mardi 23 janvier 2018

Un artiste du monde flottant / An Artist of the Floating World de Kazuo Ishiguro


Octobre 1948 à juin 1950. Dans le Japon d'après-guerre, Masugi Ono, ancien artiste peintre à la retraite, est préoccupé par sa fille Noriko qui a déjà 26 ans et qu'il faut marier sachant qu'une démarche bien engagée l'année précédente n'a finalement pas aboutie, elle s'est conclue par un désengagement de l'autre famille. De ses réflexions et conversations diverses, notamment avec Noriko ou son autre plus jeune fille Setsuko (mariée à Suichi et mère de Ishiro), Ono en vient à s'interroger sur son passé et l'ombre que celui-ci pourrait projeter sur l'avenir de sa fille. Il faut dire qu'un mariage n'est pas une mince affaire et que chacune des familles fait mener des enquêtes pour s'assurer de l'honorabilité de l'autre.
Du coup, on est plongé dans la tête et le monde d'Ono qui réfléchit, revoit des épisodes et périodes de sa vie, le poids d'un père qui n'approuve pas sa vocation, ses années de formation à travailler à la production de tableaux à la chaine pour l'exportation, les années d'apprentissage chez un maître tourné vers "un monde flottant" (le monde des plaisirs et de la vie nocturne), l'art officiel au service de la nation et les années à enseigner ...

Dans cette poursuite de la découverte de l'oeuvre de Kazuo Ishiguro, on est plongé dans un Japon en pleine mutation présenté au travers de trois générations : celle d'Ono qui représente la génération d'avant-guerre portant le poids moral de la guerre et de ses conséquences ainsi que la mémoire d'un monde en voie de disparition, celle de ses filles et de leurs maris lancés dans la reconstruction, porteuse d'espoir dans une société qui fait table rase du passé et enfin, celle d'Ishiro, le petit-fils qui grandit dans un monde ouvert sur l'occident sous influence de la culture américaine procurant quelques passages assez droles.
Le plus souvent on est toutefois dans le monde intérieur d'Ono avec sa perception des choses, l'impression qu'il est ébranlé par un poids moral lourd du fait de sa participation aux événements de son époque, porté par la conviction d'y avoir occupé une place d'artiste de premier plan ... des impressions sur lesquelles on finit par s'interroger parce qu'elles semblent parfois exagérées et en décalage avec la réalité et le vécu des autres personnages.

Des souvenirs, de la nostalgie, des questions touchant au sens de la vie, de la lenteur et un récit porté par la qualité de l'écriture ainsi que la manière subtile dont il est organisé. Une seule difficulté peut-être, sur les transitions d'âge d'Ono qui ne sont pas toujours nettes, qu'on imagine encore jeune alors qu'il est déjà âgé ou inversement mais qui finalement ne sont peut-être qu'une manifestation du monde flottant caractérisant, aussi, la vie de tout individu. Enfin, on aimerait peut-être en savoir plus sur ces années qui semblent peser le plus sur le personnage alors qu'elles ne sont finalement que très pudiquement et brièvement évoquées, en entrefilet, au travers de la mort d'un fils en Mandchourie et de celle de l'épouse pendant les bombardements.

Pas forcément le genre de livre que je préfère mais une bonne lecture laissant une marque intéressante.

Du même auteur, voir aussi :
Quand nous étions orphelins / When we were orphans

Titre original : An Artist of the Floating World
Titre français : Un artiste du monde flottant
Auteur : Kazuo Ishiguro
Première édition : 1986
Prix Nobel de Littérature 2017

Tiré du livre:
- When you are young, there are many things which appear dull and lifeless. But as you get older, you will find these are the very things that are most important to you. 
- Those who sent the likes of Kenji out there to die these brave deaths, where are they today ?  They're carrying on with their lives, much the same as ever. Many are more successful than before, behaving so well in front of the Americans, the very ones who led us to disaster. And yet it's the likes of Kenji we have to mourn. This is what makes me angry. Brave young men die for stupid causes, and the real culprits are still with us. 
- It's hard to appreciate the beauty of the world when one doubts its very validity.   
- It's just that in the end we turned out to be ordinary men. Ordinary men with no special gifts or insight. It was simply our misfortune to have been ordinary men during such times.
-Army officers, politicians, businessmen, (...) they've all been blamed for what happened to this country. But as for the likes of us, Ono, our contribution was always marginal. No one cares now what the likes of us and me once did. They look at us and see only two old men with their sticks. (...) We're the only ones who care now. The likes of you and me, Ono, when we look back over our lives and see they were flawed, we're the only ones who care now. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire