lundi 18 mai 2020

Adieu au lac mère / Leaving Mother Lake de Yang Erche Namu et Christine Mathieu

Dans les montagnes sino-tibétaines dominant le lac Lugu, à la frontière du Yunnan et du Sichuan, Namu appartient à la minorité Moso, assimilée aux Naxi ou aux Mongols selon les classifications chinoises alors que c'est un peuple bien à part qui se revendique comme tel. Traditionnellement, la société Moso fonctionne en effet selon un système matrilinéaire unique dans lequel les femmes sont au cœur du foyer, les hommes vivant avec leurs mères et leur sœurs ou transitant dans des caravanes commerciales, amants "ambulants" des femmes qui leur ouvrent leurs portes pour une nuit ou toute une vie, l'acte sexuel relevant d'un choix de la femme indépendamment du mariage qui n'existe pas ou d'une vie en commun.

C'est dans cette société que Namu voit le jour à la fin des années 1960. Elle y passe son enfance, grandit à l'école de la vie en jouissant d'une grande liberté, entre la ferme de sa mère et l'isolement des pâturages de yacks en altitude avec un oncle, jusqu'à son passage à l'âge adulte marqué par la "cérémonie des jupes". Une vie marquée par des rythmes immuables, à peine perturbée par les événements historiques qui secouent la Chine, du passage des soldats militants révolutionnaires à celui des gardes rouges de la révolution culturelle.
À l'adolescence, Namu va rompre avec la tradition pour assouvir son besoin de découvrir le monde qui s'est entrouvert grâce à ses talents musicaux et qui se concrétise par des concours, des représentations et finalement, une place à la prestigieuse académie de musique de Shanghai. Des choix qui s'imposent à elle, chargés de culpabilité, marqués par la rupture mais aussi l'appartenance.

Le récit de cette petite fille analphabète traçant sa voie dans un monde moderne qui lui est totalement étranger mais qui l'envoute est raconté à la première personne, organisé et mis en forme sous la plume d'une anthropologue française, Christine Mathieu. À la fin du livre, cette dernière complémente l'histoire de Namu par des éléments sur les Moso qu'elle a étudié et connaît bien, une belle façon de conclure et d'enrichir la biographie.

Un récit "de l'intérieur" d'un personnage authentique parfois superficiel qui m'a semblé manquer de "fond" à mesure de l'avancement de l'histoire (peut-être facile à dire quand on n'a pas connu de tels bouleversements ??? Imputable à l'âge de la toute jeune femme au moment des faits relatés ???) : autant l'enfance dans les montagnes m'a passionnée pour sa fraîcheur, ses anecdotes, son exotisme et ses aspects sociologiques, autant le passage à l'âge adulte m'a paru chaotique ; le personnage est certes transformé par son contact avec la "civilisation" mais son comportement pour y accéder est parfois totalement erratique, une envie plus animale que rationnelle, la musique un moyen plus qu'une passion.

J'avoue avoir fait quelques recherches par ailleurs qui n'ont pas forcément renforcé ma sympathie pour le personnage (un article de blog notamment, writing and losing the autobiography of Erche Namu Yang la fait ressortir comme cupide et peu fiable). Si on en croit les nombreux articles de presse qui lui ont été consacrés à travers le monde, il ressort que Namu est une femme farouchement indépendante, complexe, non conformiste, une ancienne chanteuse et mannequin adulée mais parfois controversée...
... Son livre n'en est pas moins unique, une formidable introduction à un modèle de société porté par les femmes, donnant véritablement matière à réflexion, aux antipodes du modèle dominant dans lequel nous baignons.

Nota : Outre les articles de presse, des documentaires sont disponibles avec des interviews du personnage ou des reportages sur les Moso pour ceux qui comme moi auront eu la curiosité piquée par ce livre.

Tirés du livre:
Women and men should not marry, for love is like the seasons - it comes and goes. A Moso woman may have many lovers during her lifetime and she may have many children. Yet each of them will perhaps have a different father, and none of the fathers will live with his children. Moso children should be raised in their mother's house and take the family name of their maternal ancestors. 

We live close to one another but we don't cultivate the stuff that makes for public outrage in other places. To begin with, Moso women are not sullied by sexual shame - for sex, as I have now discovered, is a much favored source of disgrace in the world. But quite aside from this sexual freedom, which has proved fascinating to revolutionaries, journalists, social scientists, public health officials, and in more recent years, international tourists, we Moso abide by rules of honor that forbid us the dubious pleasures of malicious gossip. 

Matrilineal Moso family cannot help but fascinate - for the Moso are reputed to be the only people in the world who consider marriage an attack on the family.

Sur le sujet des minorités en Chine, voir aussi :
La mémoire du thé / The tea girl from Hummingbird Lane de Lisa See

Titre : Adieu du lac mère
Titre anglais : Leaving Mother Lake / A girlhood at the end of the world
Auteurs : Yang Erche Namu et Christine Mathieu
Première édition : 2003

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