jeudi 16 janvier 2020

Tout dort paisiblement sauf l'amour de Claude Pujade-Renaud

"Dans cette vie, elle vous appartient ; dans l'histoire, elle sera à mes côtés." 
"Vous la rendrez heureuse en cette vie - Je veillerai à son immortalité."

En 1855, à Sainte-Croix, aux Antilles Danoises, Régine Olsen-Schlegel apprend le décès de son ancien fiancé, Soren Kierkergaard. Des fiançailles engagées l'année de ses 18 ans, qui n'avaient duré qu'un an, entre septembre 1840 et août 1841, avant d'être rompues brutalement et sans explications par celui qui deviendra l'un des plus célèbres philosophes/écrivains/poètes danois. Deux ans après cette rupture, la jeune femme accepta la demande en mariage de Frederick Schlegel, son ancien précepteur, érudit qui mena une riche carrière dans la fonction publique, gouverneur aux Antilles Danoise chargé d'y éradiquer l'esclavage aboli en 1848, puis membre du conseil municipal de Copenhague, l'"Athènes du Nord", dont il deviendra aussi le maire.

Dans ce roman, nous partageons la vie et les pensées de Régine, parfois celle de son mari ou d'autres personnages proches d'elle et de Kierkergaard, avec des dialogues, des correspondances et des interrogations qui nous font finalement découvrir, à travers eux, le penseur, son œuvre, son influence sur l'époque. Un peu comme dans l'ombre de la lumière qui relatait l'histoire d'Élissa, égérie cachée de Saint-Augustin, Claude Pujade-Renaud rend vie et hommage à la "femme de l'ombre" qui se cache derrière l'œuvre d'un grand homme, cette fois, Soren Kierkengaard.

Une relation brève mais suffisamment marquante pour que les vies de Régine et Soren soient indissociables, base d'un étrange triangle complété par Frederick. Considéré comme le précurseur de l'existentialisme, Soren était le petit fils d'un "petit gardien de moutons" ayant fait fortune dans le commerce de la laine. Victime de la "mélancholie familiale", il était l'un des deux fils survivants d'une famille de sept enfants semblant marquée par une malédiction qui emportait ses membres avant l'âge de 33 ans. Au regard de son parcours, de la marge fine entre folie et génie et de sa relation privilégiée avec Régine, ses différents écrits son relus, cités et analysés par les personnages pour leur redonner du sens : discours édifiants, Journal du séducteur, l'instant, Le Lis des champs et l'oiseau du ciel, La reprise, Ou bien... Ou bien, Coupable non coupable, Crainte et tremblement, Point de vue explicatif de mon œuvre, etc

Un très beau roman qu'on lit presque d'une traite, emportés vers une autre époque, dans le sillage de ces personnages avec lesquels on vit, le temps d'un livre, alors qu'ils nous apportent comme une évidence leur éclairage sur la personnalité et l'œuvre entière de Kierkengaard.

Tiré du texte :
Presque neuf mois entre ce signe d'adieu et son décès. 
Comme si, en partant aux antipodes, j'avais accouché de sa mort. La seule grossesse que je connaîtrais ?

Frederick affirme qu' on ne saurait le classer parmi les philosophes, en tout cas pas un philosophe traditionnel. 
Selon lui, ce serait plutôt un penseur religieux. Mais également un poète et un romancier.

"je souhaite ici exprimer que je fus et demeure aussi obligé par les fiançailles que par un mariage,
 et c'est pourquoi mon héritage lui revient exactement comme si nous avions été mariés."

Cette œuvre considérable, ces milliers de pages foisonnante, novatrices, ont été publiées en sept années, de 1843 à 1850, 
entre trente et trente-sept ans ! (...) l'essentiel avait été élaboré (...) dans le sillage de la souffrance et de la séparation.

Le premier grand amour de Soren Kierkengaard fut entre son père et lui. Ce qui n'altère en rien celui qu'il me voua.
 Comme je peux dire : j'aime Frederick, sans renier mon lien à Soren. 

Comment parvient-il à concilier ce thème essentiel chez lui- choisir son existence, devenir soi (...)-
avec le thème augustinien, luthérien (...) : l' homme ne peut rien sans la grâce divine ? (...)
 M'est simplement revenu une phrase de lui :"Tout dort paisiblement sauf l'amour." 

Me revient un passage de je ne sais plus quel ouvrage : tu compares le lecteur à un oiseau picorant ce qui fait sens pour lui, 
ou plutôt donnant sens à ce qui est écrit et n'est jamais figé puisque, selon toi, 
ne saurait exister une signification unique par l'auteur, le lecteur est créateur.

Titre : Tout dort paisiblement sauf l'amour 
Auteur : Claude Pujade-Renaud
Première édition : 2016

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