samedi 30 septembre 2017

L'arbre à pain / Breadfruit de Célestine Hitiura Vaite



Materena est femme de ménage. Elle vit à Tahiti près de l'aéroport avec Pito et leurs trois enfants, Tamatoa, Leilani et Moana. Un soir après une douzaine d'années de vie commune, Pito rentre ivre à la maison et demande à Materena de l'épouser. Le lendemain, le couple n'en reparle pas, Materena n'est pas sûre que c'était sérieux mais elle se met quand même à rêver ...

L'arbre à pain est la chronique familiale de ce foyer modeste de Tahiti, ça ressemble un peu à une vie de village aux abords de la capitale, où tout le monde est plus ou moins cousin ou cousine, un quotidien fait d'une multitude de petits riens avec une façon de parler et un vocabulaire très évocateurs au travers duquel on grappille quelques légendes et éléments de la vie traditionnelle.

C'est frais, c'est drôle et sans prétention, les personnages sont truculents et on tourne les pages avec bonheur.
Au final, une très jolie esquisse de la vie des "petites gens" de l'île qui correspond exactement à ce que je cherchais avant d'y entreprendre un voyage pour les vacances, quelque chose d'évocateur et d'assez récent qui ne soit pas un livre dédié à Gauguin, aux révoltés du Bounty ou au voyage de Bougainville constituant la majorité des réponses quand on cherche des références sur Tahiti.

Célestine Hitiura Vaite est née et a grandi à Tahiti dans le quartier qu'elle décrit. Elle est citée comme le premier auteur originaire de l'île qu'elle évoque avec beaucoup de tendresse. Elle vit en Australie et écrit en anglais retraduit ensuite en français. Ses livres sont des best-sellers internationaux.

Et ce qui est sûr, c'est que je ne vais pas me priver de lire la suite : Frangipanier et Tiare.

Titre original : Breadfruit
Titre français : L'arbre à pain
Traduction : Henri Theureau
Auteur : Célestine Hitiura Vaite
Première publication : 2000
Prix littéraire des étudiant de l'Université de Polynésie Française 2004

mardi 26 septembre 2017

L'art de perdre d'Alice Zeniter


Naïma travaille dans une galerie qui lui confie l'organisation d'une rétrospective consacrée à un artiste algérien vivant en France depuis le milieu des années 1990. C'est l'occasion pour Naïma de s'interroger sur les racines de sa branche paternelle Kabyle dont elle ne sait finalement pas grand chose si ce n'est que la famille est arrivée en France en 1962, année porteuse de stigmates et d'interrogations.

Le livre est organisé en trois parties, avec d'abord "L'Algérie de Papa" dans laquelle Naïma ré-imagine la génération des grands-parents, la vie du clan familial, la naissance et les premières années d'Hamid (son père), la position patriarcale d'Ali (son grand-père), ancien combattant de la seconde guerre mondiale, celui qui "trouva" un pressoir apporté par une rivière et permis à la famille de prospérer dans le hameau des "7 crêtes" sur les montagnes de Kabylie. Un chef de famille qui se retrouve pris entre deux feux et en perte de repères au moment de la guerre d'Algérie si bien que l'indépendance venue, la crainte de représailles lui font choisir l'exil et le déracinement avec femme et enfants.
Commence alors l'épopée de "La France froide" qui passe par les camps puis l'isolement au fond des bois avant d’atterrir dans une barre de HLM en Normandie. Alors que l'aura du patriarche s'étiole et que le silence s'installe autour de décisions qu'on ne discute pas, Hamid grandit, oublie, s'éduque, assiste la famille et finit par rompre avec des traditions et des liens qui ne lui correspondent plus en choisissant l'avenir et son propre noyau familial avant tout.
On en arrive alors à "Paris est une fête", plus axé sur Naïma et son travail qui va la ramener sur l'autre rive de la Méditerranée avec ses interrogations, ses clichés, ses attentes, ses craintes qui sont aussi celles de la société française toute entière après les attentats, son besoin de reconstituer les blancs d'un passé qui l'imprègne sans lui appartenir.

