lundi 30 septembre 2019

La mémoire sous les vagues de Laurence Couquiaud

11 mars 2011, tremblement de terre et tsunami au Japon.
Yukiko, photographe franco-japonaise basée à Tokyo, part à la recherche de sa grand-mère disparue dans la zone touchée par le tsunami.

Yokohama, 1863.
Découverte du Japon de la fin du XIX ème siècle au travers de l'histoire d'Okanekichi, geisha renommée. Entre tradition et modernité, la jeune femme épouse un jeune peintre occidental associé à un ami photographe qui immortalisent un Japon en voie de disparition.

Deux époques et deux histoires de femmes marquées par les tragédies, dont les ramifications finissent par s'entremêler en offrant un joli panorama culturel du pays du soleil levant d'une part et une réflexion intéressante sur la transmission, la mémoire et l'oubli d'autre part. C'est bien écrit et bien documenté (en partie basé sur des personnages historiques) avec une touche contemplative dans la mesure où il y a peu d'action et où l'auteur nous donne l'impression d'esquisser deux tableaux se fondant pour partie.

Un bon moment de lecture.

Titre : La mémoire sous les vagues
Auteur : Laurence Couquiaud
Première édition : 2018

vendredi 27 septembre 2019

Nager nues de Carla Guelfenbein


Au début des années 1970, Sophie, franco-chilienne, est venue rejoindre son père Diego à Santiago. Artiste fragile et sensible, la jeune femme adore et admire ce père charismatique proche du président Allende. Un jour, dans leur immeuble, elle croise Morgana qui devient rapidement sa meilleure amie puis, sans qu'elle s'en doute, la maîtresse de son père.
Un triangle intime comme un cocon, plein de douceur, de sensualité et de complicité, uni par des sentiments forts, intenses et passionnés mais aussi sapé par le secret qui menace de le faire éclater alors qu'à l'extérieur, la tension monte dans les rues de Santiago...

La suite, elle est à découvrir, crochetée entre deux 11 septembre, celui de 1973 qui fait basculer le Chili et les personnages dans le chaos, puis, 28 ans après, celui de 2001 qui va forcer Sophie à revenir sur ses souvenirs pour tenter de se réconcilier avec son passé.

Un roman tragique, envoûtant, dont les convulsions de la sphère privée semblent se faire l'écho des événements historiques extérieurs (ou inversement !). Des personnages touchants victimes du contexte historique, rendus bien vivants par une écriture toute en finesse, en douceur et aussi en tension pour rendre une large palette d'émotions et de sentiments, l'amitié, l'amour, la sensualité, la passion, la trahison, la culpabilité, la peur, la traque, l'oubli, la vie qui continue et qu'il faut raccomoder. 

Une très jolie découverte avec cette auteure chilienne à suivre, un vrai coup de cœur. ❤️

Extraits du texte :
En arrivant dans le pays de son père - où elle n'avait jamais vécu - Sophie découvrit qu'un lieu n'existe que si vous y trouvez des traces identifiables, des marques qui vous appartiennent et vous rapprochent des gens.

L'invisible était infiniment plus vaste que le visible : "c'est le silence qui gît entre une note et une autre, la lumière tapie dans la pénombre, le volume qui fait du vide, le vide."

Le bonheur, en dépit de son apparence ouverte, est un état qui exclut.
Impossible de franchir les murs que celui-ci élève autour de lui.
En revanche, le malheur est une membrane fragile qui attend d'être imprégné par l'autre.

Titre : Nager Nues
Titre original : Nadar Desnudas
Auteur ; Carla Guelfenbein
Première édition : 2012

mercredi 25 septembre 2019

Une femme en contre-jour de Gaëlle Josse


Avec une femme en contre-jour, Gaëlle Josse ébauche son portrait de Vivian Maier dont les photographies ont été découvertes un peu par hasard, en 2007 à Chicago : des cartons entiers pleins de photos, planches-contacts, pellicules non développées, négatifs et documents divers trouvés dans un garde-meuble et vendus aux enchères pour quatre cents dollars, le début d'une légende.

