Quand on t'arrache ton innocence, quand on dénigre ton peuple, quand la famille d'où tu viens est méprisée et que ton mode de vie et tes rituels tribaux sont décrétés arriérés, primitifs, sauvages, tu en arrives à te voir comme un être inférieur.
C'est l'enfer sur terre, cette impression d'être indigne. C'était ce qu'ils nous infligeaient.
C'est l'enfer sur terre, cette impression d'être indigne. C'était ce qu'ils nous infligeaient.
Dans un centre de désintoxication, Saul Indian Horse ne trouve pas la force de partager verbalement son histoire, une étape pourtant nécessaire à sa thérapie d'ivrogne repenti alors il décide de la transcrire sur le papier. Elle commence au début des années 1960. Saul vit alors avec sa famille à la façon plus ou moins traditionnelle des Ojibwe mais avec une peur omniprésente, celle de voir les enfants enlevés pour être placés à l'école des blancs. En dépit des précautions prises par sa grand-mère, Saul sera finalement envoyé à l'institut catholique Saint Jérôme qui a pour objectif officiel de donner une éducation aux "indigènes" mais qui se révèle en réalité un lieu d'exploitation et d'abus pour les enfants qui y sont internés. Malgré tout Saul se distingue, est bon élève et trouve son salut dans le sport, la pratique du hokey sur glace dans lequel il excèle et qui le mènera jusqu'à la prestigieuse patinoire de Toronto et son équipe des Maple Leaf avant de tomber dans la spirale de l'alcool ...
Voilà un livre magnifiquement écrit, éprouvant jusqu'à la toute dernière page, que j'ai lu d'une seule traite. Au travers de l'histoire de Saul, le lecteur est plongé avec l'innocence de son personnage principal jusqu'aux sources du mal être des populations indigènes du Canada, maltraitées par la domination, le racisme et la bien-pensance des blancs malnenant leurs cultures sans en éradiquer l'âme. C'est un livre révoltant, chargé de souffrances, d'une colère sourde, étouffée, plein d'émotions, d'humanité mais aussi de résilience et d'espoir.
À cette histoire identitaire, le livre apporte une touche inattendue qui évoque magnifiquement le sport national canadien, un symbole puissant : bien que totalement ignare en la matière, l'auteur m'a littéralement conquise et transportée sur la glace. Il réussit à faire ressentir et partager toute la magie du jeu au travers des yeux de Saul, joueur d'exception doté d'une sorte de préscience à ce "jeu blanc" , blanc comme la glace, blanc comme l'oppresseur.
Un énorme coup de cœur pour cet auteur canadien issu des "populations autochtones“ "ben ben" intéressant dont je vais poursuivre sans hésiter la découverte.
Tiré du texte :
"Le riz est un don du Créateur.
-C'est un don de Dieu", dit posément ma tante. La vieille femme répliqua tranquillement :
"Peu importe comment tu écris l'adresse, l'expéditeur reste le même.
(...)
- On nous a appris la crainte de Dieu (...)
- Qui aime ne brandit ni ne requiert la peur."
À St. Jérôme, j'ai vu des enfants mourir de tuberculose, de grippe, de pneumonie et de cœur brisé. J'ai vu de jeunes garçons et des jeunes filles mourir debout sur leurs deux pieds. J'ai vu des fugitifs qu'on ramenait, raides comme des planches à cause du gel. J'ai vu des corps pendus à de fines cordes fixées aux poutres. J'ai vu des poignets entaillés et les cataractes de sang sur le sol de la salle de bains, et une fois, un jeune garçon empalé sur les dents d'une fourche qu'il s'était enfoncée dans le corps. J'ai observé une fille remplir de pierres les poches de son tablier et traverser le champ en toute sérénité. Elle est allée jusqu'au ruisseau, s'est assise au fond et s'est noyée. Ça ne cesserait jamais, ça ne changerait jamais, tant qu'ils continueraient à enlever des jeunes Indiens à la forêt et aux bras de leur peuple. Alors je me suis réfugié en moi-même. C'est ainsi que j'ai survécu. Seul.
Ma grand-mère parlait toujours de l'univers comme étant le Grand Mystère.
(...)
"Nous avons besoin de mystère (...) Notre Créatrice, dans sa grande sagesse, le savait. Le mystère nous remplit de crainte et d'émerveillement, ce sont les fondements de l'humilité, et l'humilité, est le fondement de tout apprentissage.
C'est pourquoi nous ne cherchons pas à démêler cela. Nous l'honorons en le préservant ainsi pour toujours. "
C'est pourquoi nous ne cherchons pas à démêler cela. Nous l'honorons en le préservant ainsi pour toujours. "
La grâce et la poésie du hokey rendent les hommes beaux. C'est le frisson que procure ce sport qui fait lever les spectateurs de leur siège. Les rêves se matérialisent là, sous leurs yeux, d'un coup de baguette, une crosse et un palet leur donnent vie sur cent quatre-vingts pieds de glace. Les joueurs ? Les bons ? Les grands ? Ce sont ceux qui ont le potentiel pour exploiter cet instant magique. Ils sont des magiciens. Ils ne font qu'un avec le sport : il les élève au-delà même de leur vie aussi.
Toronto était comme une chimère-une grossière combinaison d'éléments disparates. (...)
Il n'y avait rien de sauvage. La seule fois où je sortis tard le soir et où je surpris un raton laveur au milieu du tas de poubelles, nous nous dévisageâmes avec stupéfaction. Lui en voyant un indien au milieu de ce fouillis de verre, d'acier et de béton, moi en voyant une créature faite pour l'arrière-pays où le vent est porteur de traces d'animaux plutôt que d'affluves de pourriture et de décomposition.
Est-ce qu'ils violaient tout le monde ? (...)
Ça n'a pas besoin d'être sexuel, Saul, pour être un viol, (...)
- Quand ils pénètrent ton esprit, c'est également du viol.
Est-ce qu'ils violaient tout le monde ? (...)
Ça n'a pas besoin d'être sexuel, Saul, pour être un viol, (...)
- Quand ils pénètrent ton esprit, c'est également du viol.
Sur le thème des minorités au Canada, voir aussi :
Titre français : Jeu blanc
Titre anglais : Indian Horse
Auteur : Richard Wagamese
Première édition : 2017
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