Un récit où rien n'est simple parce qu'il est avant tout humain et non partisan. Il soulève le voile d'une dénomination-amalgame "harki" terriblement réductrice sous laquelle se cache autant de destins que d'individus ballottés par une guerre d'Algérie dont les plaies sont encore loin d'être refermées.
Au milieu de tout ça, une femme en quête d'identité qui finit par comprendre, comme dans un poème d'Elizabeth Bishop que finalement, "L'Art de perdre" s'applique à elle aussi parce que :

" Tu peux venir d'un pays sans lui appartenir (...) il y a des choses qui se perdent... On peut perdre un pays. (...) - Ce qu'on ne transmet pas, ça se perd, c'est tout."

On se laisse emporter par cette histoire, l'écriture est fluide et les personnages attachants.

Hasard ou pas dans le choix de mes dernières lectures, j'ai l'impression que ce livre leur est relié par une sorte de fil rouge, apportant un éclairage supplémentaire, dans un autre contexte, au thème de la recherche d'identité et de l'héritage familial.

Titre : L'art de perdre
Auteur : Alice Zeniter
Première publication : août 2017
Prix littéraire Le Monde 2017
Prix des libraires de Nancy et des journalistes du Point 2017

Tiré du livre :
- (...) cette partie de l'histoire, pour Naïma comme pour moi, ressemble à une série d'images un peu vieillottes (...) entrecoupées de proverbes, comme des vignettes cadeaux de l'Algérie qu'un vieil aurait caché ça et là dans ses rares discours, que ses enfants auraient répétées en modifiant quelques mots et que l'imagination des petits-enfants aurait ensuite étendues, agrandies, et redessinées pour qu'elles parviennent à former un pays et l'histoire d'une famille.
 C'est pour cela aussi que la fiction tout comme les recherches sont nécessaires, parce qu'elles sont tout ce qui reste pour combler les silences transmis entre les vignettes d'une génération à l'autre.

- Choisir son camp n'est pas l'affaire d'un moment et d'une décision unique, précise.  (...) On croit n'être pas en train de s'engager et pourtant c'est ce qui arrive. Les combattant du FLN par exemple sont appelés tour à tour fellaghas ou moudjahidines. Fellag, c'est le bandit de grand chemin, le coupeur de route, l'arpenteur des mauvaises voies, le casseur de têtes. Moudjahid, en revanche, c'est le soldat de la guerre sainte. Appeler ces hommes des fellaghas ou des fellouzes, ou des fel, c'est - au détour d'un mot - les présenter comme des nuisances et estimer naturel de se défendre contre eux. Les qualifier de moudjahidines, c'est en faire des héros. (...) qui peut dire si le mot découle d'une position politique déjà campée ou si c'est lui, au contraire, qui va former peu à peu cette position en se sédimentant dans le cerveau des hommes en une vérité inaliénable.

- Rien n'est sûr tant qu'on est vivant, tout peut encore se jouer, mais une fois qu'on est mort, le récit est figé et c'est celui qui a tué qui décide. Ceux que le FLN a tués sont des traîtres à la nation algérienne et ceux que l'armée a tués des traîtres à la France. Ce qu'a été leur vie ne compte pas : c'est la mort qui détermine tout.

- L'Histoire est écrite par les vainqueurs (...). C'est un fait désormais connu et c'est ce qui lui permet de n'exister qu'en une seule version. Mais quand les vaincus refusent de reconnaître leur défaite quand ils ont malgré tout, malgré leur défaite continué d'écrire l'Histoire à leur manière jusqu'à la dernière seconde et quand, de leur côté, les vainqueurs veulent écrire leur Histoire rétrospectivement, pour arriver à l'inéluctabilité de leur victoire, il subsiste de part et d'autre de la Méditerranée des versions contradictoires qui ne paraissent pas être l'Histoire mais des justifications ou des revendications, qui se déguisent en Histoire en alignant des dates.

- La plupart des choses que les femmes ne font pas dans ce pays ne leur sont même pas interdites. Elles ont juste accepté l'idée qu'il ne fallait pas qu'elles les fassent.