Les photos en noir en blancs couvrent une large période du XXème siècle et offrent une foultitude de portraits pris dans la rue et les quartiers populaires, des femmes, des hommes, des enfants, des clochards, des ouvriers, des jeunes, des vieux, etc. Elles constituent une oeuvre posthume qui a rapidement et largement été exploitée alors que leur auteur, Vivian Maier, une américaine d'origine française très modeste et très secrète, reste entourée d'un voile de mystère.

Employée comme nounou, ses anciens employés sont presque les seuls à avoir une vague mémoire de cette photographe à l'oeil sûr, le reste il faut aller le chercher en enquêtant mais surtout en faisant appel à l'imagination. C'est ce que fait Gaëlle Josse dans ce livre un peu particulier qui n'est pas vraiment un roman ni vraiment une biographie et dans lequel l'écrivain intervient pour apporter son interprétation des choses ; elle se projete aussi pour tenter d'esquisser ce portrait de Vivan Maier, en se référant largement à ses photographies.

La plume est comme toujours très sûre et agréable à lire mais elle ne m'a pas emportée car sur le fond et la façon d'aborder l'histoire, je n'ai pas adhéré à l'approche hybride adoptée par Gaëlle Josse : elle laisse une part trop large à l'interprétation personnelle en s'impliquant elle-même sans que cela serve toujours l'histoire qu'elle nous livre. Même si Gaëlle Josse se retrouve dans le travail de Vivian Maier, son insinuation entre les lignes m'a agacé plus qu'autre chose, le sujet c'est la photographe, pas l'auteur : quitte à faire appel à l'imagination, plutôt que cette semi-biographie-description-projection, j'aurais préféré un vrai roman.

Alors malgré au moins deux livres exceptionnels à son actif (Une longue impatience et Les heures silencieuses) et une écriture toujours plaisante, après la lecture de ce 4ème ouvrage, je ne n'arrive toujours pas à classer Gaëlle Josse dans ma liste "d'auteurs valeurs sûres", trop inégale.

Extraits du texte :
 C'est une solitaire, mais dont l'oeil dit et montre plus que bien des discours. Ouvrier, chômeurs, personnes âgées, enfants livrés à eux-mêmes, toutes les détresses trouveront refuge dans son objectif. Secrète à un point difficile à imaginer.

Son travail photographique accorde une large place aux femmes âgées. On ne photographie rien par hasard. Un artiste poursuit ce qui le hante, l'obsède, le traverse, le déchire. Rien d'autre. Vivian Maier est avant tout une artiste, même si elle n'en revendique rien. Son gagne-pain lui est indispensable, mais accessoire. Elle n'est pas une nourrice  qui prend des photos pour se distraire, mais une artiste qui se contente d'un travail alimentaire. 

Découvrir les photos de Vivian Maier sur le site officiel ICI

Du même auteur, voir aussi :
Une longue impatience   
Le dernier gardien d'Ellis Island  

Titre : Une femme en contre-jour
Auteur : Gaëlle Josse
Première édition : 2019

jeudi 19 septembre 2019

Condor de Caryl Férey


À Santiago, plusieurs corps d'enfants sont retrouvés dans le quartier populaire de Victoria rongé par la pauvreté, la drogue, les gangs. La quatrième vicitime est Enrique, le fils du rédacteur de Señal 3, la seule chaîne activiste qui s'intéresse au sort des plus pauvres, et l'ami de Gabriela, jeune indienne Mapuche étudiante en cinéma qui avait été hebergée par la famille à son arrivée dans la capitale. Vidéaste compulsive, la jeune femme a filmé la découverte du corps qui montre des traces de poudre blanche sous la narine de l'enfant sans doute victime d'une overdose. Face à la passivité de la police qui se désintéresse ostensiblement de ces affaires, la jeune femme ne va pas lâcher le morceau et fait appel à un avocat, Esteban, fils de bonne famille devenu paria, spécialiste des "causes perdues" pour mener une enquête dont les ramifications n'épargneront pas la bonne société chilienne et la fange sur laquelle elle repose, issue des années noires du coup militaire de 1973 et des années de dictature qui ont suivies.

