Dans cet essai, Tania Cranianski s'intéresse au sort des enfants de quelques nazis célèbres pour savoir comment ils ont composé face au destin de leurs pères, un jour hommes tous-puissants héros de la nation, le lendemain criminels de guerre conspués. Comment vit-on quand on s'appelle Himmler, Göring, Hess, Franck, Bormann, Höss, Speer ou Mengele ?
"Les enfants dont l'histoire est évoquée dans cet ouvrage n'ont connu qu'une seule facette de la personnalité de leur père. L'autre leur sera rapportée après la défaite. Pendant la guerre, ils sont trop jeunes pour comprendre ou même percevoir ce qui se passe. Nés entre 1927 et 1944, les plus âgés ont moins de dix-huit ans lors de la débâcle. De leur enfance, ils ne conservent généralement que le souvenir des verts pâturages de Bavière.Beaucoup ont vécu dans l'enceinte sécurisée autour du Berghof, le chalet de montagne du Führer, sur le massif de l'Obersalzberg, au sud de Munich, près de la frontière autrichienne. Cette zone isolée et interdite, réservée au Führer, était à l'abri des méandres de la guerre et de ses atrocités. Plus tard, et pendant de longues années, le IIIè Reich n'était tout simplement pas au programme des écoles allemandes."
De sa triple origine allemande, française et russe, l'auteur a toujours ressenti une incidence particulière de sa part teutonne plus lourde à porter que les autres. Juriste de formation, elle s'interroge en introduction et en conclusion de l'ouvrage sur la culpabilité, le poids de l'héritage familial et à plus large échelle celui de l'impact de l'héritage des années nazis sur tout un peuple. Mais le coeur du livre qui étaye ses analyses, ce sont les portraits de famille qui constituent les huit chapitres centraux. Chacun est consacré à une famille pour laquelle l'auteur reprend le parcours du père, comment ont grandi les enfants et ce qu'ils sont devenus. Elle s'appuie sur les nombreux documents disponibles (archives, interviews, livres, etc.) et n'a rencontré qu'un seul de ces enfants. Au final, autant de destinées que d'enfants qui dépendent du contexte familiale et affectif de chacun ou de l'âge qu'ils avaient lorsque le lien paternel s'est rompu.
Des enfants "maudits" qui ont dû porter les crimes de leur pères et faire face du jour au lendemain à la violence psychologique qui en résulte, sans repère ou accompagnement pour y faire face.
"Ils étaient des enfants de héros, après la guerre ils sont devenus des Täter Kinder, des "enfants de bourreaux". Or rien ne les avaient préparés au nouvel ordre mondial dans lequel ils font figure de parias. (...)
Chacun de ces enfants est singulier, et s'arrange avec son histoire familiale de façon spécifique et complexe. De nombreux éléments entrent en ligne de compte : le genre (fille ou garçon), la structure familiale (enfant unique ou famille nombreuse), les liens affectifs (mère aimante ou froide, père affectueux ou distant). On peut certes rapprocher certains parcours, mais aucun n'est identique à l'autre. Le seul dénominateur commun est l'impossibilité de faire fi de son histoire familiale, tant elle constitue un lourd tribut. (...) Comme ces enfants toujours hantés par le destin paternel, le passé nazi reste présent à nos mémoires. Même lorsque les victimes ne seront plus là pour témoigner, quand la traque des derniers nazis sera loin de nous, la résonance de leurs noms continuera de nous interpeller.
C'est en ce sens que leur histoire rejoint l'Histoire."
Peut-être pas aussi détaillé et poussé qu'on le souhaiterait mais une étude facile à lire qui alimente une vraie réflexion sur les thèmes soulevés par l'auteur, la culpabilité, l'héritage familial et plus largement celui du nazisme, la parole, le secret ou encore la transmission.
Nota :
Le chapitre sur Mengele concorde en tous points avec le roman La disparition de Josfe Mengele d'Olivier Guez lu précédemment.
Titre : Enfants de nazis
Auteur : Tania Crasnianski
Première édition : 03/2016
Tiré du livre :
- Doit-on se sentir responsable, voire coupable, des faits commis par ses parents ? L'histoire familiale nous façonne irrémédiablement au cours de notre jeunesse. Lorsqu'un héritage est aussi sinistre, il ne peut être sans incidence, même s'il est communément admis que les enfants ne sauraient être tenus pour responsables des fautes de leurs parents. Ne dit-on pas que "le père à deux vies, la sienne et celle de son fils" ou encore "tel père, tel fils"?
- L'ombre silencieuse de la guerre a plané sur l'Allemagne et aussi sur la France pendant de longues années. Elle plane encore, mais les langues se sont déliées. Quand j'étais enfant, on se soumettait au diktat du silence. Comme mon grand-père, les générations qui ont suivi la guerre évitaient d'en parler. (...) La transmission ne s'est pas opéré. (...) " ...aucun Russe ne représente le goulag, aucun Français la Révolution française ou la colonisation, ils ont chacun leur histoire nationale (...) En revanche, on identifie l'Allemagne au nazisme.
- L'opinion publique souhaite que l'on identifie chez ces criminels des pathologies spécifiques, qui expliqueraient l'atrocité de leurs actes. Mais ceux qui se sont penchés sur le sujet n'ont jamais réussi à mettre en avant une personnalité propre aux exécuteurs. Lors du procès d'Eichman à Jérusalem, un des psychiatres chargés de l'examiner souligne que son comportement à l'égard de sa femme et de ses enfants, de son père et de sa mère, de ses frères, sœurs et amis, est "non seulement normal, mais tout à fait recommandable". On voudrait croire que ces gens-là sont des monstres sanguinaires, car leur "normalité" paraît bien plus terrifiante. "les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux, ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires" constate Primo Levi.
- Nous n'héritons pas de la culpabilité mais nous héritons des actions coupables de nos ancêtres.
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