- Il existe des états qui ne peuvent s'exprimer que par des énoncés contradictoires et simultanés.

dimanche 24 septembre 2017

Dossier 64 d'Adler Olsen



Pour leur quatrième enquête, l'équipe du département V, dirigée par Carl Morck assisté des improbables Assad et Rose, se trouve confrontée à plusieurs disparitions mystérieuses que rien ne relient si ce n'est la période à laquelle elles se sont produites. Au cœur de tout ça, des pratiques de stérilisations forcées et d'eugénismes tenues secrètes, "oeuvre de toute une vie" d'un groupe d'hommes puissants prêts à tout pour assurer l'émergence politique du groupe d'extrême droite "bien sous tous rapports" qu'ils pilotent.

Des acteurs menacés qui ne se laissent pas intimidés alors qu'on reprend le fil de leurs destinées qui avancent et se poursuivent dans la foulée des épisodes précédents. Bien écrit et ficelé avec toujours le même équilibre entre cet épisode qui dénonce certains aspects pourris de la société danoise et la continuité de la série.

J'adore et ne me lasse pas, alors ...  à suivre !

Titre original : Journal 64
Titre français : Dossier 64
4ème volume de la série "Département V"
Auteur : Jussi Adler-Olsen
Première édition : 2010

Série Département V d'Adler Olsen- Voir aussi :
Délivrance - Volume 3 ICI
Profanation - Volume 2  ICI
Miséricorde - Volume 1 ICI

jeudi 21 septembre 2017

Enfants de nazis de Tania Crasnianski



Dans cet essai, Tania Cranianski s'intéresse au sort des enfants de quelques nazis célèbres pour savoir comment ils ont composé face au destin de leurs pères, un jour hommes tous-puissants héros de la nation, le lendemain criminels de guerre conspués. Comment vit-on quand on s'appelle Himmler, Göring, Hess, Franck, Bormann, Höss, Speer ou Mengele ?

 "Les enfants dont l'histoire est évoquée dans cet ouvrage n'ont connu qu'une seule facette de la personnalité de leur père. L'autre leur sera rapportée après la défaite. Pendant la guerre, ils sont trop jeunes pour comprendre ou même percevoir ce qui se passe. Nés entre 1927 et 1944, les plus âgés ont moins de dix-huit ans lors de la débâcle. De leur enfance, ils ne conservent généralement que le souvenir des verts pâturages de Bavière.Beaucoup ont vécu dans l'enceinte sécurisée autour du Berghof, le chalet de montagne du Führer, sur le massif de l'Obersalzberg, au sud de Munich, près de la frontière autrichienne. Cette zone isolée et interdite, réservée au Führer, était à l'abri des méandres de la guerre et de ses atrocités. Plus tard, et pendant de longues années, le IIIè Reich n'était tout simplement pas au programme des écoles allemandes." 

De sa triple origine allemande, française et russe, l'auteur a toujours ressenti une incidence particulière de sa part teutonne plus lourde à porter que les autres. Juriste de formation, elle s'interroge en introduction et en conclusion de l'ouvrage sur la culpabilité, le poids de l'héritage familial et à plus large échelle celui de l'impact de l'héritage des années nazis sur tout un peuple. Mais le coeur du livre qui étaye ses analyses, ce sont les portraits de famille qui constituent les huit chapitres centraux. Chacun est consacré à une famille pour laquelle l'auteur reprend le parcours du père, comment ont grandi les enfants et ce qu'ils sont devenus. Elle s'appuie sur les nombreux documents disponibles (archives, interviews, livres, etc.) et n'a rencontré qu'un seul de ces enfants. Au final, autant de destinées que d'enfants qui dépendent du contexte familiale et affectif de chacun ou de l'âge qu'ils avaient lorsque le lien paternel s'est rompu.
Des enfants "maudits" qui ont dû porter les crimes de leur pères et faire face du jour au lendemain à la violence psychologique qui en résulte, sans repère ou accompagnement pour y faire face.      

"Ils étaient des enfants de héros, après la guerre ils sont devenus des Täter Kinder, des "enfants de bourreaux". Or rien ne les avaient préparés au nouvel ordre mondial dans lequel ils font figure de parias. (...)
Chacun de ces enfants est singulier, et s'arrange avec son histoire familiale de façon spécifique et complexe. De nombreux éléments entrent en ligne de compte : le genre (fille ou garçon), la structure familiale (enfant unique ou famille nombreuse), les liens affectifs (mère aimante ou froide, père affectueux ou distant). On peut certes rapprocher certains parcours, mais aucun n'est identique à l'autre. Le seul dénominateur commun est l'impossibilité de faire fi de son histoire familiale, tant elle constitue un lourd tribut. (...) Comme ces enfants toujours hantés par le destin paternel, le passé nazi reste présent à nos mémoires. Même lorsque les victimes ne seront plus là pour témoigner, quand la traque des derniers nazis sera loin de nous, la résonance de leurs noms continuera de nous interpeller. 
C'est en ce sens que leur histoire rejoint l'Histoire."