Un roman violent et puissant étayé d'une galerie de personnages variés pour figurer plusieurs tranches de la société, intéressants et attachants comme le bon Père Patricio oeuvrant dans le quartier de Victoria ou Stefano, projectionniste et logeur de Gabriela, ancien militant du MIR, mouvement de gauche révolutionnaire ... alors que d'autres sont beaucoup moins présentables et sans scrupules.

Un roman noir intelligent qui va bien au delà du simple polar : admirablement documenté, il offre au lecteur un panaroma réaliste et passionnant de la société chilienne contemporaine marquée par son capitalisme sauvage dominé par quelques familles. Aspects sociologiques, historiques ou politiques, Caryl Férey a soigneusement étudié son sujet qu'il maîtrise pour nous faire voyager et découvrir ce pays dans sa diversité humaine et géographique, de Santiago à Valparaiso, des Andes aux bords du Pacifique en passant par l'aridité du désert d'Atacama.  

J'avais découvert cet auteur au travers de sa saga maorie néo-zélandaise que j'avais aimé, bien documentée elle aussi, mais pour laquelle j'avais à l'époque émis quelques réserves d'écriture qu'on ne peut désormais plus lui reprocher ; celle-ci est désormais agréables et fluide pour servir un scénario haletant et bien construit : tout simplement passionnant !
Une invitation au voyage dont je suis vraiment fan ... à suivre donc !

Du même auteur, sur mon blog Vivre Auckland, voir aussi :
Livres - Saga Maorie (Haka - Utu) - Caryl Férey

Tirés du texte (...et tant d'autres extraits surlignés et non repris...) :
L'oubli fait aussi partie de la mémoire.

La loi antiterroriste qui frappait les opposants à la dictature avait été abrogée au retour de la démocratie, sauf pour les Mapuches.(...)
Cartes postales, magnets, cahiers, posters, livres, même les toilettes de certains bars étaient à l'effigie des Selk'nam, Ona ou Yamana, ces peuples mythiques devenus cultes une fois disparus : leur liberté d'Indiens faisait rêver à condition qu'ils n'en aient plus. 

Sur les huit cents enquêtes menées contre les criminels de la dictature, 
seules soixante et une avaient mené à des peines de prison effectives. 

Extermination d'opposants politiques sans jugements ni procès (...) Avec l'aide d'agents de la CIA, Pinochet et ses généraux avaient, sous le nom de Plan Condor, étendu l'opération criminelle et secrète non seulement au Chili mais dans les dictatures voisines - Uruguay, Brésil, Argentine, Paraguay, Bolivie -, puis ils avaient poursuivi la traque dans le monde entier.
Soixante mille morts : une hécatombe intercontinentale, silencieuse. On retrouvait des opposants réfugiés en Europe empoisonnés, suicidés, accidentés de la route ou froidement abattus lors d'attentats jamais revendiqués ou alors par des opérations fantoches. L'ancien ministre proche d'Allende, Orlando Letellier, avait été exécuté avec sa secrétaire en pleine rue à Washington même. Letellier n'était pas la seule icône de la résistance visée par les tueurs de Pinochet : Pablo Neruda, cancéreux, était mort d'une brusque rechute à l'hôpital quelques jours après le coup d'État, Frei, l'ancien président chilien leader de la Démocratie chrétienne, était, lui aussi mystérieusement décédé lors d'une banale hospitalisation. Agissant le plus souvent avec la complicité des services secrets locaux, les agents du Condor avaient propagé partout ce terrorisme d'État sans qu'aucun de ses acteurs ne soit jamais inquiété. 

Le coup d'État de Pinochet dépassait la simple restauration de l'ordre ancien : la dérégulation tous azimuts que les Chicago Boys expérimentaient au Chili était une nouvelle forme de capitalisme où l'État non seulement se désengageait de l'économie et des services publics, mais bradait le pays entier au secteur privé.

Port mythique des cap-hornier du Pacifique Sud jusqu'à l'ouverture de Panama, Valparaiso avait failli être rayé de la carte après le tremblement de terre de 1906 qui avait dévasté la moitié de la ville. Les riches avaient rebâti leurs maisons sur les collines, les autres s'étaient accrochés à ce qu'ils pouvaient. Régulièrement, les incendies continuaient de ravager les quartiers pauvres, mal raccordés, mais avec ses cerros aux maisons colorées entassés contre les flancs pentus des collines, ses ruelles baroques, ses graffitis subversifs et ses funiculaires d'une autre temps, Valparaiso restait la plus belle ville du pays. 

