mercredi 31 janvier 2018

Pourvu que la nuit s'achève / House without Windows de Nadia Hashimi


Un mari mort, une femme refusant de parler, aucun témoin ni suspect potentiel.
Elle aurait dû être pendue depuis longtemps. 

En Afghanistan, Zeba est enfermée à la prison des femmes de Chil Mahtab en attendant son jugement même si son sort ne fait pas grand doute : on l'a trouvée dans la cour de sa maison, à côté de son mari assassiné d'un coup de hâche et alors que tout la désigne comme coupable, elle garde le silence sur ce qui s'est passé ce jour-là.
Yusuf est le jeune avocat de Zeba. Sa famille a fuit l'Afghanistan alors qu'il était enfant et il a grandi et étudié aux Etats-Unis, son pays d'adoption. Par idéalisme, il est revenu exercer dans son pays d'origine afin d'apporter sa pierre à la reconstruction de son système judiciaire.
Alors que Zeba s'enferme dans son mutisme, Yusuf va se démener pour essayer de défendre sa cliente malgré elle, sachant que l'Afghanistan n'est pas l'Amérique et qu'il faut composer avec la culture locale et ses pratiques que l'on découvre au fil des pages avec par exemple une prison pleine de femmes accusées de zina :

(...) nombre d'entre elles avaient été reconnues coupables d'un crime majeur : le zina, les relations sexuelles hors mariage. 

En dari, il n'y avait pas de mot pour "viol", comme si le fait de ne pas nommer l'acte niait son existence. Même dans le monde judiciaire, on l'appelait souvent zina, ou "relations sexuelles en dehors du mariage", donnant à ce crime la même portée qu'un rapport physique entre deux adultes la veille de leur union. Le zina était un voile recouvrant tout ce qui ne correspondait pas à la situation dans laquelle le mari revendiquait la possession de sa femme.

Il y a est aussi question de "jadu", des pratiques qui s'apparentent à de la sorcèlerie et que Zeba pourrait bien posséder comme sa mère Gulnaz, et de condition de la femme dans la société afghane avec le poids que leur font porter les hommes et la valeur qu'ils leur donnent :

son jadu ne pourrait jamais libérer une prison entière de pauvres âmes. Aucun sortilège ne changerait le fait que la valeur d'une femme se mesurait, avec une application scientifique, par le sang. Une femme ne valait que les gouttes qui coulaient la nuit de noces, les quelques millilitres qu'elle saignait à chaque phase de la lune, et la petite rivière qu'elle versait en donnant naissance aux enfants de son époux. 

La vérité ne pouvait qu'être vaine, dans une société où l'on estimait que son témoignage ne valait qu'une fraction de celui d'un homme. (...) "Que gagne une femme à dire la vérité / Quand sa parole n'a pas la moindre portée ?" (...) La parole d'une femme avait peu de valeur dans leur monde. Les femmes elles-mêmes semblaient avoir peu de valeur. 

En tant que femme, mon témoignage ne compte que pour moitié.

Tout était question d'honneur. 
L'honneur était un rocher que les hommes plaçaient sur les épaules de leur filles, de leurs soeurs, de leurs épouses.

Il était rare qu'une famille renonce à mettre la main sur une jeune femme, même si le gouvernement avait proscrit, en 2009, la pratique du baad, consistant à donner sa fille pour résoudre une querelle entre clans.

Le fonctionnement du système judiciaire afghan, notamment pour ce qui touche à ces crimes de zina est montré en action et détaillé, apportant beaucoup d'éléments d'informations les plus variés avec là encore, une domination des hommes qui en maîtrisent tous les rouages : 

Si l'art de la corruption se pratiquait dans le monde extérieur, c'était en prison qu'il s'épanouissait.

- Tant que les hommes seront juges, rien ne changera. (...) - Une femme a postulé à la Cour suprême (...) cela prouve qu'un changement est possible. - Vous ne connaissez pas la suite de l'histoire ? (...) Sa candidature a été rejetée parce qu'elle a le toupet de saigner tous les mois. En fait, (...), un juge de la Cour suprême devait toucher le Coran tous les jours, avait argumenté un parlementaire. Comment une femme aurait-elle pu prétendre à cette fonction alors que, huit jours par mois, elle n'était pas autorisée à toucher le livre Saint ?

Au final, une belle histoire dans laquelle rien n'est simple ou évident ni totalement tranché pour découvrir des pratiques différentes qui nécessitent d'être comprises pour composer avec, parce qu'un système extérieur ne peut pas s'appliquer ou s'imposer sans ajustements tenant compte des contraintes locales. La description de la vie dans la prison est particulièrement intéressante parce qu'on y trouve une vraie solidarité, de la poésie et toute sortes de profils qui font de cette communauté un havre pour certaines des femmes qui y sont enfermées. Le dilemne de Zeba met également en lumière une vraie réflexion sur le sens de la justice et de la morale, le poids des lois par rapport à la place d'un individu dans sa communauté.

Facile à lire, des personnages attachants et plein de choses à apprendre, un triplé gagnant !

Titre anglais : House without windows
Titre français : Pourvu que la nuit s'achève
Auteur : Nadia Hashimi
Première édition : 08/2016

- Le mariage était un sport. Un match opposant l'amour à la haine. Le coeur comptait les points.  
- les hommes ne voient que ce qu'ils peuvent toucher. Le monde est constitué de pierre, de bois et de chair pour eux. Ce n'est pas leur faute ; ils sont fait ainsi. (...) Et les femmes ? (...) De quoi est fait le monde pour nous ? (...) - Tu ne le sais donc pas, ma fille ? Ce sont les espaces vides entre la pierre et la chair qui le constituent. Nous voyons le sourire sur un visage de marbre, le mince rayon de soleil entre les branches mortes. Le temps traverse différemment le corps d'une femme. Nous sommes hantées par les jours passés et tourmentées par nos lendemains. C'est ainsi que nous vivons, déchirées entre ce qui s'est déjà produit et ce qui reste à venir.  
- C'est ainsi que l'on procédait dans ce coin du monde, un pays où les rumeurs, les allusions, les insinuations étaient aussi solides que les montagnes qui les encerclaient.

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