mercredi 13 décembre 2017

L'ordre du jour d'Éric Vuillard


À l'ordre du jour : l'Anschluss, l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie le 18 mars 1938 avec un coup de projecteur sur quelques scènes clés ayant mené à l'événement ou en découlant :

- Une "réunion secrète" de février 1938 au cours de laquelle 24 dirigeants de sociétés allemandes - Krup, Opel, IG Farben, BASF, Siemens, etc - rencontrent Goering et Hitler et où il est question du financement de la campagne du parti nazi,

- Une "visite de courtoisie" de Lord Halifax en Allemagne où il rencontre Goering et Hitler, à l'issu de laquelle il exprimera son soutien à certaines idées,

- Des "intimidations" et une "entrevue au Berghof" entre Hitler et le chancelier autrichien Schuschnigg sommé d'ouvrir son gouvernement à des ministres nazis sous menace d'invasion militaire,

- Un déjeuner d'adieu à Downing Street pendant lequel Ribbentrop monopolise l'attention de son audience pour gagner du temps et retenir Chamberlain, un premier ministre britannique trop poli quand commence l'invasion de l'Autriche par les troupes allemandes,

- Une "blietzkrieg" et un "embouteillage de panzers" qui pourraient être presque comiques si on n'en connaissait pas les suites et conséquences tragiques,   

Et aussi les vélléités autrichiennes de résister à la pression nazie,
les accords de Munich et les faux espoirs de paix avec Chamberlain, Daladier, Mussolini et Hitler,
la mécanique implacable et parfaitement bien huilée de la machine de propagande nazie,
ou encore, la résistance par le suicide d'autrichiens anonymes ...

Un livre qui ressemble plus à un essai historique, voire même à une sorte de pamphlet, qu'à un roman pour décortiquer à touches courtes mais percutantes la mécanique d'un événement marquant le moment où l'Europe bascule, porteur de tous les prémisses de la seconde guerre mondiale et des horreurs qui l'accompagneront. Une succession de scènes où les personnages sont de simples acteurs jouant leur rôle, les uns exerçant et affinant leur pouvoir en s'appuyant sur les faiblesses, les peurs, la bêtise et/ou les lâchetés des autres.
Le ton est incisif et sans concession et Éric Vuillard n'hésite pas à jouer sur une large variété de registres (comique, ironique, dramatique, sobre, accusateur, allusif) pour dénoncer une histoire implacable qui n'était peut-être pas si inéluctable.

Un livre inhabituel, intéressant et bien écrit, une bonne combinaison justifiant sans doute un prix Goncourt !

Tiré du livre :
- La corruption est un poste incompressible du budget des grandes entreprises, cela porte plusieurs noms, lobbying, étrennes, financement des partis.
- Cette réunion du 20 février 1933, dans laquelle on pourrait voir un moment unique de l'histoire patronale, une compromission inouïe avec les nazis, n'est rien d'autre pour les Krupp, les Opel, les Siemens qu'un épisode assez ordinaire de la vie des affaires, une banale levée de fonds. Tous survivront au régime et financeront à l'avenir bien des parties à proportion de leur performance. 
- C'est curieux comme jusqu'au bout les tyrans les plus convaincus respectent vaguement les formes, comme s'ils voulaient donner l'impression de ne pas brutaliser les procédures, tandis qu'ils roulent ouvertement par-dessus tous les usages. On dirait que la puissance ne leur suffit pas, et qu'ils prennent un plaisir supplémentaire à forcer leurs ennemis d'accomplir, une dernière fois, en leur faveur, les rituels du pouvoir qu'ils sont en train d'abattre. 
- l'héroïsme est une chose bizarre, relative,
- Toutes les misères ont pour chef-d'oeuvre l'âme humaine
- Si l'on soulève les haillons hideux de l'Histoire, on trouve cela : la hiérarchie contre l'égalité et l'ordre contre la liberté.

Titre : L'ordre du jour
Auteur : Éric Vuillard
Première édition : 2017
Prix Goncourt 2017

2 commentaires:

  1. Comme toi j’ai beaucoup apprécié ce récit te intéressant, et vraiment très bien écrit.
    Première fois que je lisais cet auteur et du coup envie d’en découvrir plus !
    Tu crois qu’on peut demander une rallonge sur la longueur des journées pour avoir plus de temps pour lire ? 😊

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    1. Tu peux toujours essayer ... mais bon, il faut garder un peu de temps pour vivre un peu aussi ! ;-)

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