Des animatas - "petites âmes" - ponctuaient les bas-côtés, cortège funèbre de sépultures baroques rappelant le prix humain payé à l'expansion d'un pays en perpétuel chantier. À chaque kilomètre ou presque se dressaient des croix blanches et des couronnes de fleurs pour célébrer le dieu du pneu, du gasoil.

Titre : Condor
Auteur : Caryl Férey
Première édition : 2016

mardi 17 septembre 2019

Une longue impatience de Gaëlle Josse


Un soir, Louis, seize ans, ne rentre pas.
Pour Anne, sa mère, commence l'angoisse, la douleur, l'espoir, l'attente.
Au bord de l'océan, dans le petit village breton d'après-guerre,
il lui faut continuer à vivre en maintenant les apparences afin de ne pas alimenter les jalousies et les cancans,
et aussi remplir le vide de l'absence qui la fait flirter avec la folie.
Alors avec elle, on revisite le passé, ce qui a été, ce qui aurait pu être,
on redessine le présent et les relations familiales, une mécanique bien huilée mais désormais sans substance, 
et on imagine ce qui sera, le festin et la joie des retrouvailles avec tous ses détails les plus extravagants.

Avec cette longue impatience, Gaëlle Josse nous emporte avec toute la sensibilité de sa plume dont je retrouve enfin, après plusieurs déceptions (le dernier gardien d'Ellis Island, une femme en contre-jour), le même plaisir absolu et sans réserve que j'avais pu avoir en découvrant son premier roman, les heures silencieuses. Une trame qui pourrait sembler banale au premier abord mais traitée avec beaucoup de finesse, de délicatesse, de psychologie et d'émotions. Outre l'amour maternel dévorant, le texte porte en filigramme l'amour du mari, celui de la famille ainsi qu'une évocation pleine de justesse de la Bretagne d'après-guerre avec son ambiance océanique et sa sociologie.

♥ Un hymne magnifique à l'amour maternel.

Tiré du texte :
Son absence est ma seule certitude, c'est un vide, un creux sur lequel il faudrait s'appuyer, mais c'est impossible, on ne peut que sombrer, dans un creux, dans un vide.

J'ai ma robe noire sur moi,(...), mon châle pour me protéger du vent et mes grosses chaussures lacées. 
Pour attendre mon fils, je n'ai besoin de rien d'autre. Je ne suis plus que cela, une mère abandonnée. 

Je m'invente des ancres pour rester amarrée à la vie, pour ne pas être emportée par le vent mauvais, je m'invente des poids pour tenir au sol et ne pas m'envoler, pour ne pas fondre, me dissoudre, me perdre. 

(...) toujours les mères courent, courent et s'inquiètent, de tout, d'un front chaud, d'un toussotement, d'une pâleur, d'une chute, d'un sommeil agité, d'une fatigue, d'un pleur, d'une plainte, d'un chagrin. Elles s'inquiètent dans leur coeur pendant qu'elles accomplissent tout ce que le quotidien réclame, exige, et ne cède jamais. Elles se hâtent et se démultiplient, présentes à tout, à tous, tandis qu'une voix intérieure qu'elles tentent de tenir à distance, de museler, leur souffle que jamais elles ne cesseront de se tourmenter pour l'enfant un jour sorti de leur flanc.

Du même auteur, voir aussi :
Le dernier gardien d'Ellis Island 

Titre : Une longue impatience
Auteur : Gaëlle Josse
Première édition :

dimanche 15 septembre 2019

Le Couteau / Knife de Jo Nesbo


Jusqu'à présent, Jo Nesbo ne m'a jamais déçue et le douzième volet de la série Harry Hole, Le Couteau, ne fait pas exception. Les qualités scénaristiques du roi du polar restent comme toujours exceptionnelles, réservant leur lot de surprises et des retournements de situations inattendus, tout ce qu'on aime dans un polar... et puis, quand on est attaché aux personnages récurrents, on les retrouve avec grand plaisir, comme des amis avec lesquels on fait le point sur ce qui s'est passé dans leur vie depuis notre dernière rencontre !