Peut-être pas aussi détaillé et poussé qu'on le souhaiterait mais une étude facile à lire qui alimente une vraie réflexion sur les thèmes soulevés par l'auteur, la culpabilité, l'héritage familial et plus largement celui du nazisme, la parole, le secret ou encore la transmission.

Nota :
Le chapitre sur Mengele concorde en tous points avec le roman La disparition de Josfe Mengele d'Olivier Guez lu précédemment.

Titre : Enfants de nazis
Auteur : Tania Crasnianski
Première édition : 03/2016

Tiré du livre :
- Doit-on se sentir responsable, voire coupable, des faits commis par ses parents ? L'histoire familiale nous façonne irrémédiablement au cours de notre jeunesse. Lorsqu'un héritage est aussi sinistre, il ne peut être sans incidence, même s'il est communément admis que les enfants ne sauraient être tenus pour responsables des fautes de leurs parents. Ne dit-on pas que "le père à deux vies, la sienne et celle de son fils" ou encore "tel père, tel fils"?

- L'ombre silencieuse de la guerre a plané sur l'Allemagne et aussi sur la France pendant de longues années. Elle plane encore, mais les langues se sont déliées. Quand j'étais enfant, on se soumettait au diktat du silence. Comme mon grand-père, les générations qui ont suivi la guerre évitaient d'en parler. (...) La transmission ne s'est pas opéré. (...) " ...aucun Russe ne représente le goulag, aucun Français la Révolution française ou la colonisation, ils ont chacun leur histoire nationale (...) En revanche, on identifie l'Allemagne au nazisme.   

- L'opinion publique souhaite que l'on identifie chez ces criminels des pathologies spécifiques, qui expliqueraient l'atrocité de leurs actes. Mais ceux qui se sont penchés sur le sujet n'ont jamais réussi à mettre en avant une personnalité propre aux exécuteurs. Lors du procès d'Eichman à Jérusalem, un des psychiatres chargés de l'examiner souligne que son comportement à l'égard de sa femme et de ses enfants, de son père et de sa mère, de ses frères, sœurs et amis, est "non seulement normal, mais tout à fait recommandable". On voudrait croire que ces gens-là sont des monstres sanguinaires, car leur "normalité" paraît bien plus terrifiante. "les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux, ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires" constate Primo Levi. 

- Nous n'héritons pas de la culpabilité mais nous héritons des actions coupables de nos ancêtres.  

lundi 18 septembre 2017

La disparition de Josef Mengele d'Olivier Guez


Ce livre nous livre le parcours après-guerre de Josef Mengele, médecin généticien surnommé l'"Ange de la Mort" du camp d'Auschwitz pour les expériences épouvantables qu'il mena sur ses cobayes humains sélectionnés à l'arrivée des trains de la mort. Une "disparition" en trois temps qui commence par une "vie de pacha" sous une fausse identité dans l'Argentine de Peron, puis la cavale et une "vie de rat" passée à se terrer jusqu'à sa mort au Brésil dans les années 1970, et enfin sa "vie de fantôme" parce qu'il continua d'être traqué tant que sa mort n'a pas été divulguée et reconnue.
Une "disparition" rendue possible par de multiples complicités, dans plusieurs pays d'une Amérique du Sud émergente avec ses propres zones d'ombres, et un appui financier jamais démenti de sa famille grâce aux profits d'une entreprise Mengele & fils d'équipements agricoles qui tira son épingle du jeu après la guerre et permis de payer encore et toujours par solidarité et pour préserver du scandale leur réputation patronymique.

