Basée en Turquie, Delphine Minoui est une journaliste française spécialiste de l'Iran et de cette région du moyen-orient. Un jour, elle découvre sur Facebook une photo un peu sombre qui circule et l'intrigue, celle de jeunes gens figurants au milieu d'une bibliothèque improbable à Daraya, en banlieue assiégée de Damas. Elle arrivera à entrer en contact avec eux et les suivra, autant que faire se peut, de 2012 à 2016 pendant le siège de Daraya pour raconter l'histoire de cette bibliothèque constituée de livres récupérés dans les ruines des maisons défoncées par les bombes pour offrir à ses lecteurs une ouverture au monde, à l'esprit, à l'espoir. Ce livre témoignage est une véritable ode aux livres, à l'écriture et à la lecture :
Écrire, c'est recoller des bouts de vérité pour faire entendre l'absurdité.
La lecture comme un refuge. Une page ouverte sur le monde lorsque
toutes les portes sont cadenassées.(...) Au milieu du fracas, ils
s'accrochent aux livres comme on s'accroche à la vie.
Le livre ne domine pas. Il donne. Il ne castre pas. Il épanouit.
Ils affirment que ces écrits sont leurs nouveaux remparts. Qu'ils en
ont mémorisé des passages entiers. Qu'avant la révolution ils auraient
été incapables d'en citer une seule ligne. Que le conflit qui
ensanglante la Syrie les a paradoxalement rapprochés des livres. Une
mélodie de mots contre le diktat des bombes. La lecture, ce modeste
geste d'humanité qui les rattache à l'espoir fou d'un retour à la paix.
Leur combat de papier m'est d'autant plus cher qu'il me renvoie à une
addiction personnelle. (...) Les bibliothèques ont ce quelque chose de
subversif et d'apaisant à la fois.
En vieux syriaque, Daraya
signifie "nombreuses maisons". Quelle ironie du destin que de porter ce
nom pour une cité dont les bâtiments sont aujourd'hui si peu nombreux à
tenir debout.
Les livres, ces armes d'instruction massive qui font trembler le tyrans.
Il croit aux livres, il croit en la magie des mots, il croit aux
bienfaits de l'écrit, ce pansement de l'âme, cette mystérieuse alchimie
qui fait qu'on s'évade dans un temps immobile, suspendu. Comme les
cailloux du Petit Poucet, un livre mène à un autre livre. On trébuche,
on avance, on s'arrête, on reprend. On apprend. Chaque livre (...)
renferme une histoire, une vie, un secret.
Lire pour s'évader. Lire pour se retrouver. Lire pour exister...
Mais ce livre ce sont aussi des portraits de lecteurs très variés et différenciés, la source d'échanges, le maintien d'une socialisation au travers de groupes de réflexion ou de l'édition d'un "journal", ainsi que la chronique humaine de ce siège de résistance de Daraya qui formait une enclave un peu particulière dans cette guerre épouvantable et parfois incompréhensible qui déchire la Syrie :
Ils [des journalistes, des diplomates, des humanitaires] sont
unanimes sur la singularité de Daraya: plus qu'un symbole de résilience,
c'est un modèle unique de gouvernance où, malgré la guerre, le civil
garde le contrôle sur le militaire.
En quatre ans d'encerclement forcé, Bachar el-Assad s'est acharné à
défigurer la ville. À bruler ses champs. À rendre
illisible son paysage. À vider les phrases de leur dernières syllabes.
Mais je dis que, quoi qu'il advienne, ces jeunes héros syriens ont une
histoire impérissable à partager. Face aux destructions infligées par
les bombes, ils n'ont pas seulement sauvé des livres. Ils ont bâti des
mots. Érigé des syntaxes. Jour et nuit ils n'ont jamais cessé de croire
en la vertu de la parole. À son invincibilité. Ils ont rompu le silence,
relancé le récit. Construit un langage de paix. Avec leurs ouvrages,
leurs slogans, leurs revues, leurs graffitis et leurs création
littéraires, ils ont résisté jusqu'au bout à la métrique militaire,
inventé une autre cadence que celle des coups de canon. La laideur de la
guerre surpassée par le verbe. Un mémorial de mots, sans domicile fixe,
pour la génération d'après.
Le siège nous a paradoxalement protégés de toute tentative de
radicalisation. Il a permis de maintenir vivant l'esprit de Daraya.
Pendant quatre ans, nous sommes restés entre nous. Cela n'a pas tout le
temps été facile, mais nous avons toujours réglé nos différents par le
dialogue. Il n'y a pas eu d'invasion externe. Pas de tentative de
manipulation. Pas d'intrusion étrangère. Une expérience à part.
Une histoire tragique mais un livre magnifique qui apporte un témoignage à valeur universelle, celui de ces passeurs de livres éphémères, d'un moment et d'un temps donnés, redonnant sens et foi dans les livres et en l'homme, une bulle de relativité face aux événements qui secouent le monde.
Titre : les passeurs de livres de Daraya, une bibliothèque secrète en Syrie
Auteur : Delphine Minoui
Première édition : octobre 2017
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