mardi 14 septembre 2021

Âme brisée de Akira Mizubayashi

 
Novembre 1938, Tokyo. Des militaires font irruption dans un centre culturel où un quatuor de musiciens à cordes sino-japonais répète Rosamund, une pièce de Schubert. Avant d'être emmené et de disparaître, Rei Mizusawa, le premier violon, a eu le temps de cacher son fils Yu, agé d'une dizaine d'année ; l'officier qui le découvre figé dans une armoire, un livre à la main, ne le dénonce pas et lui remet le violon de son père qui a été brisé.
De nos jours à Paris, Jacques Maillard est luthier et sa femme Hélène archetière. Ils se sont connus pendant leur apprentissage à Mirecourt dans les Vosges, dans les années 1950, et s'intéressent à une jeune violoniste japonaise montante, Midori Yamazaki.
Deux périodes, deux histoires convergeantes portées par la musique et l'âme brisée d'un violon ...
  
Dans ce roman plein de délicatesse et d'humanité, Akira Mizubayashi fait vibrer nos émotions sous sa plume de japonais francophile rédigeant directement en français dans le texte. Il nous fait pénétrer dans un monde poli par la puissance de la musique intemporelle qui dissout époques et cultures. Une histoire qui commence pendant une période sombre, par un traumatisme qui portera la quête de toute une vie ; la douleur du deuil, du déracinement et de l'exil compensés par le souvenir, l'érudition, la transmission, la passion et la beauté. Un roman fort, plein de douceur, de larmes, de joies et de bonheurs aussi lorsque enfin se recollent les morceaux du passé, l'âme de l'instrument et de son maître enfin retrouvées.
 
Outre l'histoire magnifiquement portée par la musicalité et la poésie du texte, l'auteur nous fait découvrir le monde des artisans à qui il rend un bel hommage : luthiers et archetiers travaillent souvent dans l'ombre mais ils n'en sont pas moins essentiels à l'harmonie qui fait la musique d'exception, au même titre que le compositeur, l'instrument ou l'interprète.
 
A lire accompagné de Schubert et de Bach.       
 
Extraits du livre :
Âme, subst.fém. Musique. Âme d'un instrument à corde. Petite pièce de bois interposée, dans le corps de l'instrument, ente la table et le fond, les maintenant à la bonne distance et assurant la qualité, la propagation comme l'uniformité des vibrations. 
[Trésor de la langue française]
 
Face à la musique de Schubert, les larmes coulent sans questionner l'âme auparavant, puisqu'elle se précipite sur nous avec la force même de réalité, sans le détour de l'image. Nous pleurons, sans savoir pourquoi ; parce que nous ne sommes pas encore tels que cette musique nous promet d'être, mais seulement dans le bonheur innommé de sentir qu'il suffit qu'elle soit ce qu'elle est pour nous assurer qu'un jour nous serons comme elle. [Theodor W.Adorno, Moments musicaux]
 
Mirecourt, c'est une toute petite ville, mais c'est connu pour la lutherie depuis le XVIIIème siècle comme Crémone en Italie.

C'était un livre de Genzaburo Yoshino qui s'intitule Dites-moi comment vous allez vivre publié en 1937 (...) 
C'est un livre magnifique. En pleine période de folie fasciste et d'engouement militariste et ultra nationaliste, Yoshino à eu l'audace d'écrire, à l'intention des jeunes Japonais, un livre qui prônait l'usage critique de la raison et défendait la supériorité éthique de l'amitié des égaux par rapport à la soumission rampante et aveugle à l'égard des aînés et des dominants. 
Je crois que mon père voulait faire de moi un jeune homme capable de garder sa lucidité en toute situation, de ne pas succomber à la folie collective et de s'insurger contre les aberrations...
 
Je n'assimile pas mes amis japonais à leur pays. J'aimerais croire à un lien d'amitié qui va au-delà des antagonistes nationaux...
 
Il ne se rendait trop bien compte que tous les cœurs du monde, retirés dans leur solitude intranquille, étaient semblables à des nomades impénétrables, repliées sur elles-mêmes ; qu'ils étaient finalement comme tous les corps du monde séparés les uns des autres, si douloureusement étrangers les uns aux autres.  

Titre : Âme brisée 
Auteur : Akira Mizubayashi
Première édition : 2019

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