Alors que le mystère subsiste sur le sort d'Adan Barrera, une trève précaire est établie entre les trafiquants de drogues, un statu quo durant lequel chacun évalue ses chances de prendre le dessus au cas où le baron ne réapparaitrait pas. Pour la population, "Adan vive" : l'homme "vit" tellement qu'il en est sanctifié ; pour "los hijos"-la nouvelle génération des "fils de narcotrafiquants"- le vent de la relève commence à souffler et les affaires n'ont jamais été aussi bonnes. Et puis la drogue n'étant finalement qu'un business, il faut sans cesse innover pour garder ses parts de marché avec l'introduction du fentanyl, de l'héroïne pas chère, produite chimiquement, à l'origine d'une véritable "épidémie d'overdoses".
Dans ce contexte, Art Keller accepte de reprendre du service à la direction de la DEA (Drug Enforcement Agency) avec l'espoir de véritablement impacter la guerre contre la drogue même si ce n'est pas évident dans le contexte très politique de Washington : son objectif est de démonter toute la filière, jusqu'à l'argent sale et le blanchiment qui en est fait dans les plus hautes sphères des milieux financiers, des affaires et du pouvoir. Il va devoir avancer dans l'ombre en s'associant secrètement avec deux policiers de New York.
Ce roman s'inspire encore une fois librement d'une foultitude d'éléments piochés dans l'actualité avec des transpositions parfois un peu osées qui permettent de comprendre les avis très divisés portés sur ce livre par les lecteurs outre Atlantique, notamment au regard des deux personnages de Dennisson- candidat originaire de New York, puis nouveau président qui veut construire un mur et est un forcené de twitter- et de Jason Lerner, son gendre (Dans le livre, la question de l'enquête sur les intérêts Russes est remplacée par une association aux cartels de la drogue... évidemment, ça peut déranger une opinion publique très divisée même s'il ne faut pas perdre de vue que tout cela n'est qu'une fiction).
La trame de ce dernier volet est encore plus ambitieuse que les deux volumes précédents mais du coup, elle se disperse beaucoup plus, que ce soit géographiquement--le Mexique, les États-Unis, d'autres pays d'Amérique du Sud- ou qu'il s'agisse de la narration, des personnages et des sujets traités- la guerre des cartels au Mexique, la question des gangs et des Migrants, celle des consommateurs / junkies, les aspects politiques et financiers, le système carcéral américain, le traitement judiciaire du problème de la drogue, les clivages raciaux, etc.
Pour s'y retrouver, l'auteur fait pas mal de retours en arrière et de résumés des tomes précédents, pas inutiles si on a laissé passer un peu de temps entre deux livres ou si on ne les a pas lu mais un peu redondants si on les enchaine.
On suit les personnages récurrents, Marisol, Anna, Eddie Ruiz, Caro, etc ; certains ont grandi et deviennent acteurs (Los "hijos" mais aussi Hugo Hidalgo, le fils d'Ernie, l'adjoint d'Art Keller torturé et exécuté par les trafiquants dans le premier tome) ; on en retrouve d'autres avec plaisir, Nora et Sean Callan disparus à la fin du premier tome et on en découvre de nouveaux, Jaquie la junkie, Mullen et Cirello les policiers New-Yorkais, Nico et Flor les petits Migrants guatemaltèques qui s'embarquent sur "la Bestia", etc.
Un "pavé" édifiant sur ce problème complexe de drogue dont on ne voit finalement pas trop l'issue même si l'auteur offre ses pistes, très politiques, en soulèvant surtout de vraies questions de société. (Avec au passage un autre effet clivant auprès d'une partie du lectorat américains en désaccord avec les positions jugées politiquement trop "gauchisantes" du personnage d'Art Keller... On n'est pas obligé d'être d'accord ! ).
En bonus en postface, Don Winslow donne quelques éléments sur cette saga, ce qui l'a amené à vivre et à faire vivre son personnage de Art Keller pendant plus de vingt ans, l'addiction " qui l'a saisi pour ce qui ne devait être qu'un simple sujet de livre : à l'exception de sa femme et de son fils, il explique avoir" passé plus de temps avec Art Keller qu'avec n'importe quel véritable être humain" et précise que la trilogie est "l'œuvre de sa vie". Il indique encore "Je suis d'abord entré dans ce monde comme simple touriste, pour une simple visite, et il m'a fallu 6 ans pour écrire La Griffe du Chien. Plus j'en apprenais, plus j'étais en colère ; et plus je creusais, plus je voulais raconter cette histoire de la guerre américaine contre les drogues et l'impact réel qu'elle a sur la vie des gens."