Cette fois, les retrouvailles sont un peu choquantes : Harry qu'on croyait assagit se réveille avec la gueule de bois, les mains et les vêtements couverts de sang sans aucun souvenir de la nuit pendant laquelle la femme de sa vie dont il est séparé a été assassiné. Un meurtre dont il est exonéré et trop personnel pour que l'enquête lui soit confiée ... mais qu'il mènera quand même obstinément avec l'aide de son réseau personnel, en n'ayant de cesse de reconstituer le black-out dont il a été victime et du doute qui le ronge et l'obsède.
Un roman noir imprévisible et dense, des pistes totalement brouillées, une intensité psychohologique poussée à l'extrême et une chute qu'on ne voit pas venir malgré tous les petits cailloux semés au fil des pages.                   

Une parfaite maîtrise de l'art du polar, une valeur sûre qui ne se dément pas. Encore ! 

Du même auteur, voir aussi :
La Soif

Titre français : Le Couteau
Titre anglais : Knife
Série Harry Hole - Nº12
Auteur : Jo Nesbo
Première édition : 2019

mardi 10 septembre 2019

Le tatoueur d'Auschwitz / The Tattooist of Auschwitz d'Heather Morris


Un roman basé sur l'histoire vraie de Lale Sokolov, prisonnier juif-slovaque chargé de tatouer les femmes à leur arrivée à Auschwitz. Une histoire de survie dans l'enfer du camp d'extermination avec ses combines, ses manipulations, ses humiliations, ses privilèges, ses trafics, ses compromissions et ses jeux de pouvoir avec les soldats allemands et les autres prisonniers... mais aussi la compassion, la solidarité et l'illumination d'un amour, celui que le jeune tatoueur découvre et partage avec Gina, fait de moments volés et de l'espoir de survivre pour sortir un jour. 

Un récit à prendre pour ce qu'il est, c'est-à-dire un témoignage, recueilli auprès d'un survivant qui aura attendu la fin de sa vie, à l'autre bout du monde où il s'était réfugié après la guerre, pour finalement se confier et raconter. Sur le plan littéraire, l'écriture laisse parfois à désirer mais je ne peux dire si c'est du seul fait de la traduction ou d'un texte original livré de façon volontairement simple pour respecter le souhait et la parole du tatoueur d'Auschwitz comme l'indique l'auteur en postface.

Au travers du regard du tatoueur, une façon particulière d'appréhender et de faire revivre la mécanique inhumaine d'Auschwitz avant que ne disparaisse définitivement la mémoire de ceux qui y furent entraînés malgré eux.

Titre français : Le tatoueur d'Auschwitz
Titre anglais original : theTattooist of Auschwitz
Auteur : Heather Morris
Première édition : 2018

jeudi 5 septembre 2019

Seule la mer s'en souviendra d'Isabelle Autissier

Cette nuit, sans m'en rendre compte, je suis déjà parti, je suis entré en solitude. 

1968.
Père de famille et entrepreneur visionnaire, Peter March souhaite révolutionner le monde de la voile avec l'introduction de la technologie et de l'informatique à bord. Afin de démontrer l'efficacité de ses appareils et redynamiser son entreprise, il s'inscrit à la course en solitaire, autour du monde et sans escale, organisée et sponsorisée par le Sunday Times Golden Globe en 1968. Une course assez "libre" en termes de bateaux- chacun équipe le bateau qu'il veut, comme il le souhaite - et de départ - avec toutefois une date limite. Deux prix à la clé, celui du premier arrivé et celui du plus rapide.
Peter March fait construire et affréter un trimaran en un temps record, dernier concurrent à se lancer dans la course.

