide for yourself, then what's the point? It won't matter what you do if it's not your own choice. It has to come from inside you. That's the only way I can help.
Sadness was like a cancer (...) a presence that staked its claim so quietly you might not even notice it until it was too late.
Fareeda knew her granddaughter could never understand how shame could grow and morph and swallow someone until she had no choice but to pass it along so that she wasn't forced to bear it alone.
What if some man kills me ? Would you even care ? Or would you just be glad that I was no longer your balwa ?
Titre français : Le Silence d'Esra
Titre anglais : A Woman is no Man
Auteur : Etaf Rum
Première édition : 2019
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