Les grandes lignes de l'histoire sont connues et en partie documentées, alimentées d'une large bibliographie (les journaux de Mengele tenus sur plusieurs années ont fait l'objet d'une vente aux enchères en 2011).
L'auteur indique avoir voulu s'y plonger pour savoir ce que la vie a réservé à ce criminel de guerre après la défaite de l'Allemagne et pour en devenir à son tour le "marionnettiste", celui qui nous en livre la déchéance en comblant les blancs de l'histoire par l'artifice du roman. La narration est froide, presque chirurgicale, sans aucune sympathie pour un Mengele qui jusqu'au bout pense n'être qu'un rouage qui n'a fait qu'obéir pour servir un maître et une idéologie qu'il ne renie pas ... au plus grand désarroi de son fils unique qui fait un jour le voyage pour le rencontrer et essayer de comprendre.
Une perspective historique et une plongée très intéressante dans le monde de l'après-guerre et des périodes qui suivent où rien n'est tout blanc ou tout noir, alors que des idées se figent, demeurent et se déconnectent. L'histoire d'un homme au départ sûr de lui et imbu de lui-même qui s'use et s'aigrit avec le temps et les circonstances, rongé par l'âge, l'exil et la peur d'être rattrapé par ceux qui veulent le juger.

Pas vraiment une lecture pour se "faire du bien", le sujet ne le permettrait pas ... du lourd pour se documenter sur ce que peut représenter la "disparition de Josef Mengele" et un voyage littéraire sans rédemption du côté sombre de l'humanité.

Nota : le livre fait déjà l'objet de trois nominations pour les sélections de prix de la rentrée littéraire 2017 (Goncourt, Goncourt des lycéens et Renaudot des lycéens.)

Titre : La disparition de Josef Mengele
Auteur : Olivier Guez
Première édition : 08/2017

Vidéo Youtube Hachette France - Présentation du livre par Olivier Guez  ICI

Tiré du livre :
- (...) avant son arrivée au camp, les déportés produisaient déjà du caoutchouc synthétique pour IG Farben et des armes pour Krupp. L'usine de feutre Alex Zink achetait des cheveux de femmes par sacs entiers à la Kommandantur et en faisait des chaussettes pour les équipages de sous-marins ou des tuyaux pour les chemins de fer. Les laboratoires Schering rémunéraient un de ses confrères pour qu'il procède à  des expérimentations sur la fécondation in vitro et Bayer testait de nouveaux médicaments contre le typhus sur des détenus du camp. 
- Il sanglote en pensant que ses mentors, Eugen Fischer et le baron Otmar von Verschuer, ont admirablement tiré leur épingle du jeu. Fischer (...) coule une paisible retraite à Fribourg-en-Brisgau (...) Von Verschuer (...) grand admirateur du Fuhrer, "le premier homme d'État à prendre en compte l'hérédité biologique et l'hygiène de la race" (...) a été nommé professeur de génétique humaine à l'université de  Munster dont il est par la suite devenu le doyen, et il dirige le plus grand centre de recherche génétique d'Allemagne de l'Ouest.  
- Mengele, ou l'histoire d'un homme sans scrupules à l'âme verrouillée, que percute une idéologie venimeuse et mortifère dans une société bouleversée par l'irruption de la modernité. Elle n'a aucune difficulté à séduire le jeune médecin ambitieux, à abuser de ses penchants médiocres, la vanité, la jalousie, l'argent, jusqu'à l'inciter à commettre des crimes abjects et à les justifier. Toutes les deux ou trois générations, lorsque le mémoire s'étiole et que les derniers témoins des massacres précédents disparaissent, la raison s'éclipse et les hommes reviennent propager le mal.  
Puissent-ils rester loin de nous, les songes et les chimères de la nuit. 
Méfiance, l'homme est une créature malléable, il faut se méfier des hommes.

jeudi 14 septembre 2017

Qui ne dit mot consent d'Alma Brami


Émilie observe et confie à la première personne ses pensées et ses sentiments sur sa vie, là où elle en est et ce qui l'y a amené.
Elle a son mari (Bernard, mais elle le nomme à peine, quand elle en parle c'est surtout "mon mari") et ses deux enfants, Paul et Laura. Un jour, ils ont quitté leur appartement citadin au 20ème étage d'une tour pour une maison isolée, au fin fond de la campagne. Alors comme Émilie n'aime pas la solitude, son mari lui ramène des amies pour lui tenir compagnie, des "tatas" pour les enfants ... La dernière en date s'appelle Sabine mais avant elle il y a eu Elsa, Aurélie, Évelyne, Bénédicte, Odile, Alice, Michèle ou encore Anne ...
La famille s'adapte à sa dimension variable, ça dure depuis des années et à chaque fois c'est la même histoire. Comment Émilie accepte-t-elle et accueille-t-elle toutes ces nouvelles amies ? Jusqu'où cela peut-il aller et pour combien de temps ?