Un récit à deux voix qui se font écho : celle d'Eva, la fille aînée de Peter qui avait 14 ans au moment de la course et qui, adulte, porte toujours une certaine culpabilité vis à vis de l'histoire de son père alors que la voix de celui-ci revient à travers son journal de bord.
Une aventure qui commence dans l'excitation des préparatif mais qui finira mal du fait de la pression insupportable, de l'épreuve de la mer, des problèmes matériels et de la folie qui gagne irrémédiablement le navigateur une fois seul en mer.   

Le roman est basé sur une histoire vraie, celle de Donald Crowhurst qui avait menti sur ses positions et dont la disparition avait défrayé la chronique en son temps. Isabelle Autissier rend bien la dimension humaine du personnage et confirme avec cette deuxième lecture ses qualités d'auteur combinant une parfaite maitrise du sujet et de la langue. On tourne les pages sans s'ennuyer, emporté par les flots et la folie de Peter, ému par le regard et les dilemmes de sa fille.

Extraits du texte :
La vie est un grand jeu. Nous avons des cartes dans les mains à la naissance, mais rien n'empêche de piocher dans le paquet, d'essayer de se mettre dans une autre peau. (...) il faut parfois inventer les règles au fur et à msure que l'on joue. Ce serait trop triste que tout soit déterminé à l'avance. Il faut tenter des expériences, on peut toujours y découvrir quelques clés inattendues de l'existence. 

Je me sens usé d'avoir bataillé contre les sceptiques et les jaloux, ceux qui n'ont jamais rien osé et que mon défi renvoie à leurs existences minables. 

Vivre autrement amène à penser autrement. 

Pour gagner, il faut d'abord s'imaginer gagnant. L'avantage du solitaire, c'est que je suis le seul à maîtriser l'information, qui, comme chacun sait, est à l'origine du pouvoir. 

Du même auteur :
L'amant de Patagonie

Voir aussi :
Moitessier, le long sillage d'un homme libre de Jean-Michel Barrault

Titre : Seule la mer s'en souviendra
Auteur : Isabelle Autissier
Première édition : 2009

dimanche 1 septembre 2019

Le chant des revenants / Sing, Unburried, Sing de Jesmyn Ward




Mississipi. 

Depuis trois ans que leur père Michael, blanc, est emprisonné à Parchman, Jojo (13 ans) et Michaela / Kayla (3 ans) vivent dans la ferme de leur grands-parents maternels, noirs. Leurs grands-parents paternels ne les connaissent pas, ils n'ont jamais admis que leur fils "fassent des enfants à une négresse".
Malgré la misère et les épreuves d'une vie, Papy et Mamy leur apportent amour et une certaine stabilité.
De son côté, bien que présente, leur mère Leonie n'est pas capable de leur exprimer l'amour qu'elle ressent pour eux, toujours maladroite et cassante, trop souvent sous l'emprise de drogues qu'elle consomme depuis que son frère Given a été tué par des "camarades" lors d'un "accident de chasse".
Lorsque la libération de Michael est annoncée, Leonie embarque ses enfants pour aller le chercher et les entraine dans un road-trip épique alors que rodent les fantômes du passé dont celui de Richie, un enfant qui fut emprisonné avec le grand-père de Jojo lors de son propre séjour, arbitraire, à Parchman.

Un roman à trois voix, celles de Jojo, Léonie et Richie. Une tranche de vie de quelques jours qui permet d'aborder la vie de plusieurs générations. Une touche de mystère et de magie noire. L'évocation profonde, accablante et intense du racisme latant au sud des États-Unis. Le poids d'une histoire et des morts qui n'en finissent pas de hanter le présent. On pense à Toni Morrison mais c'est une autre voix, une autre écriture toute aussi puissante, mélodieuse ; c'est remarquablement écrit, véritablement envoutant, on est pris entre les vivants et les morts, les blancs et les noirs, le passé et le présent, l'amour, la haine, la force et la fragilité, la violence, la peur, la souffrance, le pardon et la délivrance. Des "petites gens" qui prennent vie avec réalisme et humanité.

Un gros coup de coeur ♥ et l'envie de découvrir un peu plus cet auteur plusieurs fois primée (déjà 6 livres à son actif dont 4 traduits en français).

Titre original : Sing, Unburied, Sing
Titre français : Le chant des revenants
Auteur : Jesmyn Ward
Première édition : 2017