mercredi 12 mai 2021

La diagonale de la joie de Corine Sombrun

  
C'est la lecture de Mon initiation chez le chamanes* qui m'a fait découvrir Corine Sombrun il y a déjà quelques années ; elle y racontait la façon dont ses "facultés de chamanes" avaient été révélées lors d'un reportage en Mongolie et l'initiation qu'elle avait ensuite reçue là-bas, en vivant auprès d'éleveurs de rennes, pour cultiver et maîtriser ces capacités.
 
Depuis,  je "la suis" fidèlement parce que son histoire est unique, inhabituelle et troublante pour un esprit cartésien occidental -à commencer par le sien- et qu'elle nous ouvre un monde de possibles différent. Ses livres jusque-là pleins d'humour, de doutes et de dérision forment un véritable parcours initiatique dont La diagonale de la joie est l'aboutissement. Ce nouveau témoignage est marqué du sceau du sérieux donné par la science : il récapitule 18 années de lutte de Corine Sombrun pour faire reconnaître la transe comme un sujet d'étude et de recherches, prouver qu'elle a un potentiel cognitif accessible à tous (ou presque), qu'elle n'est pas une pathologie ou une fantaisie d'illuminée et qu'elle ouvre la voie à des applications thérapeutiques intéressantes. Les perspectives sont immenses et la création du Transe Science Research Institute, association ouverte à tous domaines scientifiques, doit permettre d'en coordonner les applications.

Que de chemin parcouru... Portée par son intuition et ses convictions, Corine Sombrun a commencé par témoigner mais ne recevait au départ que des regards dubitatifs (voire parfois même des menaces) et n'avait en retour que des propositions de consultations pour évaluer sa santé mentale. Au fil du temps et des rencontres elle finit par intéresser quelques spécialistes des neurosciences qui lui imposent des conditions d'études scientifiques drastiques pour étudier son cas : il lui faut arriver à provoquer une transe sans son tambour tout en restant suffisamment immobile pour permettre aux électrodes de faire leur travail ou encore s'engager à ne faire aucune consultation thérapeutique de ses capacités. La première étude menée à Edmonton au Canada mettra toutefois 10 ans avant la publication de ses conclusions, référence tant attendue alors que les premières analyses avaient laissé penser au chercheur que la pratique était dangereuse, recommandant initialement à Corine d'y renoncer.
 
Corine étant par ailleurs un cas unique pour les études, se posait aussi la question de trouver d'autres sujets susceptibles de les valider ; c'est du côté de la musique, de contacts et d'expérimentations parallèles avec des écoles d'art que le sujet de la transe va avancer grâce à une "sound loop" réalisée à partir d'extraits d'enregistrements efficaces et puissants de rythmes chamaniques. Là encore, une véritable épopée ! 

La narration temporelle de cette histoire de persévérance extraordinaire est entrecoupée de chapitres / paragraphes intermédiaires de deux types :
- "la minute perceptuelle" offrant des citations d'auteurs et de penseurs très variés
- les "lettre(s) à mon basilic", plus personnelles dans lesquelles Corine Sombrun fait part de son état d'esprit, de réflexions, de convictions, d'expériences et de ressentis par rapport aux éléments ou à la période qu'elle évoque.
C'est finalement le récit d'une formidable aventure profondément humaine qui au-delà de la reconnaissance scientifique touche une dimension spirituelle universelle.

Un livre qui m'a une nouvelle fois passionnée et qui donne véritablement envie d'en savoir plus voire d'expérimenter la transe, véritable "outil d'exploration d'une réalité sous-jacente" et de notre condition humaine au sein de l'univers. ❤️❤️❤️
 
Nota :
*  Cette initiation et l'histoire de Corine ont été adaptées au cinéma dans le film Un monde plus grand. Des indications à ce sujet sont d'ailleurs fournies dans le livre.
 
Tirés du texte :
"C'est le paradoxe suprême de la pensée que de vouloir découvrir quelque chose qu'elle ne puisse penser." (Soren Kierkegaard) 
 
"C'est mon corps qui pense, il est plus intelligent que mon cerveau." (Colette) 
 
 Je ne comprends toujours pas pourquoi certaines choses parlent et d'autres pas. Mais je sais maintenant que tout peut parler autour de nous. 
C'est un sentiment agréable de n'être plus jamais seule. (...) 
Tu ne crois pas que le sentiment de solitude est la conséquence de notre perception amoindrie de l'environnement ?

En fait le cerveau est une feignasse, il ne va pas développer ou entretenir des capacités dont il n'a pas besoin. Et sans un entraînement ou une stimulation forte, comme une situation d'urgence, une expérience de mort imminente, un état mis en évidence en 1975 sous la dénomination de near death experience (NDE), ou un choc psychologique violent, ces capacités restent en sommeil. 

Je me demande, dit-il, si l'état de transe n'est pas la source d'un enseignement intuitif. Celui dont nous rêvons tous en tant qu'artistes. 
Savoir sans avoir à apprendre. 

La distance est un leurre créé par le mental, oui. Nous sommes tous connectés, à un point que nous n'imaginons pas. 

Le mot "inspiration" s'ouvre en moi. Je me demande si les idées ne viennent pas uniquement quand on inspire. 
Aucun artiste ne peut créer sur une expiration. Et personne ne meurt sur une inspiration.

Si la transe nous permet d'accéder aux mêmes capacités que celles d'un chamanes, elle ne fait pas de nous des chamanes. 
Pas plus que le fait de savoir dire une prière ne fait d'un Mongol un curé. 

Que comprenons-nous dans les mots de l'autre, à part nos propres interprétations ? Projections ? La signification donnée à un mot en réduit le sens. 

Observer la nature en pensant à ce qu'elle peut m'apprendre à changé ma façon de la regarder. De la respecter. Nous sommes devenus trop bruyants, trop voyants, trop arrogants pour avoir encore l'humilité d'écouter simplement le vivant. Il n'y a pourtant aucune séparation entre nous, tout communique. Pour en prendre conscience il faudrait commencer par fixer l'attention, pas la pensée, dit en substance Marguerite Yourcenar. 
La transe supprime ce qui nous sépare. Mais quoi, qui communique ? 

Et si c'était ça, la réincarnation : la résonance d'une fréquence qui perdure comme un écho dans un autre corps ? 

Le corps n'est pas la maladie, mais son Miroir. Grâce à lui elle se révèle et nous donne le moyen de la transformer.

Le secret de l'immortalité, ne serait-il pas déjà d'accepter la naissance et la mort comme une transmutation de ce flux de vie qui nous traverse ? 

Notre société occidentale n'est-elle pas la seule à avoir laissé de côté l'utilisation de ce potentiel ? 
Des études anthropologiques ont en effet montré que sur quatre cent quatre-vingt-huit sociétés étudiées dans le monde, 
plus de 90% avaient une forme institutionnelle de pratique de la transe. (...) 
Si notre société a travaillé à faire de nous des êtres plus savants, 
les sociétés traditionnelles se sont de tout temps attachées à faire de nous des êtres plus conscients. 

La transe a remis en cause mes schémas mentaux, mes certitudes, mon rapport au monde. (...)
 Vivre une transe, c'est accepter de ne plus savoir qui je suis, et si je ne sais plus qui je suis, je suis libre de devenir ce que je suis. 
Grâce à elle, j'ai découvert le sens du sacré. Cette racine de la spiritualité est bien là, en chacun de nous.
 
Du même auteur,  voir aussi :

Titre : La diagonale de la joie
Auteur : Corine Sombrun
Première édition : 2021

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