Émilie nous livre le cheminement de son histoire qui passe par ses parents, son enfance, son amour, son couple et ce mari qu'elle aime même s'il n'est pas parfait parce qu'il l'aime tant, elle ... Amour inconditionnel ? Oubli de soi ? Une histoire de concessions ? Une histoire surtout terrible, sur la manipulation, l'emprise et la domination psychologique dans le couple. Émilie nous livre toutes les cartes, une par une. On a envie de la secouer et de la faire réagir comme l'enjoint sa fille Laura mais elle s'est faite piéger et enfermer, on la sent paralysée, mystifiée, impuissante, résignée, incapable de s'affirmer comme elle le voudrait au fond d'elle car après tout, elle n'en pense pas moins ... mais voilà, elle ne dit rien ... elle accepte et justifie ...et finalement, elle consent à en avoir la nausée !

Buzz de la rentrée littéraire, ce livre se lit très vite et l'écriture est belle. Sur le fond, il a un petit côté nauséabond parce qu'il incarne parfaitement la violence qu'il dénonce en laissant derrière lui un sentiment de malaise.
Une énorme baffe littéraire, ça secoue, âmes sensibles s'abstenir ! (tu as raison Émilie qui a envie de partager des livres)

Titre : Qui ne dit mot consent
Auteur : Alma Brami
Première édition : août 2017

Tirés du livre :
- T'es comme une femme battue, tu ne te rends compte de rien, tu acceptes et tu crois que ça te convient. 
Mon mari me rapportait ses proies, comme un chat victorieux qui dépose aux pieds de son maître un oiseau, un lézard ou un mulot. (...) Il me racontait ce qu'il voulait mais je ne devais pas poser de questions. 
Votre père est mon idéal, il ne me demande pas d'être différente. Il s'arrange avec ce que je suis et je m'arrange avec ce qu'il est, parce que ce qui est essentiel au bout du compte c'est que l'on soit ensemble, toujours, pour partager quelques épreuves d'accord, mais surtout un grand bonheur. 
J'avais toute ma jeunesse rêvé d'être une autre, et à présent je ne rêvais que de rebrousser chemin vers moi, vers ma jeunesse et ses défauts. 
Le temps n'effaçait rien, un mensonge de plus. Le temps émoussait les forces, les ressources. Le temps amoindrissait, écrasait, rendait muet. Les instants se nouaient les uns aux autres comme des maillons d'une chaîne très solide, qui entrave les mouvements, la fuite.

lundi 11 septembre 2017

Délivrance d'Adler Olsen



Après des années à traîner sur le bord d'une fenêtre en Écosse, un message désespéré et à moitié délavé provenant d'une bouteille jetée à la mer atterrit à Copenhague sur le bureau de l'inspecteur Carl Morck. Avec l'aide de son fidèle Assad et de l'inénarrable Rose, les voila lancés sur les traces d'un machiavélique kidnappeur d'enfants d'autant plus redoutable que les rapts dont il est le maître n'ont jamais été déclarés ...

Comme dans les volumes précédents, ce "cold case" est lié aux réalités courantes du Danemark à l'époque où l'enquête est menée, avec sa dose de suspense et cette fois, une plongée sans concession dans le monde du sectarisme religieux. Dans le même temps, on continue d'approfondir la connaissance que l'on a des divers personnages avec de nouvelles clés qui n'ouvrent bien sûr pas encore toutes les portes, simples rebondissements d'un épisode d'une histoire à suivre.

Un bon moment de lecture, une trame équilibrée entre contenu de l'épisode et continuité de la série alors que s'affine, pas forcément en bien, l'image de ce petit pays scandinave.