Un objectif ambitieux et pour ma part réussi car cette trilogie m'a non seulement passionné, elle a aussi aiguisé ma curiosité que j'essaye d'assouvir par des recherches complémentaires, articles de presse, reportages et autres informations qui ne manquent pas. Le contexte européen n'est sans doute pas tout à fait le même mais la menace est bien réelle, nécessitant une vraie réflexion sur les politiques à adopter en termes de santé publique, sur le plan judiciaire, la légalisation ou pas de certaines drogues, les salles de shoot, etc.
Une trilogie en coup de massue, brillantissime.
Tirés du texte :
The long drug war has left trousand of orphans, shattered families and dislocated teenagers. And that doesn't include the thousand fleeing gang violence in Guatemala El Salvador, and Honduras, passing through Mexico to try to find sanctuary in the United States.
From the year 2000 to 2006 (...) fatal heroin overdoses stayed fairly stable, about 2'000 a year. From 2007 to 2010, they rose to about 3'000. But in 2011, they rose to 4'000. Six thousand in 2012, 8'000 in 2013.
"To put it in perspective, (...) from 2004 to now we lost 7'222 military personnel in Iraq and Afghanistan combined."
"To put it in perspective(...) in the same period of time, over a hundred thousand Mexicans were killed in drug violence, with another twenty-two thousand missing. And that's a conservative estimate."
Opiates are a response to pain.
Physical pain, emotional pain, economic pain.
He's looking at all three.
The Heroin Trifecta.
(...)
You're standing on the Rio Grande with a broom, he thinks, trying to sweep back the tide of heroin while billionaires are sending jobs overseas, closing factories and towns, killing hopes and dreams, inflicting pain.
And then, they tell you, stop the heroin epidemic. The difference between a hedge fund manager and a cartel boss? Wharton Business School.
Tens of millions of drug dollars - in cash- go down to Mexico alone every year, so much cash they don't even count it, they weight it. It has to go somewhere, the narcos can't stick it under their pillows or dig holes in their backyards. A lot of it is invested in Mexico, the estimate being that drug money accounts for 7 to 12 percent of the Mexican economy.
But a lot of it come back here- into real estate and other investments.
Into banking and then out to legitimate businesses.
It's the dirty secret of the war on drugs--everytime an addict sticks a needle into his arm, everyone makes money.
We're all investors.
We're all the cartel.
Smack is killing kids here now (...) which is why we have an epidemic.
When it was black and Porto Ricans, it wasn't an illness, it was a crime.
When it was black and Porto Ricans, it wasn't an illness, it was a crime.
The agency estimates that, at best, they seize about 15 percent of the illicit drugs coming across the border, even though, in their business plan, the cartels plan for a 30 percent loss.
He's seen the end of year statistics - 28'647 people died from heroin and opioid overdoses en 2014.
The irony is brutal-the same attorney general who is going to press for maximum sentences for marijuana possession will block prosecution of people laundering the biggest dope money in the world.
Because they're rich, white and connected.
Do you seriously believe anyone really wants to win this war? No one has an interest in winning this war ; they gave an interest in keeping it going. You can't be naive - tens of billions of dollars a year in law enforcement, equipment, prisons... It's business.
The war on drugs is big business.
The war on drugs has become a self-sustaining economic machine. Towns that once competed for factories now vie to build prisons. In " prison privatisation" - one of the ugliest combination of words I can imagine - we have capitalised corrections; corporations now make profits keeping human beings behind bars. Courts, lawyers, police, prisons - we are now addicted to the war on drugs.
The war on drugs is big business.
The war on drugs has become a self-sustaining economic machine. Towns that once competed for factories now vie to build prisons. In " prison privatisation" - one of the ugliest combination of words I can imagine - we have capitalised corrections; corporations now make profits keeping human beings behind bars. Courts, lawyers, police, prisons - we are now addicted to the war on drugs.
La griffe du chien / Power of the dog (tome 1)
Cartel / The Cartel (tome 2)
Titre original : The border
Titre français : La frontière
Série The Power of the dog (3) / La griffe du chien (3)
Auteur : Don Winslow
Première édition : 2019
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