Titre original : Flaskepost fra P
Titre français : Délivrance
3ème volume de la série Département V
Première édition : 2009

Série Département V - Voir aussi :
Profanation - Volume 2  ICI
Miséricorde - Volume 1 ICI

jeudi 7 septembre 2017

Elle voulait juste marcher tout droit de Sarah Barukh


Alice passe ses premières années cachée à la campagne chez une nourrice qui ne peut souvent pas répondre à ses interrogations autrement que par "c'est la guerre". Quand sa mère dont elle n'a aucun souvenir vient la chercher en 1946 pour la ramener à Paris, elle s'adapte à une vie qui est loin de celle qu'elle avait pu imaginer alors que les questions qui l'assaillent sur son identité ne trouvent toujours pas de réponses. Lorsque la santé de sa mère se détériore, il faut de nouveau changer d'environnement et traverser l'océan pour être confiée à un père prêt à l'accueillir dans un foyer où elle n'est finalement pas vraiment la bienvenue, enjeu de questions qui la dépasse ...

Une petite fille en quête d'identité dans le monde de la guerre et de l'après-guerre, témoin innocent des horreurs d'une époque et victime des non-dits des adultes qui par leur silence cherchent à la protéger quand ils ne sont pas simplement brisés par ce qu'ils ont vécu.
Une écriture sensible et une façon un peu différente d'aborder cette période d'après-guerre au travers des yeux d'une enfant. Il s'agit du premier roman de cet auteur prometteur et même si, pour être difficile, je lui trouve quelques imperfections (une fin pas vraiment inattendue, une cavale tout juste plausible), j'ai eu un vrai grand plaisir à le lire.

Une découverte à suivre.

Titre : Elle voulait juste marcher tout droit
Auteur : Sarah Barukh
Première édition : 2017

lundi 4 septembre 2017

Profanation d'Adler Olsen



Au royaume du Danemark, dans les sous-sols de la brigade criminelle, Carl Morck dirige le département V créé pour rouvrir les "cold case" et tenter d'y apporter une résolution. Après le succès de l'affaire Merete Lyyngaard, son équipe est donnée en modèle à l'étranger et elle s'étoffe avec l'arrivée de Rose au secrétariat, une nouvelle venue extra-sensible qui tape sur les nerf de Carl mais qui vient renforcer son groupe pour le moins atypique aux côtés de l'assistant d'origine syrienne, l'imprévisible et truculent Hafez el Assad. 
Cette fois, le groupe est aux prises avec le dossier d'un double meurtre commis en 1987 impliquant des fils de bonne famille éduqués dans un des établissements le plus prestigieux du pays avec un puissant réseau d'anciens, connectés aux plus influants dans toutes les sphères de pouvoir et qui s'en sont sortis quand la justice menaçait de les rattraper grâce aux aveux de l'un des leurs qui coule des jours tranquilles en prison où il s'enrichit en attendant d'être libéré. Au coeur de l'imbroglio, d'autres actes de violence gratuite avec du plaisir malsain et purement sadique à la façon d'Orange Mécanique, des victimes qui se taisent, des parties de chasse un peu particulières, le pouvoir de l'argent et des relations, une femme complice et victime, cruelle mais fragile, qui ne manque pas de moyens financiers mais se cache sous des dessous de SDF pour mieux se venger...

J'avais accroché pour Miséricorde mais avec quelques petites réserves que je lève à la lecture de ce deuxième tome, plus abouti et bien rythmé. Adler Olsen dresse ici un portrait sans concession des milieux d'affaires et de la haute bourgesoisie de son pays qui contraste avec l'image proprette que l'on peut avoir de ce pays nordique.
Atypiques et attachants, on s'attache aux personnages parce qu'on apprend à les connaitre au fil de l'enquête tout en gardant une touche de mystère pour la suite. Ainsi, des éléments qui les touchent personnellement et professionnellement, semés comme des graines dans le premier tome, prennent forme dans le second volume pour donner une continuité qui reste toutefois en partie en suspens : les enquêtes passent mais les personnages restent et on a envie d'en savoir plus !

Pas de doute, j'attaque la suite ... avec a priori une dizaine de volume à la clé et de bons moments en perspective à déguster de-ci de-là !  

Titre original : Fasandræberne
Titre français : Profanation
2ème volume de la série "Département V"
Auteur : Jussi Adler-Olsen
Première édition : 2008